L’image comme matière à images

« Interpolation » © H. Pouillon, 2020

Grâce à l’informatique, la création d’images nouvelles à partir d’images existantes est devenue démarche presque banale. Maîtriser la technique est plus rare. Les manipulations en noir et blanc comme en couleurs d’Henry Pouillon donnent à voir autrement.

Face au travail d’Henry Pouillon (1960) surgit une première impression. Ce sont des formes qui engendrent des formes. Ce sont des formes qui déforment, se déforment et reforment sans pour autant qu’elles se reforment. En d’autres termes, le virtuel d’une photographie devient réalité totalement virtuelle grâce au processus d’interpolation consistant à introduire dans un ensemble un élément étranger destiné à le perturber, en modifier l’aspect et/ou le signifié.

Détournement de formes

Lorsqu’il y a confrontation de diverses transformations d’une structure photographique initiale, le processus amène cet élément fixe, figé au moment de la prise de vue, à s’insérer dans la temporalité. Une sorte de visualisation de la succession d’épisodes associés les uns aux autres, d’instantanés soumis à des variations comme le sont les figures d’un kaléidoscope. Le mouvement de la durée ajoute donc une dimension à l’œuvre. Des compositions développent un magma formel tourmenté, des graphismes organiques, des conglomérats compacts traversés de trouées vers du vide à l’infini.

Dans certains cas, l’ensemble paraît telle une représentation en lambeaux, un puzzle dispersé sur des plans différents susceptibles de se rencontrer uniquement par le miracle de l’image plane se moquant de la profondeur de champ. Quelques variations laissent en repère de l’anecdote, du souvenir. Des évocations de personnages s’y décèlent. Des bribes de réel surgissent comme ce panorama berlinois où s’identifie en allusion le mémorial monumental de la shoah. Il règne dans ces évocations un climat de bande dessinée dont la suite serait à venir ou à imaginer.

L’opposition du noir et du blanc sur le fond écru du papier affiche une rigueur de contraste fort. Ce brutal antagonisme permet une recherche au sujet de la transparence, de la présence presque en filigrane de l’ombre d’une silhouette, du double d’un être suggéré, d’un ajouré en attente d’être habité. 

Passer au rouge et blanc offre d’autres possibles, surtout si à la teinte, à l’espace, s’adjoignent lettres et mots. Pouillon se risque à parsemer dans les intervalles des fractions, des embryons de vocabulaire. Impossible de ne pas se soumettre à la dictature symbolique de cette teinte sanguine et à sa cohorte significative de sauvagerie, de combustion, de bouillonnement aussi bien vital que malsain.

Parmi un choix de photos couleurs, notamment focalisé sur les ‘selfies’ (se voir soi-même afin d’être visible par autrui), la conséquence des métamorphoses mène à un réalisme de l’essentiel où l’anecdote se concentre sur une figuration en a-plats du style Bernard Rancillac ou de la période où Marc Bis peignait des scènes de guerre en ombres chinoises. 

Parfois, la présence laisse autour d’elle un halo de réalité comme un double volatil de ce qui est représenté. Parfois la superposition laisse sa translucidité infuser l’ombre ou le mouvement. Elle s’accommode de décor minimal organisé en gris fantomatique.

Contrepoint de mots

S’affichent également des cartographies de territoires abstraits. Elles suggèrent particulièrement. À chacun d’y déceler ce qu’il suppose, à transposer en impressions, en mots. C’est précisément ce que propose Marie-Clotilde Roose (1970) à qui on doit, entre autres, les recueils poétiques L’Orange-soleilLes chemins de patience et Le poème quotidien

Il ne s’agit en rien de décrire, de paraphraser. « Un poème n’explique pas / il délivre les mots » écrit-elle. Elle ajoute : « je m’empare du logogramme / lui fais mon cinéma ». Elle se laisse alors obséder par un pays imaginaire où se développe «une géographie intime », fait une  «Plongée dans les abysses » optant pour la profondeur même si elle est attirée par la verticalité. Elle rappelle que d’habitude « nous oublions l’envers / la part d’invisible/ attachée à nos âmes ».

Les images de Pouillon sont davantage que des pré-textes. Elles engendrent en elle des perceptions liées à la mémoire : rappel inconscient du séjour prénatal en liquide amniotique ; évocation d’un être cher ; blessures des violences du monde ; lieux «où l’aléatoire / prend appui de vérité / amadoue le hasard ».

 Michel Voiturier

« Estampes numériques » jusqu’au 10 octobre 2020, Ateliers des Fucam, rue du Grand Trou Oudart à Mons. Infos : 065 40 69 10 ou https://uclouvain.be/fr/sites/mons/evenements/expo-estampes-numeriques-henry-pouillon.html  ; du 14 octobre au 13 novembre 2020 à l’espace Arte-Fac, 14 rue Martin V à Woluwé Saint-Lambert. Infos : ou http://www.artefac.be/event/estampes-numeriques/ ; du 25 novembre au 18 décembre 2020 au Forum de Halles, 1 place de l’Université à Louvain-La-Neuve. Infos : https://uclouvain.be/fr/etudier/culture/evenements/estampes-numeriques-henry-pouillon-1.html

Catalogue : Henry Pouillon, Marie Clotilde Roose, Estampes numériques, Mons, UCL Culture, 2020, 48p. (10€)

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