Conjuguant comme d’habitude arts et sciences, le Fresnoy Studio national des Arts contemporains présente une cinquantaine de travaux qui « transcendent la séparation entre la nature et la culture à l’œuvre dans nos sociétés occidentales ». Un aperçu très actuel naturellement associé cette année au festival transfrontalier Next, d’habitude cantonné dans le spectacle vivant.
D’insolites installations
À l’extérieur des lieux pour commencer, une réflexion mise en action par Hugo Petigny qui a mené une expédition nocturne dans le champ français le plus étendu d’éoliennes avec une lumière créée grâce à l’usage du vélo sur le trajet qui y mène. À l’intérieur, voici une sculpture pour le moins étrange signée Yu Cheng. Elle met en cohabitation une partie électronique complexe avec des parois d’aquarium sur lesquelles sont projetées l’arrivée en milieu marin d’espèces aquatiques préhistoriques. Ce qui nous interroge à propos de la reprise d’un éco-système en train de se reconstruire après les dégâts causés par les activités humaines.
Charline Dally, avec « Le disque de poussière », propose un regard particulier sur des particules préexistantes à la naissance du système solaire. Vision insolite de ce que révèlent ces fragments de météorites. L’ensemble construit par Sarah-Anaïs Desbenoit exerce la fascination que ressentent les enfants face au parcours infini d’un train électrique tournant en rond. D’autant qu’ici, dans une semi pénombre, les autres éléments plus mystérieux l’entourent de leur étrangeté.
L’installation « Les Barbares » projette des images en quête d’un passé aujourd’hui ignoré de l’état géographique du Liban à l’Egypte via la Palestine. Rittaram met en présence le fantôme d’un père décédé depuis longtemps avec ses enfants qui ne s’étaient pas revus depuis L’ignorance apparaît à Basma al-Sharif comme un des ferments des discordes récurrentes en ces régions. Antoine Mayet propose des images d’endroits visités durant l’enfance et, du coup, liés à la nostalgie. Victor Villafagne fait surgir des sonorités fantasmatiques d’enceintes en tissu épousant la forme d’un trou noir. L’eau en général et celle qui nous constitue fait l’objet d’une installation de Dacosta entre bâche suspendue qui la contient et vidéo qui la restitue en un double en mouvement pour, en alternance, l’accueillir et la libérer. Jisoo Yoo synchronise un habit virtuel avec le corps d’une performeuse en mouvement provoquant une chorégraphie fantomatique.
Le jeu vidéo que propose Jérome nous entraînedans une quête mythologique complexe. Le poème écrit par Ferdinand Campos lors d’une ascension en montagne se lit en projection sur des éléments solides évoquant le lieu. Chez Eléonore Geissler, le cœlacanthe devient l’animal préhistorique qui a conservé sur ses écailles les images qui s’y sont incrustées et constituent donc « Le plus vieux film du monde ». Connu comme metteur en scène, Guy Cassiers a installe quatre rangées de cinq téléphones disposés dans un cadre rectangulaire. Pivotant, chacun d’eux arbore une partie de visage modifié par maquillage présenté aux visiteurs à hauteur de leurs yeux. Des algorithmes d’intelligence artificielle les modifient sur un air d’opéra de Mozart. De quoi démontrer que la perfection d’une figure est une impossibilité. Toudou a conçu des sculptures hybrides, presque délirantes. Elles rappellent ces structures instrumentalisées des rebouteux de jadis dans nos campagnes et parsèment un itinéraire menant vers une paix intérieure.
Le virtonais Lucas Leffler s’est attaché à ladécrépitude de la société Kodak. En parallèle, il installe une kyrielle. Vadim Dumesh suit un parcours d’actualité de la France vers l’Ukraine où des smartphones passés de main en main transmettent des témoignages qui permettent de visualiser en même temps les lieux visités et la personne qui filme.
Un cinéma particulier
La présence cinématographique dans des musées ou des galeries est relativement récente car elle donne à ces images mouvantes un statut différent de celui de la projection en salles obscures. Chris Dercon s’interroge à ce propos. Il écrit notamment que « Le Fresnoy exprime le cinéma comme un lieu hétérotopique, c’est-à-dire une utopie du cinéma ; une hétérotopie du cinéma qui permet à ses formes fort différentes de coexister de manière productive.»
Ces films proprement dits réclament un temps particulier qui est difficilement gérable lorsqu’on parcourt une expo. Faute de tous les visionner, il faudra bien se résoudre à choisir. Certains sont néanmoins accessibles en ligne. Une première série est regroupée sous l’appellation « Les déplacements ». Amer Abrazawi témoigne d’intégration ; Jésus Baptista reprend à l’envers le chemin parcouru par ses parents lors de leur arrivée clandestine en France dans les années 60 ; Amir Youssef réinvente la rencontre entre Napoléon et le Sphinx d’Egypte, façon décalée de reparler de la colonisation ; Benoit Martin trace le portrait de deux exilés qui gagnent désormais leur vie grâce au rap et au cinéma et exposent les difficultés rencontrées sur le chemin de leur migration.
« Les localités » accueillent d’abord Alexandre Cornet qui a suivi des géologues explorant des galeries minières dans le Pas-de-Calais; Aliha Thalien rencontre à la Martinique des jeunes gens qui discutent au sujet de l’économie, du désir d’indépendance de la région ; un peu avant qu’on ne désagrège une structure de béton dans son quartier, Emilien Dubuc interroge des habitants de son quartier ; à travers « La méthode », Coraline Zorea met en lumière la dégradation du projet utopique d’un kibboutz conçu idéalement comme un système démocratique et égalitaire.
Borderie et Le Gallo inventent des statues de sel et de glace en une fiction chimérique. C’est un duo de chiens qui, grâce à Nedellec, philosophent d’après une nouvelle de Cervantès et ne voient pas l’avenir des humains très réjouissant. Charlotte Pouyau a manifestement pris plaisir à réaliser en images de synthèse une fable moderne d’un hippopotame jaloux d’un tracteur. Autre fantastique et autre utilisation des images de synthèse est « Lemna » de Mathilde Raynaud où deux botanistes adeptes de l’émancipation des femmes finissent par être happées par une fluidité verte au fin fond des marais. Sur un « Crassier » en combustion, Robin Touchard place un homme, sorte de Sisyphe moderne qui tente de gérer cette mutation enflammée. Avec malice et la complicité de lycéennes de Tourcoing, Lea Collet accompagne leur volonté de se transformer en fleurs.
Le court métrage d’ Ella Alman se présente comme une étude sur la limite des relations entre une comédienne jouant un rôle et sa réalisatrice. Celui de Lou Chenivesse se situe au cœur d’un fantastique. Long métrage, par contre, « Simples soldats » filmé par Patric Chia est un documentaire au sujet de Russes exilés pour échapper à l’enrôlement dans l’armée en guerre. Lilienfeld propose le portrait d’une influenceuse virtuelle tandis qu’Alisa Berger se consacre à la danse japonaise butō. Alle Dicu observe un trio féminin en train d’examiner des échantillons de marbre et fait ressentir à quel point leur regard s’en trouve transformé.
Michel Voiturier
Exposition visible jusqu’au 7 janvier 2024 au Fresnoy, 22 rue du Fresnoy à Tourcoing jusqu’au 7 mai 2024 Infos : +33(0) 320 2838 00 ou www.lefresnoy.net
Catalogue : Chris Dercon, Cord Riechelmann, Wouters David, « Panorama 25 »,Tourcoing, Le Fresnoy,156 p.
Poster un Commentaire