Au rendez-vous des animaux : des zoos imaginaires à visiter

"L'Enfant prodige" d'Auriel Quiros Miramontes (mousse de polyuréthane - gélules médicales), 2014.
"L'Enfant prodige" d'Auriel Quiros Miramontes (mousse de polyuréthane - gélules médicales), 2014.
« L’Enfant prodige » d’Auriel Quiros Miramontes (mousse de polyuréthane – gélules médicales), 2014.

Jean-Pierre Vlasselaer a rassemblé des créations diverses d’art animalier d’époques variées et de factures variables. Il signe aussi un catalogue inventif en sa mise en page et en ses propos. Par ailleurs, une galerie tournaisienne accueille Pascal Bernier et ses bêtes éclopées. Avoisinant les époques, mêlant travaux d’artistes et production industrielle, le TAMAT réunit d’abord des créateurs d’aujourd’hui, jeunes en général, qui appréhendent la nature actuelle à la fois dans sa réalité et dans notre imaginaire. La galerie Rasson étale les réflexions de Bernier à propos de l’évolution de notre civilisation vers une certaine violence et une catastrophe écologique.

Comme pour certains autres artistes animaliers d’aujourd’hui aussi disparates que Koen Vanmechelen, François-Xavier Lalanne, Michel Jaubert…, il ne s’agit plus comme autrefois, de reproduire l’animal de manière purement réaliste.

Mythes, démons, fantasmes

Le Tamat de Tournai se laisse envahir par des créatures qui se réfèrent à l’animal autant qu’aux fantasmes que les hommes portent sur ces créatures qui l’entourent, l’aident ou le menacent parfois, le nourrissent aussi bien gastronomiquement que psychiquement.

Ainsi la nuée de corbeaux de Thomas Le Plas qui se présente un peu comme dans le film d’Hitchcock « Les Oiseaux ». Ces volatiles de fil de fer et de plastique, « fossoyeurs de notre espace » dispersés çà et là, impressionnent, en suspend ou posés sur un socle, prêts à prendre un envol dont on entendrait presque le bruit des ailes. Celles-ci et celles imaginées en latex par Anne Liebhaberg. Ces œuvres, associées à des dessins fantasmatiques, défroques dont ne sait quelle créature, ange ou oiseau de proie. Inquiétant aussi ce contraste entre la légèreté de la dentelle et la silhouette rouge vif d’un chevreuil ou un renard aux allures d’écorchés qu’a réalisé Lou Roy.

Troublant également, ce cheval tombé, sanguinolent, écartelé, que signe Aurel Quirōs Miramontes. Idem pour sa « Sagittation », être hybride apparenté au centaure, aussi en mousse de polyuréthane, qui a l’air de sortir d’une exploration du côté de siècles dont les statues polychromes nous sont parvenues marquées par les morsures du temps. Par contre, « L’enfant prodige », fantasque créature, ondulante, instable sur ses jambes filiformes, dessous le sourire qu’elle inspire, porte en elle et sur elle nos peurs et nos addictions médicales puisque agrémentée de centaines de gélules. Car ce sculpteur réfléchit sur notre évolution, notamment, avec cette accumulation de vertèbres en plâtre qu’il intitule «le poids de l’héritage».

En effet, l’expo, outre les jeunes créateurs invités, s’étend sur bien des époques. Ainsi, telles enluminures du XVe, telles tapisseries des XVIe et XVIIe, telle estampe du XIXe ou masque du XXe japonais avoisinent les créations contemporaines, tant il est vrai que l’animal est un sujet intemporel. L’art lui-même est susceptible de rejoindre l’inventivité industrielle puisque d’étranges et bariolées figurines de jeu venues du Japon, les ‘bakemonos’ (monstres), ‘mononokes’ (esprits vengeurs), fascinent. Avec leurs formes baroques, leurs coloriages criards, leurs organes vénéneux, elles invitent à pénétrer dans un monde plein de métamorphoses et de périls à la fois redoutés et espérés.

Synthèse des liens qui relient passé et présent, la tapisserie ‘Peau de licorne’ de Nicolas Buffe, grand prix 2010 d’Aubusson. Elle allie tissu et porcelaine avec leur technique à l’ancienne et des motifs puisés dans la modernité. Le thème de l’animal fabuleux des légendes mayas ou européennes est à moult réminiscences actuelles. Elles sont puisées dans le dessin d’animation, entre autres chez Tex Avery ou Walt Disney, dans l’imagerie familière des jeux vidéo, dans d’insolites cohabitations qui renouvellent le mythe.

Emma Saunier s’intéresse au milieu maritime. À l’instar de Le Plas, elle a installé dans l’espace un banc de poissons en céramique. Ils ne sont pas intacts car aujourd’hui plus qu’autrefois les individus qui vivent en société sont marqués par ce qui leur arrive, tout comme la nature est éreintée par ceux qui l’habitent. L’artiste prolonge sa réflexion par des ‘Labo de peau’, sorte de pastiche de tableaux didactiques, où s’exhibent des fragments marins arrachés à leur milieu et à la vie.

Myriam Hornard s’intéresse au cycle de la vie, non sans une certaine ironie. Son ‘Œuf d’autruche’ d’où sortent des éclats de rire ingénus ou sardoniques, indique assez que être vivant n’est pas sinécure. Il n’en restera que des os ou des cornes, parfois gravés pour quelque cérémonie occulte ; les faces se réduisent à une collection de museaux.

