Tempus fugit… Ou comment Nūbēs de Raphaël Lecoquierre métamorphose l’espace MOSS

Tempus fugit… Ou comment Nūbēs de Raphaël Lecoquierre métamorphose l’espace MOSS

Jouxtant l’Hôtel de Ville de Saint-Gilles, niché derrière une vitrine opaque, Espace MOSS est un lieu d’art atypique. Un espace de production et de monstration où le visiteur n’est pas seulement regardeur mais joue un rôle actif. Fondé par Moussa Cheniguel et dédié à la création d’installations in situ, cet espace propose de vivre une expérience unique –contemplative et immersive– par le biais d’une coupe de cheveux qui prend pour le coup des allures performatives. Une coupe de cheveux débarrassée des éléments superflus qui lui sont généralement associés –lavage, coiffage et, surtout, miroir– afin de vivre pleinement, dans le moment présent et le lâcher prise, l’entrelacement inédit d’une coupe de cheveux et d’une « visite » d’exposition, dans un processus de décloisonnement entre l’œuvre d’art et le visiteur qui l’active. Hors vernissage et finissage, il faut prendre rendez-vous et payer la somme de 30 € pour une séance individuelle actionnant les diverses composantes susmentionnées au sein d’un même habitus d’une quarantaine de m2. Le prix d’entrée constituant le soutien nécessaire qui permet à Espace MOSS d’être indépendant et d’offrir une totale liberté de production aux artistes émergents. Aussi, comme indiqué sur la vitrine : « En entrant dans l’espace, vous acceptez d’être filmé en live stream distribué sur espacemoss.com » ; le projet se concevant aussi comme une performance numérique, continue et participative.

Pour sa 22e exposition, Espace MOSS accueille une proposition de Raphaël Lecoquierre (°1988, Saint-Cloud ; basé à Bruxelles) intitulée Nūbēs. Soit des nuages vaporeux (rosés, bleutés, irisés) disséminés du sol au plafond du lieu. Les nuages disent le temps qu’il fait, météorologique. Ils disent aussi le temps qui fuit, existentialiste. Ils symbolisent la fugacité de la vie, comme des Vanités. De nos jours, il y a aussi le « Cloud » qui permet le stockage de données, dans une nébuleuse dématérialisée. Tout ceci sous-tend Nūbēs, fresque éphémère dont les motifs et le poli évoquent le marbre, dans un effet trompe-l’œil flirtant allègrement avec le décoratif, ce qui n’est pas pour déplaire à Raphaël Lecoquierre, afficionado du non-binaire et du brouillage de pistes. La technique utilisée est toutefois inédite. Elle s’origine dans le hasard d’une découverte faite il y a dix années : de vieilles photographies échouées sur une plage, altérées par le temps et les éléments, en cours de dissolution, dans une confrontation troublante entre figuration et abstraction. Depuis lors, l’artiste affine sa technique, oxydant d’anciennes photos de familles (qui viennent toujours à lui sans qu’il ait à les chercher), extrayant leur substance colorée avant de l’incorporer dans du stuc appliqué sur des panneaux ou sur un mur. Les images originelles et les souvenirs individuels sont à jamais effacés, mais ils ressuscitent sous la forme universelle de nuées qui s’entrelacent sur une surface picturale éthérée. Un support méditatif aux motifs marbrés, comme un bloc de temps stratifié. Un écran épuré où chacun peut projeter sa propre réalité et où se télescopent diverses temporalités (et techniques artistiques). La matière-source du travail renvoie à l’âge d’or de la photographie argentique, tandis que sa surface lisse réfère aux écrans tactiles de notre ère numérique. Quant à l’usage du stuc et de la technique d’ancrage affresco, il réfère au Quattrocento (voire à l’Antiquité), tout comme le modelé vaporeux, proche du sfumato. Il eut fallu davantage de place pour analyser ce travail faussement minimal. Pour appréhender sa dimension sonore : nappes aériennes, indéfinies et enveloppantes… Pour évoquer les travaux des artistes invités par Raphaël Lecoquierre et leur résonnance pertinente avec Nūbēs. L’intervention d’Eva L’Hoest, œuvre préexistante et pourtant sorte d’excroissance parfaite de la fresque, en bas-relief. Le trompe-l’œil tellement impeccable de Nancy Moreno qu’on pourrait aisément le louper (référence au syndrome FoMO, acronyme de fear of missing out, soit la peur de rater quelque chose). L’objet pseudo-utilitaire (« pour un nettoyage facile et des caresses heureuses »), mais assurément poétique de Viager (Régis Jocteur Monrozier & Louis Clais). Enfin, Olivier Stévenart convoque allusivement (par son encadrement) un objet non grata dans la place, le miroir, afin que nous puissions imiter Alice et passer de l’autre côté. Dans la petite cour envahie de fougères, ou dans une autre réalité.

Sandra Caltagirone

Nūbēs de Raphaël Lecoquierre

Avec la participation de Eva L’Hoest, Nancy Moreno, Olivier Stévenart et Viager.

Espace Moss

Place Maurice Van Meenen 35
1060 Bruxelles
mar. – sam. 09h20 à 18h
+32(0)496861883
espacemoss@gmail.com

http://espacemoss.com

Du 20 mai au 03 octobre 2020

Durant les mois de juillet et août, Raphaël Lecoquierre était en résidence à la Fondation CAB. https://fondationcab.com/fr/open-studio-raphael-lecoquierre

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