Etc. II. Fugue – le songe de la source

ETC., une exposition collective avec Jeanpascal Février, Pierre Martens et Alain Sicard ETC., une exposition collective avec Jeanpascal Février, Pierre Martens et Alain Sicard L’ahah #Moret 24-26 rue Moret, 75011 Paris1 - 22 juin 2024 © Illés Sarkantyu

Jeanpascal Février, Pierre Martens et Alain Sicard associent leurs démarches pour exposer à l’organisation parisienne « ahah ». L’évènement, intitulé ETC., a lieu du 01er au 22 juin 2024 rue Moret. Point(s) en suspens, ces trois démarches font surgir des fugues au fil de la couleur, par-delà (ou justement à travers) les formes. Elles invitent, indépendamment ou de concert, à mirer la source de l’œuvre d’art : et dans ce reflet, ses possibilités (anciennes, donc exposées, ou à venir). Répondant à l’esprit d’ouverture tout expérimental du lieu, la vocaliste plasticienne Bénédicte Davin rejouera l’exposition, étoilant le geste, au dernier jour à 19h.

Lire ahah laisse entendre diverses expressions humaines, à commencer par le rire et la surprise. Le mot est aussi équivalent du saut-de-loup, ouvrage paysager (1).  C’est avec ces prédispositions que l’exclamation (et sens architectural) a donné ses lettres à une association parisienne fondée en 2017. Actuellement dirigée par Marguerite Pilven (2), celle-ci possède deux espaces (plus un lieu d’expérimentation) dans la ville et propose au public une programmation ouverte à la transdisciplinarité artistique. Variée dans les offres qu’elle décline (expositions, publications, collaborations et rencontres), elle accompagne des artistes plasticiens sur le long cours. Ces derniers (3) recoupent la France bien sûr, mais encore le Royaume-Uni, l’Estonie, les Etats-Unis, l’Allemagne, les Pays-Bas… ou la Belgique (4).

Pierre Martens, Alain Sicard et Jeanpascal Février y montrent, à partir du 01er juin 2024 (espace Moret), l’exposition ETC. : un travail très fin sur la rencontre des limites, expérimentant plastiquement la manière de trouver un hors-champ dans le champ.

La pratique du peintre français Alain Sicard a notamment tiré parti du continuum pictural ou sculptural ayant caractérisé l’histoire de l’art, faisant resurgir sur papier la décantation de ses réminiscences. Des écrans portent à nos regards un défilement de détails, de figures glanées (sculpturales ou peintres), nourrissant comme substrat, ce que son geste a pu investir proprement.

Ces images inscrivent également les propositions des trois artistes dans un contexte réflexif : une dialectique d’œuvres en œuvres à travers le temps (histoire de l’art, histoire des pièces) et l’espace.

Les larges feuilles exposées par Sicard sont caractérisées par leur résistance et ont une résonance dans les arts du livre et de la reliure (rendu manifeste par la décision du pli, ou les reliquats d’un travail sur la marge). Retrouvant, pour ainsi dire, l’écorce d’un fond aplati, déjouant en grains et couleur le sentiment de relief, apparait en une séance ultérieure l’architecture d’une peinture fulgurante.

Dans ces séries, les références cèdent peut-être encore plus de place à l’empire de l’instant. C’est une pure action qui saisit la main, le tracé vit ses instants en minutes, le transport gagne la corporéité. Un élément vient arrêter le procès et l’acrylique repose en eau dormante : le résultat est jugé sans appel, l’épreuve a comme quelque chose de photographique, au rythme de la sensation. Toute en variété, l’intelligence de la main se prolonge du potentiel de l’esprit, prêtant à chaque composition une origine indiscernable, semblant chercher leur futur dans le regard. On peut apprécier « l’en soi » d’une des œuvres qui rompt toujours avec les autres, mais on y trouve aussi, une ligne de fuite, un ailleurs qui nous invite à le suivre.

ETC., une exposition collective avec Jeanpascal Février, Pierre Martens et Alain Sicard L’ahah #Moret 24-26 rue Moret, 75011 Paris1 – 22 juin 2024

Les prises de la finitude marquent de nombreuses aspérités du travail de Jeanpascal Février : c’est la vague humaine de la figure qui décharne ou charne les contours de silhouettes dans un jeu d’abîme et de ressac pictural. Le regard contemplatif chavire dans les fonds organiques de nos intimités.

