Randonnée céleste avec François Chaignaud et Marie-Pierre Brébant

(extrait FluxNews 80)
Dans le cadre de la 43ème édition du festival la Bâtie à Genève, François Chaignaud et Marie-Pierre Brébant présentent une nouvelle création entre ciel et terre ; expérience harmonique et physique qui se partage alangui sur coussins et chaises longues au ras du sol, installés en demi-cercles concentriques, projetés dans un univers suspendu qui échappe aux définitions de temps, de genre et de catégorie artistique. A la fois installation, performance et concert, c’est une proposition singulière où le jeu des corps, des sons et des lumières anime un espace convivial étrange. Comme dans un salon de musique revisité, toutes et tous s’installent autour d’un socle-sculpture architectonique où les artistes évoluent pour plus de deux heures de performance hypnotique articulant voix, cordes et mouvements. Leur ré-interprétation du répertoire complet des chants sacrés du XIIème siècle de Hildegarde de Bingen est un pari dingue, une épreuve physique et mnémonique laissant finalement place à une représentation à l’aérienne désinvolture où les corps presque nus se réapproprient avec liberté ces compositions musicales. Les artistes osent ainsi une transposition personnelle et vivante de l’oeuvre de cette grande figure mystique, savante et politique. Cette figure dite visionnaire fut en effet redécouverte au XXème pour ce que l’on considère comme avant-gardiste dans son oeuvre, notamment en matière de féminisme et de naturopathie, malgré l’anachronisme de ces dénominations.

Leur pièce Symphonia Harmoniæ Cælestium Revelationum représente en premier lieu un considérable travail de recherche, de décryptage et retranscription des manuscrits que le duo complice me dit avoir initié il y a environ trois ans. Pour leur création, il ne s’agissait pas de remettre en scène cette figure complexe de Hildegarde de Bingen, mais plutôt « d’engloutir le corpus homogène en son entier » et de « devenir ainsi ce manuscrit exposé, sans début ni fin ». Quand je les interroge sur cette transe particulière qui se reproduit à chaque représentation, Chaignaud évoque son désir « d’envisager le manuscrit comme pourrait l’être une partition de Sol LeWitt » , la performance « comme une espèce de longue randonnée sinueuse » ; on l’aborde et on l’exécute pas après pas, de son ouverture jusqu’à sa conclusion, jusqu’au prochain périple.

Lors d’un entretien, le duo me rappelle que, si ce répertoire musical est souvent interprété, il ne l’est jamais de façon visiblement incarné, les corps demeurant cachés. Ici l’engagement total des corps est rendu visible dans cette performance du souffle, de la concentration et du geste, et cette transe participe de la force spirituelle de l’oeuvre musicale. « La musique sacrée ne doit pas forcément être austère » rappellent-il.elle.s. Elle comprend aussi toute une dimension organique, liée aux sens et à la contemplation de la nature. Positionnement des artistes qui nous renvoie aux scandales provoqués par la religieuse qui étudia l’anatomie féminine et écrivit ses visions dans un langage non dénué de sensualité. Elle-même qui orchestrait aussi des offices où les nonnes apprêtées, chevelure lâchée, chantaient dans des parures immaculées, alors qu’à cette époque moyenâgeuse les femmes n’étaient en général pas même autorisées à chanter dans les églises.

Cette musique « liée à la nature, aux couleurs et odeurs » trouve aussi d’après M.P Brébant certains liens avec le soufisme ; indice de la richesse des liens d’influences et de voyage qui constituent les soubassements d’une culture classique occidentale qui semble se figer au 18ème siècle dans une conception rationaliste basée sur les lois mathématiques des harmonies, puis dans la séparation académique des disciplines de la danse et de la musique. Ici, poursuit-elle, la vibration des intervalles musicaux « se propage comme les ondes d’un encéphalogramme ou d’un électrocardiogramme ». Et c’est ainsi avec toute la surface de notre peau, membranes sensibles, acoustiques, thermiques, pulsatives, avec nos cerveaux et nos coeurs à l’unisson que nous sommes convié.e.s à résonner ensemble cette pièce hors norme qui continuera, dans plusieurs lieux et dates à venir, son inlassable route céleste.

Marion Tampon-Lajarriette
Septembre 2019, Genève

Prochaines dates de Symphonia Harmoniæ Cælestium Revelationum :
14 — 17 Novembre : MC93 maison de la culture Seine-Saint-Denis, Bobigny
7 — 9 Décembre : Les deux scènes, Scène nationale de Besançon (France)
13 — 14 Décembre : Arsenal/Cité musicale, Metz (France)
4 — 6 Février 2020 : TANDEM Scène nationale, Arras-Douai (France)

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