Une nouvelle structure, The Agprognostic Temple, vient de voir le jour. Elle a été créée par le critique d’art et rédacteur en chef de la revue Hart, Sam Steverlynck, et par Dome Wood, un artiste australien basé à Bruxelles. Il ne s’agit ni d’un lieu associatif, ni d’une galerie (même si les oeuvres qui y sont exposées peuvent être vendues) mais d’un espace d’art nomade qui s’accompagne d’un site web, d’un manifeste, de rituels et d’un dispositif architectural mobile. Le Temple affirme la volonté de montrer l’art d’une autre manière en s’attachant à tout ce qui relève du spirituel, de l’inconnu et de l’insaisissable dans les pratiques artistiques actuelles.
L’art entretient des relations avec les religions, il fonctionne d’une manière assez proche et peut presque en tenir lieu. Il est présent dans toutes les religions, sous forme d’idoles ou de représentations à caractère plus ou moins pédagogique. Avec l’absence des dieux, le mouvement romantique, jusques et y compris Joseph Beuys, l’art prend la place de certaines dimensions religieuses – la spiritualité, le surnaturel. De manière plus anecdotique et ironique, un peu d’(auto)observation force à constater que les pratiques sociales des amateurs d’art contemporain ressemblent à celles des fidèles d’une religion – on assiste aux vernissages comme on se rend dans les lieux de culte et dans les foires et les biennales comme on part en pèlerinage. Pourtant, si la dimension spirituelle des oeuvres perdure, elle est aujourd’hui masquée loin derrière les valeurs économiques et/ou médiatiques.
The Agprognostic Temple propose ainsi de remettre au premier plan les valeurs romantiques. Quand je leur demande s’ils considèrent leur projet comme « néoromantique » ou comme « postromantique », Dome Wood répond : « nous apprécions tous deux les concepts romantiques dans l’art comme dans la vie. Je ne dirais pas qu’il s’agit d’un mouvement dans le sens où le Romantisme l’a été à son époque. Nous préférons dans ce cas nous considérer par rapport au Temple comme « Juste Romantique» – sans exclure d’autres aspects qui sont éternels à l’art » . J’ajouterai que contrairement au mouvement initial très eurocentré, The Agpronostic Temple est ouvert à toutes les cultures.
Son nom provient de la contraction des mots gnostique, agnostique et pronostic – le savoir, le non-savoir et la possibilité de savoir. Son manifeste nous rappelle que depuis des temps immémoriaux, l’art a rendu visible l’invisible et nous a révélé la présence de l’Inconnu.
Le Temple est nomade, à cet effet Dome Wood a conçu une structure architecturale mobile blanche qui est aussi une sculpture modulaire et pénétrable. Pénétrer dans le temple suppose de passer sous ce portique, ce qui est déjà un premier rituel. Au centre du Temple, on trouve le Cube de l’Inconnu – un cube noir qui contient une oeuvre qui ne sera dévoilée qu’à la fin de l’exposition. La présence de cette oeuvre cachée incarne les relations entre visible et invisible, connu et inconnu qui soutiennent le projet.
Pour sa première apparition dans le monde de l’art, le Temple s’est installé dans la galerie Walburger Wouters à Bruxelles. Cette première exposition s’intitule Scripted Truths, elle réunit huit artistes qui travaillent autour des thèmes de la spiritualité, de l’ésotérisme et de la mythologie personnelle. Face à l’entrée, on trouve une petite sculpture de Félix Kindernmann (°1978), trois oreilles en bronze qui conservent les traces de la coulée . D’étranges serpents gardent l’entrée, ces hybrides de différents animaux où le bronze et le cuivre côtoient des matières organiques comme la peau de serpent ou des insectes morts et pétrifiés sont des sculptures de Benjamin Husson (°1986). A l’intérieur du Temple, d’autres mondes et d’autres temporalités se mélangent dans les sculptures de Filip Vervaet (°1977) tandis que des traditions tribales se mélangent à des éléments contemporains de l’afro futurisme dans la tapisserie très colorée d’Isabel Tesfazghi (°1985). La dimension divinatoire prend la forme d’un grand dessin de Philippe Koeune (°1975) représentant un jeu de Tarot de Marseille. On retrouvera les trois arcanes majeures hors du temple. La pratique de Fia Cielen (°1978) est liée à l’occultisme. Le tryptique “Three Kings Ritual” réfère à un jeu hypnotique du 19ème siècle destiné à favoriser l’entrée dans un état permettant d’accueillir hallucinations, visions et messages de l’inconscient. Les oeuvres ne sont pas seulement matérielles, le jeune musicien français Lou Touchard (°1993) a specialement conçu une pièce sonore. L’humour est également présent avec la vidéo désopillante de Shana Moulton (°1976) dans laquelle l’artiste se filme à la recherche d’une clé pour sortir de sa chambre. A cet effet, elle ouvre de multiples portes et tiroirs où elle trouve des objets de consommation qui lui jouent parfois des tours.
Le Cube de l’inconnu est occupé par une sculpture de Ricardo Brey (°1955) qui sera dévoilée dans une cérémonie le dernier jour de l’exposition. Une autre oeuvre de l’artiste est néanmoins accrochée, il s’agit de la photographie d’un arbre calciné. L’artiste a ajouté différents éléments à la photo d’une manière qui évoque le chamanisme. Il donne ainsi à l’image du vieil arbre un énergie nouvelle.
Loin des habitudes du White Cube qui isole chaque oeuvre, l’accrochage est dense et s’accorde à la structure architecturale du Temple : chaque oeuvre occupe un module, elle se trouve de cette manière à la fois isolée des autres et partie prenante de l’ensemble. Ainsi, Scripted Truths apparait comme la proclamation en acte du Manifeste de The Agprognostic Temple.
Le deuxième chapitre de The Agprognostic Temple occupera le même espace dans quelques semaines. Il s’agira de photographie de l’artiste belge Nicolas Provost.
Colette DUBOIS
The Agprognostic Temple. Chapter 1. “Scripted Truths” jusqu’au 27 septembre boulevard d’Anvers, 49 à 1000 Bruxelles. Ouvert du vendredi au dimanche de 12 à 18h.
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