Se laisse à voir la vérité du corps, qui s’échappe en études colorées ou vides, fragmentant les constituants de la peinture pour la représenter de plus belle (si l’on accorde au portrait une qualité « chromosomique » de l’histoire de l’art). La géographie qui se mire dans ces créations, met en tension la carte et le territoire de l’œuvre. Les réseaux et nodosités (induites, effacées, exacerbées) dévient les géométries et perspectives d’une tradition ancienne pour affluer sur un rendu insaisissable.

Ce potentiel indéterminé est renforcé par l’enracinement de caractères abstraits, frises déroulant l’unité primordiale de l’écrit et du dessin (5) : une autre grammaire émerge (comme le remous de ses phylactères, éclatant leur origine légendaire) et fuse vers les horizons infinis du sens.

Suivre l’allure de Pierre Martens (plasticien et esthète belge) nous porte à décrocher une autre clef des champs. N’y a-t-il pas quelque extase à désosser un objet de sa destination utilitaire, ou à l’engloutir dans les couverts d’une forêt décorative ? Les matériaux oubliés de nos constructions ou de nos habitudes inégales trouvent, dans ses créations, la possibilité de se sublimer. Voici un acte de révolte joyeuse où l’accident retrouve sa majesté et le plaisir visuel prévaut.

Chassant-croisant le Minimalisme en une fine exubérance, l’Arte povera en dissimulation, le Pop art en isolement, le courant Supports/Surfaces en subjectivité, l’œuvre de Pierre Martens se gagne et se dérobe dans l’énigme qui la lie au milieu qui l’entoure. Les séries de barres exposées sont spontanément peintes de motifs dont la régularité se trouve, par endroits, suspendue. Les espacements entre les pièces mêmes laissent entendre, par leur composition rythmique, une forme de sonorité. Un espace, un silence, vient requestionner l’ensemble de la partie ou du tout.

On retrouve également, là et dans ses autres travaux, un appétit de lumière et de contraste, exploitant un authentique plaisir de la forme. Alors que les barres ressortent vers la pièce, la géométrie des autres pièces absorbe le regard dans une sensation de profondeur. Le regard se pose, fuit, joue dans les différents effets de la composition (granularité, transversalité, correspondance ou non dans l’association des figures, liaison au support). Les associations des objets « en » eux, entre eux, avec le lieu, leur confèrent une voluptueuse autonomie, n’ayant guère d’autres attaches que celles d’un libre choix de l’artiste ou du spectateur.

La synergie de ces œuvres pourra faire éclore un parfum de jouissance, et il n’est pas interdit d’y trouver une silencieuse musicalité en ce que l’une s’offre en contrepoint des autres. C’est là le trait d’union de points en suspension proposés à l’ahah, pliés vers la nuit ou ouverts vers d’autres futurs comme asymptotes : nous sommes sur le balcon et contemplons les lignes sans fond de la falaise, la lumière réfléchissant les tréfonds, la grammaire du possible. Et peu à peu, le souvenir d’une figure.

Pour donner d’autres voies à la surprise, et « prolonger le regard », on assistera à la performance de Bénédicte Davin (6): celle-ci conclura l’exposition, le 22 juin à 19h, en ouvrant une « conférence gesticulée ». Cette œuvre inédite, et complice du mouvement des trois artistes, promet d’articuler (ou de désarticuler) bien des possibles au magnétisme de l’exposition. Instant choisi, à ne pas rater, en dialogue avec Kafka (Le procès) et Gherasim Lucas (À gorge dénouée).   

Hadrien Courcelles

Jeanpascal Février, Alain Sicard, Pierre Martens
& Bénédicte Davin (performance)
ETC.

L’ahah
24-26, Rue Moret
75011 Paris
Du 1.06.24 au 22.06.24
Du mercredi au samedi de 14h à 19h (et sur rdv)
Site web : L’ahah | Accueil (lahah.fr)

[1] « Ouverture qu’on fait au mur d’un jardin, avec un fossé en dehors, afin de laisser la vue libre. » Dictionnaire de l’Académie française, 7e édition.

2 Par ailleurs écrivaine et commissaire d’exposition spécialisée dans l’art contemporain.

3 On les retrouvera bien sûr, en partie, sur le site de l’association : L’ahah | Accueil (lahah.fr)

4 Bernard Gaube est ainsi associé à l’Ahah.

5 On comprendra bien cette unité en pensant à l’art calligraphique.

6 Plasticienne, vocaliste, comédienne et chanteuse

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