Feminisme pluriel.

Noir Chantilly à la Châtaigneraie (Flémalle) et Body Talk au Wiels, deux expos revisitent la question du féminisme dans l’art. Si le Wiels nous parle d’artistes africaines abordant principalement les notions de sexualités dans leur travail, la Châtaigneraie envisage cette thématique d’une manière plus large en questionnant à travers une expo et des conférences, la question des résurgences du féminisme dans notre société contemporaine.

Un constat: la quasi disparition d’une critique de la consommation capitaliste et l’avènement ces dernières années d’une révolution numérique a considérément bouleversé notre rapport aux images.  Aujourd’hui, les valeurs “féministes” se sont sensiblement recentrées sur d’autres thèmes plus en harmonie avec une féminité clairement revendiquée. Une constance: Si le combat politique est enterriné, les artistes conservent le passé en le piratant, en le transformant, le questionnant… et pour ça les femmes artistes puisent joyeusement dans l’histoire de l’art, du couple et de la famille. Elles prônent aussi le retour au corporel, à l’éprouvé face au cérébral considéré plus masculin.

Dans le mini débat qui suivit la conférence de presse, (un film est visible sur you tube) Elodie Antoine et Karine Marenne nous éclairent. Pour elles, il s’agit en priorité, de conserver les acquis sans oublier l’histoire : ce qui a été acquis, l’a été par des femmes révolutionnaires qui ont bouleversé les codes en vigueur à l’époque (contraception, avortement, égalité des droits …) Marie Hélène Joiret, commissaire de l’expo, nous le rappelle également en intégrant dans l’expo, des artistes aujourd’hui disparue: Evelyne Axel, José Picon, Fanny Germeau. Pour la plupart des oeuvres présentées, il s’agira de faire passer des messages liés à une féminité épanouie et revendiquée, qui se veut témoignage du temps présent.  Une attitude qui s’inscrit dans la suite logique du combat avant gardiste des sixties, lié à la libération du corps et à l’émancipation des sexes. La présence des peintures d’Evelyne Axell, disparue un soir de 1972, nous rappelle les prémices d’un combat pictural contre les préjugés machistes de l’époque.

Une autre forme de combat est abordée par Sofie Vangor. L’autoportrait à l’armure, une huile sur toile ovale représente l’artiste dans une position hiératique face à l’adversité des conflits familiaux. Avec poésie, la thématique de la louve et de la femme guerrière sont souvent revisités dans son oeuvre.  Le détricotage des codes sociétaux se perpétue dans l’expo de différentes façons. Ainsi, Julie Arnould joue avec les codes visuels qu’elle réorganise en recréant de nouvelles images faisant de la femme une victime consentante.  Dominique Castronovo réinfiltre les portaits mythiques des stars du cinéma des années 50 en utilisant la technique du morphing. Sophie Langohr, réinterprête, grâce à photoshop, les thêmes iconographiques du passé en les confondant aux icônes de la pub et de la mode: une manière pour elle de déstabiliser les codes liés au sacré et au profane. Le sacré est revisité également avec Marie Zolamian qui questionne dans sa vidéo des croyances et des certitudes. L’artiste nous invite à nous pencher sur les écrits de Soeur Marie Rose Carouy qui inventa un baume miraculeux.

Dans le contexte de la quête mystique, Alexia Creusen, nous invite, à une séance contemplative autour du thème de la montagne qu’elle reconfigure sur ses textiles. De la montagne à la grotte, les cheminements s’entrecroisent et entretiennent la métaphore… Les boutonnières de Romina Remmo, photo numériques, se déclinent en une multitude de petits carrés de tissus de couleurs fendus en leur milieu et faisant référence à des sexes féminins délicatement entrouverts. Dans la singularité cette fois, à découvrir, le magnifique dessin sur toile blanche de Pauline May qui nous dresse par le tracé érotique d’un parcours carthographique vaginal les pérégrinations d’une quête des origines. De la même veine, mais en déclinaison sculpturale de type design le pouf en velours rouge vif d’Elodie Antoine fait référence dans un jeu de fermetures éclair métalliques à la rose et au sexe de la femme. Une double proposition invitation/répulsion à s’assoir.  L’érotisme toujours… Aurore Dal Mas fait surgir dans son texte imprimé sur fond rouge des expressions libidinales primaires “J’ai envie de te prendre tout de suite”. Annabelle Guetatra, dans ses aquarelles, rêve d’unions mythologiques contre nature. Dans la vidéo “Piscine” de Rachel Laurent des allusions plus coquines, transforment les injonctions d’un moniteur de cours de natation en leçons pornographiques, en allusion au “Manuel de civilité pour les petites filles à l’usage des maisons d’éducation” de Pierre Louys. Plus trash et sulfureux, la photo de Laetitia Bica nous distille un coktail explosif relationnel type match de boxe concocté sur base de combat de rouge à lèvres.

L’humour est également présent avec l’image choisie pour l’affiche.  Fanny Viollet utilise la broderie, pour rhabiller de petites culottes la “scandaleuse” Origine du monde de Courbet. Jouant également sur le caché et le montré, la photo qui nous montre une avocate voilée, d’Anne Françoise Schmitz nous questionne sur les nouveaux phantasmes de la femme contemporaine à l’heure du mélange des cultures. Effet orientalisant aussi pour Isabelle Copet qui utilise la dentelle en caoutchouc suspendue dans l’espace pour nous rappeler l’histoire des femmes recluses.  Détournant les codes et perceptions des objets du quotidien en les métamorphosant en objets de luxe, les poils de brosse en cristal d’Audrey Frugier opèrent un renversement des valeurs. Karine Marenne s’engouffre elle-aussi dans cette direction de manière ludique en jouant sur la complémentarité des tâches ménagères. Cathy Alvarez envisage la tâche ménagère du reprisage, comme un geste transmissif en lien à la mère et à une culture de l’habileté manuelle en perdition aujourd’hui puisque dévalorisée. Ce parcours éclectique dégage des pistes de réflexions en cascades.  Un questionnement: “En quelques décennies, les artistes défendant la cause du féminisme sont-elles passées du stade “révolutionnaire” au stade de “conservatrices rebelles”? La présence d’artistes masculins, absents dans l’expo, aurait étoffé quelque peu le sujet…

Lino Polegato

(1) Le terme de “conservateurs rebelles” est un terme utilisé par Gilbert and Georges pour s’autodéfinir…

« Noir Chantilly, feminisme[s]«  : > 05 avril 2015 à La Châtaigneraie (Flémalle) et 21 février > 20 mars 2015 à la Galerie Juvénal (Huy)

Cathy Alvarez – Elodie Antoine – Julie Arnould – Anne-Sophie Arnould – Evelyne Axell – Laetitia Bica – Dominique Castronovo – Isabelle Copet – Alexia Creusen – Aurore Dal Mas – Audrey Frugier – Fanny Germeau – Annabelle Guetatra – Sophie Langohr – Rachel Laurent – Karine Marenne – Pauline May – José Picon – Romina Remmo – Anne-Françoise Schmitz – Sofie Vangor – Fanny Viollet – Fang Zhaolin – Marie Zolamian

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