Riche actualité en parutions et expos

Dans l’offre artistique plus que jamais exponentielle dominée par des événements tels la Biennale de Venise où la foire Art Brussels, des expos passées ou en cours peuvent échapper à la vigilance. Quelques focus sur Nadine Fiévet, Marc Hubert, Yves Zurstrassen, la Disabstraction, avec valeur ajoutée en parutions récentes.

Contre l’oubli, grâce à la Galerie des Collines dirigée par José Hubert, est paru un ouvrage dédié au plasticien carolorégien Marc Hubert (Charleroi 1975 – 2019). A la suite d’autres monographies, cette publication Un regard nuancé sur la justice est réservée aux nombreuses œuvres, aquarelles, linogravures, sérigraphies en techniques mixtes et collages, compositions informatiques, peintures acryliques, que l’artiste a consacrées à un bâtiment bruxellois emblématique du pouvoir et du patrimoine architectural : le Palais de justice. A travers ces multiples approches picturales, réalisées entre 1995 et 2004, « Marc a cherché », est-il écrit parmi les commentaires et témoignages, « il a construit, déconstruit, inventé, réinventé une approche plus humaine de la justice ».

Marc Hubert, 80 p., ill. coul., 2023. Edipsychart, Charleroi.

Quatre expos et une monographie

Il est exceptionnel qu’une artiste, peintre en l’occurrence, consacre quatre expositions presque simultanées à la célébration de plus de 50 ans de peinture. Et ce dans sa région. La Galerie des Capucins, la Galerie Koma, le Magasin de papier Centre d’Art et le Centre culturel de Colfontaine, accueillent en ce moment un solo de la peintre Nadine Fiévet (Bruxelles, 1947 – Vit et travaille à Colfontaine). En valeur ajoutée à ce quatuor, une monographie Nadine Fiévet – Entre les strates matières et pigments, plutôt somptueuse, avec en préface un texte, La couleur des confins, de Richard Miller, docteur en philosophie et lettres, entre autres spécialiste de Cobra. « L’œuvre entier de Nadine Fiévet se tient dans ce défi, dans cette tension (…), peindre un paysage, [c’est] créer un paysage autre », écrit-il, ajoutant que chez l’artiste « ce sont les couleurs elles-mêmes qui, par le mystère de la main qui peint, dictent leur loi », et que « Tout, ici, semble être affaire de spontanéité ». Et précisant, en fin de texte que « La couleur appartient aux confins de notre humanité ».

L’ouvrage, très abondamment illustré, après une introduction de l’artiste qui plante « le paysage comme thème récurrent » tout en « propulsant la peinture dans l’aventure à travers les paysages suggérés », suit chronologiquement en images, avec quelques commentaires, un parcours qui débute en 1972. Il y est question de négatifs trouvés dans le grenier et donc de portraits, de paysages ruraux, de colonnes, de peintures sur épaves de voitures, de nature au miroir, de colombographie, de couleur dévoilée, de signes…, de sept femmes cent frontières et même d’un jour en 1815… le tout ponctué de quelques textes. En cette multiplicité de sujet traités, il est bien une constante : la couleur lumière et jouissive comme des instants de bonheur.

Nadine Fiévet, 238p., ill. coul., biographie, 2024. Éditions du CEP.

D’Antibes à New York

Foisonnante actualité pour Yves Zurstrassen qui participe doublement en ce mois d’avril à Art Brussels, représenté en même temps par la galerie bruxelloise Albert Baronian et la galerie internationale Ceysson & Bénétière. Dès la mi-mai, il participera à Shifts and Phases, un collectif d’artistes internationaux en la Galerie Xippas de Genève, en juin il est invité en solo dans le magnifique site patrimonial de la Halle des Bouchers à Vienne (France), et en expo de groupe à un ensemble sur l’abstraction en la galerie Luhring Augustine Gallery de New York. Enfin, septembre sera marqué par une exposition personnelle avec réalisation d’une grande mosaïque, dans le vaste lieu de la galerie Ceysson & Bénétière à Saint-Etienne (France).

