Pjeroo Roobjee, subversif permanent

Pjerro Roobjee, « Le champion mondial de la peinture en mauvaise compagnie et dans de sales draps », 2002 © DR

Grouillements vermineux, caricatures railleuses, allusions scabreuses, autodérision impitoyable, kitsch au-delà du pompier : Roobjee incite à participer à son jeu de massacre.

Pjerro Roobjee (1945, Gand ; vit et travaille à Ellezelles) ne s’embarrasse guère de nuances, de délicatesses, de minutie hyperréaliste. Héritier d’un certain art brut, lointain descendant d’un expressionnisme exacerbé, il accumule les couleurs stridentes, les traits acérés, les provocations visuelles. Il y a chez lui des répétitions obsessionnelles telles qu’elles apparaissent chez un Augustin Lesage ou un Joseph-Fleury Crépin, soucieux de saturer la surface de la toile. Il y a chez lui ce besoin d’un cri visuel comme il apparait dans les fulgurances charnelles d’un Max Beckmann ou d’un George Grosz.

Il ne connaît pas de tabous, ni formels, ni thématiques. Il n’a cure du bon goût et jouit sans retenue du kitsch le plus affirmé. Il est en cela apparenté à Clovis Trouille et à son univers blasphématoire. Et sans doute, dans son wallon village d’adoption ne se sent-il pas étranger car la fantaisie des inventions picturales du peintre local Jacques Vandewattyne participe à un analogue délire imaginatif.

Pour qui aime les dessins sages, les tableaux traditionnels, la poésie raffinée, la pudeur hypocrite, se trouver devant un tableau de ce frondeur pince sans rire constitue un choc. D’autant que l’aspect anecdotique, narratif des œuvres raconte manifestement une histoire, le plus souvent une sorte de fable. C’est particulièrement flagrant dans celles qui s’en prennent à l’extrême-droite.

La sagesse est dans l’excès

Son ‘führer‘ est monstrueux à souhait, réduit à une icone immonde, littéralement morveux dans l’une des compositions et atteint d’une lèpre verte dans une autre. Son jeune néonazi dégustant une sucette au svastika démontre par l’absurde son appartenance à la pureté aryenne. C’est sans pitié, et c’est tant mieux.

Chacun des tableaux, réalisés entre 1990 et 2008, contient quantité de détails significatifs qui sont autant d’allusions à l’histoire de l’art ou de la politique, des références à des moments autobiographiques, des associations visuelles volontairement absurdes. La violence n’est jamais loin ; on la sent palpiter dans les attitudes des personnages, dans leurs mouvements, dans le choix des actes mis en espace sans grand souci des règles de la perspective, dans les manières d’apposer les couleurs, dans la profusion volubile des détails.

Quelque chose de cauchemardesque sous-tend ces œuvres acerbes, sans concessions au politiquement ou moralement correct. De quoi remuer la quiétude de l’ordinaire, secouer les bonnes consciences, asticoter les idées toutes faites, en un mot déranger. Comme le pratiquent les dessinateurs de Charlie Hebdo, de Siné Mensuel, du Canard enchainé, de Même pas peur ou autres périodiques éveilleurs de conscience citoyenne.

Avec ici, en plus, un travail pictural car l’artiste ne se contente pas du dessin ; il se sert des couleurs, du trait, de la surface à peindre. La nature y arbore des aspects viraux, bactériens en une sorte de grouillement permanent tel sans doute ce qui se trame au sein d’un bouillon de culture. C’est bel et bien une peinture réfractaire, indignée. Plutôt celle qu’on brandirait au sein d’une manif que celle qu’on suspend au mur d’un salon. En cela elle a des accointances avec un street art de contestation brute. Sans la veulerie du graveleux populiste, avec la mauvaise foi de celui qui a la certitude d’avoir raison tout en entretenant l’antidote d’une dérision n’épargnant personne, pas même l’artiste.

Michel Voiturier

« Une petite rétrospective » à la Maison de la Culture, Esplanade Georges Grard à Tournai jusqu’au 30 juin. Infos : +32 (0)69 25 30 80 ou http://www.maisonculturetournai.com/fr

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