La mort hante sans doute Hanna Connier. Elle agence une sorte d’officine qui n’est pas sans rappeler le fameux musée forain Spitzner. Dans des bocaux, elle a conservé ceux qu’elle a baptisés ses ‘Hybridaire’, créatures inventées. L’atmosphère est ici étrange, teintée d’une sorte de recueillement que la fiction rend dérisoire face aux mutations génétiques réelles qui se préparent.

Araignée, chien et serpent, tissés par Stephan Goldrajch ne semblent guère pacifiques. Par contre, ses masques simiesques en assemblages de tissus et laine crochetée ne cachent pas un humour plutôt amusé, un rien provocateur même. Ils contrastent avec la stylisation symbolique de masques japonais issus de la tradition. Ils ont quelque rapport de matières avec les marionnettes de Justine Denos, énigmatiques et peut-être chargées de sorts à jeter, à l’instar de poupées vaudou.

Rien à voir, par contre, avec l’installation qu’elle présente plus loin. On pénètre alors dans une sorte d’igloo fragile, composé de blanches bâches en plastique vaporeux, agitées par un courant d’air permanent, souffle de vie qui frôle une masse noirâtre en fourrure synthétique, méduse liquéfiée, maintenue en vie avant de se répandre, de reprendre mouvement vers dieu sait quelle diffusion épidémique.

Les têtes de bonobos revues par Tatiana Bohm sont plus sympathiques avec leurs colorations en réseaux de lignes multicolores. Alors que ses singes en dentelles de métal fonctionnent plutôt dans le revêche. L’animal dont Sofia Baldan façonne le visage serait sans doute l’homme. Du moins l’être consommateur, puisque sur la sphère de sa figure et de son crâne sont tatouées des broderies chatoyantes dédiées à des marques commerciales de la mondialisation économique. Une exubérance de coloris qui jurent avec la sobriété des silhouettes féminines imprimées sur tarlatane, enroulées sur des bobines, prêtes à défiler comme défilent les âges de l’existence des humains.

Nicolas Miranda Matzua, dans une veine très recyclart, soude les éléments d’une faune métallique grimaçante, acérée, hérissée, agressive, avatar bestiaire des mécaniques qui broient le labeur des travailleurs. Alors qu’Anne Orban lui oppose l’immaculé de sa porcelaine et du feutre, reconstituant, en guise de refuge, un ventre de baleine où, tel Jonas, nous pourrions avoir envie de trouver refuge, loin des outrances de l’industrialisation.

Écologie, mises en garde

Chez Pascal Bernier, la mort rôde sans cesse. La violence aussi n’est pas loin. Mais comme l’artiste est resté un grand enfant, le rire est rarement absent. Car ici, ce qui domine est l’humour noir. Autrement dit un humour qui provoque l’hilarité, à tout le moins le sourire. Sans néanmoins gommer la réflexion.
Une réflexion plurielle à propos de la précarité de la vie, des dégradations écologiques catastrophiques, des rapports entre nature et culture, de la contingence de la destinée humaine, des rapports entre force et faiblesse. Car rien n’est gratuit chez ce créateur belge parmi les plus intéressants qui poursuit de manière très personnelle l’esprit d’un Marcel Mariën, qui accompagne d’autres artistes porteurs d’un similaire regard ironique et malicieux à la fois sur notre monde actuel comme Christophe Terlinden.

Avec un travail minutieux, impeccablement réalisé, Bernier impressionne, interpelle. Ses animaux naturalisés, donc grandeur nature, appartenant à sa série ‘Accidents de chasse’, arborent des bandes velpeau pour dissimuler les blessures que nous leur infligeons. Debout, ils gardent leur fierté, installés dans l’espace comme s’ils vivaient encore pour nous adresser des reproches. Au sol, terrassés, ils inspirent la pitié, comme ce marcassin nouveau-né en position embryonnaire, inerte.

Le rapport avec la sauvagerie humaine s’établit par le biais de changements discrets. C’est le cas de ces papillons, en boîte de collectionneurs, dont les ailes se parent de signes empruntés à des armées de l’air qui participèrent à quelques-unes de ces guerres sanglantes du XXe siècle. Leur beauté naturelle associée à ces sigles de barbarie crée un contraste évident.

Que dire aussi de cette mygale associée à la dentelle de Bruges ? De ces boites à sardines surmontées d’un crucifix, tombeaux chargés de symboles à plusieurs degrés d’interprétations ? De ces têtes de mort qui apparaissent sur toile grâce à la juxtaposition de confettis issus de carnavals supposés débridés ?

Sans oublier ces vanités du genre de ce duo de crânes immaculés coinçant de concert un os entre leurs dents tandis qu’un œil borgne, goguenard, semble se moquer du monde. Ni ce monumental ours en peluche en train de copuler allègrement avec une ourse blanche d’origine, bichonnée auparavant par un taxidermiste patenté.

Une mise en garde donc de ce que nous sommes, de ce que nous risquons de devenir à l’avenir. Et ce avec un sourire qui, sous les lèvres, grince un peu des dents. Mais c’est pour mieux prendre nos distances avec des peurs ancestrales, des pulsions sournoises ou une désinvolture naïve.

Michel Voiturier

« Les tissus de nos démons » au TAMAT, 9 place Reine Astrid à Tournai , prolongation jusqu’au 13 avril 2015. Infos : 069 84 20 73 ou www.tamat.be . Catalogue : Jean-Pierre Vlasselaer, « Les tissus de nos démons », Tournai, Tamat, 2015, 160 p.
« Pascal Bernier » en la galerie Florence Rasson, rue de Rasse à Tournai jusqu’au 8 mars 2015. Infos : 32 (0)69 64 14 95 ou + 32 (0)474 93 50 22 et sur http://www.rassonartgallery.be/

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