La très remarquée exposition solo qui s’est clôturée en janvier de cette année au Musée Picasso d’Antibes, laisse deux traces essentielles. D’une part une présence permanente dans la collection de ce musée, de l’autre une monographie Jouer la peinture, comprenant un essai particulièrement fouillé et érudit de Bernard Ceysson Ce texte capital est précédé d’un entretien avec l’artiste mené par Jean-Louis Andral, directeur du Musée Picasso, contribution dans laquelle le peintre nomme quelques références dont Rilke et Matisse, explique la naissance des papiers ‘retirés’ et le moment à partir duquel ses tableaux devenus des « Rêves éveillés » le conduisent à « une peinture très libre » , ainsi qu’à « peindre à l’envers » dès lors que le début du processus ressurgit à la fin.

Dans son essai, Bernard Ceysson positionne la peinture d’Yves Zurstrassen dans le contexte pictural international, surtout américain et français, en la confrontant aux pratiques et aux écrits des peintres de sa génération, à savoir principalement les Stella, Lasker et Halley. En recherchant ce qui le distingue, il note la difficulté de cerner cet art dans une « prolifération de variétés d’abstractions » et dans le constat de la fin de la modernité. Il examine le rôle des petits formats, du noir et blanc ; émet des hypothèses qu’il questionne, relative, voire rejette ; parle d’abstraction narrative plutôt que construite ou conceptuelle ; évoque l’ornement, le décoratif, le pattern, ainsi que l’engagement physique et la relation à la musique de Jazz. « Bref, rien n’est simple » écrit-il en avançant notamment la notion « d’abstraits pas abstraits » reprise de Peter Halley. Il en arrive à pointer « une double fin » dans la démarche de l’artiste : « créer une peinture relativement autonome dans son ‘langage’ figuralement abstrait, et l’établir en analyse visuellement critique ».

Yves Zurstrassen, Jouer la peinture, 160 p., ill. coul., 2023. Éd. Musée Picasso, Antibes : Fonds Mercator.

Disabstraction

Parmi les expositions récentes en galeries, il en est une qui a peut-être échappé à votre vigilance. Elle était pourtant de première importance dans la mesure où elle pouvait résonner tel un manifeste pour une peinture libertaire aussi inventive qu’héritière de toute son histoire. Une peinture qui, du coup reprend un sérieux coup de jeune et s’ouvre des horizons. Chaque œuvre est en soi un sujet riche, chargé d’un passé et affirmant un présent ouvert. Un manifeste lancé par quelques artistes, peintres et sculpteurs, bien actuels : Tatjana Gerhard, Aurélie Gravas, Sven ‘t Jolle, Julien Meert, Nadia Naveau, Sébastien Reuzé, Franck Scurti, Sophie Ullrich, Carole Vanderlinden et Xavier-Noiret Thomé, commissaire de l’exposition Disabstraction Sunrise qui s’est tenue en la Plus-One Gallery à Anvers (24.02-24.03.24). Heureusement un ouvrage publié en fin d’exposition en garde la mémoire visuelle et cerne le propos en deux textes (en anglais). Abordant la question de l’abstraction en opposition à la figuration, Xavier Noiret-Thomé note qu’au « tournant des années 1960, aux États-Unis, des artistes tels Jasper Johns et Robert Rauschenberg s’affranchissent de l’hégémonie de l’abstrait en réintroduisant la figure et le réel dans leur art ». « Par la suite, les Allemands Gerhard Richter et Sigmar Polke ont également fait tomber les frontières entre abstraction et figuration », ouvrant ainsi « un champ de possibilités infini où l’on peut naviguer entre figures pop, monochromie, tachisme, narration souterraine… ». C’est précisément en cet espace libre que s’expriment les artistes réunis en cette exposition. De son côté, Konrad Bitterli, directeur de musées en Suisse, note que « depuis les années 1980, le postmodernisme a définitivement permis de rouvrir le champ des possibles en peinture » et qu’« après la fin du modernisme » les artistes « formulent un hybride pictural » et que pour « la jeune génération d’artistes abstraits, les contradictions historiques semblent de toute façon résolues depuis longtemps : abstraction et représentation ».

Disabstraction Sunrise, 112 p., ill. coul., 2024. Éd. Out of Paper, PLUS-ONE Gallery, Anvers.

Claude Lorent

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