Mirό à Mons : présence et transcendance du passé

Miro :”Les oiseaux de proie foncent sur nos ombres”, 1970 Huile sur peau de vache 250 x 200 cm Coll. Isabelle Maeght, Paris © Succession Miró / SABAM Belgium 2022 © Maeght, 2022

Combien les détracteurs des arts moderne et contemporain ont pris comme argument propice à leur rejet le fait que la novation faisait fi du passé ! Cette expo leur donne l’occasion de battre leur coulpe car s’il est un artiste qui a puisé dans l’histoire de l’art, c’est bien Mirό, l’homme qui voulait « assassiner la peinture ».

    Il est un lieu, dans cette foisonnante expo qui mériterait qu’on commence par lui, c’est celui où il est possible de voir de manière interactive et comparaisons dessinées à l’appui, quelques emprunts que Joan Mirό (1893-1983) a fait aux maîtres qui l’ont précédé. C’est évidemment une découverte, car les détails existant dans des peintures anciennes, repris et adaptés, ne sautent pas aux yeux puisqu’ils s’intègrent dans des compositions qui découlent de nouvelles façons de peindre.

    Il semble bien, selon Xavier Bertrand, qu’il s’agit de « « la quête du retour à un monde des origines ». Dans la mesure où le peintre catalan est un assidu des galeries, des musées d’art et d’ethnographie, il y accumule ample moisson d’images, de détails. Il est, davantage que certains de ses confrères, particulièrement sensible à l’interpicturalité consciente ou latente. Au point qu’Ozerkov aille jusqu’à affirmer que l’ensemble de son œuvre s’avère « une grande citation fantaisiste de l’art du passé ».

    Des études préparatoires démontrent combien la recherche habitait le créateur qui ne se fiait guère à l’improvisation. Mais modernité étant, il ne s’interdit pas pour autant des réalisations spontanées inventées dans le développement d’un geste porteur d’énergie sur des supports aussi peu nobles que des pages imprimées de journaux ou insolites comme du papier froissé ou des fac-similés d’écriture du XVIIe siècle, voire de la peau de vache. La gestuelle y prend des allures presque instinctives façon Pollock ou ne dédaigne les aléas ni de coulures, ni d’éclaboussures, ni de taches.

    L’expo permet de suivre les évolutions du peintre au fur et à mesure de ses découvertes d’œuvres de ceux qui l’ont précédé, de la figuration des débuts à l’aboutissement d’une grammaire picturale personnelle. Ce cheminement est essentiel. Il montre les influences de Bosch, Bruegel, Vermeer, Sorgh, Constable, Raphaël aussi bien que le primitivisme et l’art japonais.

    Ces influences n’empêchent donc nullement Joan Mirό de se détacher de la peinture ancienne. Si, comme le constate Merjian, il se situe dans la « tendance biomorphe de la peinture surréaliste », il se garde de tout illusionnisme tant dans l’apparence des choses que dans le traitement de l’espace, se démarquant des règles de la perspective. Et le peintre lui-même résumait sa conception en affirmant : « Le tableau doit être fécond. Il doit faire naître un monde.»

    Ce monde est à l’écart du monde réel en train de subir toutes ces transformations qui ont jalonné le XXe siècle aux points de vue comportemental, technologique, économique, philosophique. Sous le pinceau de Mirό, l’univers qui naît est intemporel, intrinsèquement pictural. Il est en premier lieu ludique. Il est traduit par une série de signes souvent récurrents d’une toile à l’autre (lune, étoiles, oiseaux, femmes…). Ils s’agencent entre eux comme des phrases narratives dont la signification est liée à une syntaxe visuelle.

Joan Miró “Sans titre”, c. 1977 Huile et fusain sur toile 100 x 80,5 cm, Don de l’artiste, 1981 ©Fundació Pilar i Joan Miró a Mallorca – Photographic Archive. © Succession Miró / SABAM Belgium 2022

     Lorsqu’il aura quitté les toiles figuratives très colorées de ses débuts, l’artiste aura recours à des graphismes et calligraphies s’entremêlant à des sortes de pictogrammes ou de symboles, plus ou moins cabalistiques, symboliques comme peuvent l’être certains dessins d’enfants. Même lorsqu’il s’agit de portraits, des combinaisons de formes suggèrent plus qu’elles n’affirment, évoquent plus qu’elles ne dévoilent. Jusqu’à prendre parfois des apparences de dessins animés. Il lui arrive de rendre l’espace virtuel en découpant une partie du support laissant de la sorte supposé qu’il se passe quelque chose au-delà de ce qui est visible.

    Il faut en convenir, peu d’immobilité pour les créatures qui peuplent huiles et gouaches. Bien des formes ou des traits sont ondulatoires, sinueux, dansants. La pesanteur semble absente tant les éléments ne présentent aucune lourdeur. Ils ont leur présence en dehors de toutes les lois de la gravitation universelle sans doute absente de ces lieux indéfinis situés dans quelque rêve éveillé.

    Des œuvres apparentées à la sculpture, moins connues que les tableaux ou les gouaches, complètent ce panorama. Céramiques et bronzes balisent les décennies de 50 à 70. Elles représentent en majorité des personnages issus d’une mythologie onirique inscrite dans l’histoire imaginaire d’un peuple chimérique. Ils ont, en général, l’apparence brute de l’époque supposée d’une civilisation primitive dont il subsiste des poteries ornementées par des traits énigmatiques.  

    Pour les visiteurs qui n’auraient pas été saturés par l’abondance des œuvres de Mirό, un complément propose une incursion insolite dans les collections permanentes du BAM en compagnie d’un choix d’œuvres par le commissaire de l’expo, Xavier Noiret-Thomé. De quoi revoir ou découvrir des œuvres de Fautrier, Tal Coat, Jorn, Eugène Leroy, Picasso, Alechinsky, Vandercam, Broodthaers, Matisse, Fontana, Soto, Oppenheim, Chaissac, Mortier…

Michel Voiturier

« Joan Mirό » et « Le voyageur et son ombre » jusqu’au 8 janvier 2023 au BAM, 8 rue Neuve à Mons. Infos : +32 65 33 55 80 ou https://www.bam.mons.be/

Catalogue : Victoria Noël-Johnson, Xavier Roland, Ara H. Merjian, Dimitri Ozerkov, « Joan Mirό, L’essence des choses passées et présentes », Gand, Snoeck, 2022, 224 p. (32€).

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.