INTRO VERSO, Sophie Langohr au CHU

Sophie Langhor, une vue de l'exposition , photo Gianni Stefanon

Artistes à l’hôpital, une co-opération nécessaire.

Depuis quelques années, Julie Bawin, historienne d’art et commissaire, invite des artistes à lui faire des propositions d’expositions dans une des salles du CHU. La bien nommée: Route 941. Musée en plein air. Verrière Sud.(1) Sollicitées par la commissaire, les propositions d’artistes investissent également la périphérie de la salle d’expos et sont de natures plus interractives. Dans ce cadre sont déjà intervenus avec succès des artistes comme Patrick Corillon, Jeanne Suspeglas, Djos janssens. Sur invitation de Julie Bawin, c’est au tour de Sophie Langhor de se confronter à ce nouveau challenge. De prime abord, la magie opère. Grâce à un jeu subtil de mise en situation dans l’espace d’exposition, on a l’impression de revisiter un ensemble de statues votives primitives. Des semblants de déesses océaniques remontant aux origines de notre humanité.

Que représentent ces nouvelles séries d’œuvres présentées par Sophie Langhor ? Toutes ces œuvres sont en réalité, le résultat de moulages des creux intérieurs de statues polychromes représentants des Vierges, des Christs, des nativités. Les différentes oeuvres proposées sont constituées de la matière d’origine de leur modèles, elles peuvent aussi bien être en bois, en plâtre ou en céramique. L’œuvre est généralement présentée sur un socle reprenant les mensurations du modèle original. Le présentoir qui occupe la fonction importante de piédestal est utilisé dans les deux sens de lecture : couché ou debout, selon des codes esthétiques définis par l’artiste. La juxtaposition des deux ensembles sculpturaux, socles et moulages du vide interne constituent en soi la cartographie d’un Tout indissociable. Un peu à l’image d’un corps. Un corps célébré, qui prend naissance au coeur des entrailles.

Avec Sophie langhor, ce qui est caché, redevient pour un temps donné, visible. Le corps sacrifié, oublié, retrouve, en pleine lumière, une liberté perdue. De l’ensevelissement à l’apparition. Un rituel de passage, qui par ses côtés allégoriques fait indirectement appel au caractère épiphanique de son changement d’état. La vidéo de quatre minutes montée en boucle, résultante d’un scan fait à l’hôpital en est un autre exemple. Pour les amateurs, à ne pas rater la scanographie tomodensitométrique de Sainte Bernadette, plâtre polychrome du XXe siècle. Un voyage au coeur du vortex.

Le basculement de statut (montré/caché, plein/vide, sacré/profane), est largement revisité dans le corpus de travail de l’artiste. Dans le figuré comme dans le geste il devient aujourd’hui une marque de fabrique. Des codes de lectures labellisés qu’elle revisite dans une autre partie de l’exposition. Une série de photographies en noir et blanc d’images de publicité de haute joaillerie retravaillées. Suite à un jeu de toilettage numérique sur photoshop, l’artiste fait basculer l’éclat et la brillance stellaire d’un bijou signé Chanel vers un statut plus monacal. Les pierres précieuses redeviennent le magma organique qui les définissait naturellement au départ. Un retour aux sources salutaire, orchestré de manière à nous dépolluer le regard d’artifices encombrants. Une technique de travail qui agirait ici comme un produit démaquillant de luxe. Un voyage imaginaire qui nous connecterait vers des mondes plus habités. Pour certains analystes pseudo mystiques, une attitude qui pourrait s’interpréter comme une tentative de feed back vers la Mère, la matrice originelle. Bercés par d’autres sirènes, nous ne la percevons plus…

Une fois de plus, Sophie Langhor nous invite à détricoter les enjeux de perversion des images véhiculées par l’industrie du luxe et à nous interroger sur ces codes publicitaires qui nous dominent. Un thème récurrent qui lui est cher. Les jeux intro-verso se poursuivent en périphérie de la salle d’expo et le choix du menu est au goût du consommateur. Aux cohabitations parfois surprenantes, comme la frise de Sol LeWitt qui se téléscope aux photos de l’artiste, certains visiteurs préfèreront les univers plus singuliers et plus silencieux. Se perdre dans les dédales du CHU et se faire surprendre à l’improviste par la volupté d’un détail de drapé transparent surgissant d’une fenêtre sur vue reste une expérience salutaire qui vaut le détour…

Lino Polegato

Organisée par le Musée en Plein Air du Sart-Tilman, l’exposition Something Precious, est visible jusqu’au 2 juillet 2016.

(1) Conçu par l’architecte Charles Vandenhove, le CHU accueille dans son sein des oeuvres pérennes sous formes de frises de Sol LeWitt, Buren dans les ascenseurs, Toroni dans les escalators, Jacques Charlier, Léon Widar,…

Pour illustrer le texte, la photo de Sainte Bernadette un plâtre polychrome de la fin du XIXe siècle, l’original est exposé au Grand Curtius.

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