Tournai : Art dans la Ville, année 23

Dessin de Valfret ©MV. Flux News

L’ampleur actuelle du projet est quasi impossible à couvrir. Plus de 50 lieux, une soixantaine d’expositions, 300 artistes répartis en ville mais aussi dans des entités périphériques comme Péruwelz, Estaimpuis, Mouscron et quelques restaurants.

Durant les trois si courtes semaines que dure cette manifestation, il se passe tant d’événements qu’on est forcément frustré, d’autant que certains lieux sont accessibles uniquement durant les week-ends… Quoi qu’il en soit, en matière de culture, mieux en avoir trop que trop peu. Alors, faute de tout relater, picorons çà et là au gré des possibilités comme chacun sera bien contraint de faire.

Du design amusé à l’imaginaire fantastique

À l’Office du Tourisme, pivot de l’organisation, c’est le designer Nicolas Destino qui a installé avec humour ses hommages à la Belgique unitaire. Objets impeccablement réalisés avec dominante noire mais des rappels ponctuels du rouge et du jaune. Armoire, table basse, porte-clés, horloge… affirment leur identité nationale par quelques détails amusés qui échappent à l’ironie tout en souriant de nos ridicules différends.

En l’église Saint-Jacques, un peu égarés dans la vastitude du lieu et la semi-pénombre de l’endroit un peintre et un photographe. Bruno Gérard y accroche des compositions qui poursuivent sa démarche initiale du mariage entre le blanc et le noir. Il a depuis assez longtemps évolué dans ses expériences d’écritures picturales jusqu’à leur donner aujourd’hui une ampleur gestuelle que favorise la surface de ses grands formats.

Sur fond immaculé, il appose ses plages obscures, les racle, les griffe, y inscrit des sillons. Le mouvement impose sa mobilité. Ce sont des passages circulaires, des fuites de planètes en virage cosmique inscrites sur les tableaux. C’est une pénétration organique au creux des veines d’une mine, des traces végétales d’un aubier. Ce sont des déferlements de matière carbonifère, des écoulements en voie de figement vertical sur des toiles alignées comme de monumentaux kakémonos.

Ces ‘noir et blanc’ s’harmonisent parfaitement aux paysages photographiés par Jacques Robert. La texture des sols, les silhouettes des arbres ou les branchages dispersés à terre, une certaine désolation territoriale renvoient aux graphismes, à la répartition du clair et du sombre chez Bruno Gérard. Les deux artistes étant sensibles à l’environnement.

Dans les locaux de « Danse et Cie », une cohabitation surprenante entre les sculptures de Jean-Claude Saudoyez et les assemblages de Pierre Courtois. Le premier est un peu perdu dans le vide de salles désertées provisoirement par les danseurs. Ses armures en métal, destinées à des corps sur lesquels elles auraient été moulées, attendent, suspendues qu’on écrive leur épopée. Chacune a sa présence affirmée par l’un ou l’autre détail qui prend valeur symbolique pour une armée d’outre-temps.

Le second, desservi par la trop grande clarté de l’endroit reflétant la lumière sur les vitres des œuvres, propose des assemblages délicats, alliant dessins et collage d’éléments. Ce sont des plans, parfois en partie maquettes à cause du relief de certains détails. Ils ont des tracés et des commentaires en mots et en chiffres d’une précision d’ingénieur. Ainsi apparaissent par exemple des indications géographiques. Même si l’usage de ce qui est présenté semble souvent aléatoire, la rigueur scientifique leur donne une crédibilité réelle. Si bien que leur aspect onirique a l’air d’être incarné au présent dans la vie concrète.

De la méditation sereine à des contes débridés

Certaines expos déçoivent. C’est le cas des œuvres de Nin Van Nin réunies dans la crypte de l’Hôtel de Ville. Les peintures sont d’apparence méditatives. Les compositions surgissent à partir de fond faussement monochromes car fourmillant de nuances dues à la lumière. Des sfumatos rendent un univers flou au sein duquel se situe un point focal. Des formes géométriques ébauchent des symboles de quête spirituelle. Des successions de rectangles suggèrent des portes à passer avant d’aboutir à la sérénité. Il y a là une hésitation entre une abstraction gestuelle et une géométrique, entre luxuriance spontanée et froide maîtrise.

Les sculptures qui les accompagnent sont de même genèse. Si elles s’inspirent de formes et de motifs liés à des objets historiques du patrimoine tournaisien, elles ne convainquent pas totalement dans la mesure où, transformées en objets de design par l’adjonction de diodes luminescentes, elles éblouissent au lieu de valoriser le travail du sculpteur.

L’Espace bis de la Maison de la Culture accueille Valfret, un de ces francs-tireurs de la bande dessinée qui aiment jouer les iconoclastes et les provocateurs. Son univers noir et blanc se caractérise par ce qu’on nommerait volontiers des traits-cactus. En effet les lignes qui composent personnages et décors sont hérissées d’une multitude de pointes acérées. Ses créatures tiennent du fantasme, de mutations génétiquement modifiées, d’un recoin de la mémoire de légendes mystérieuses de jadis.

D’autres planches, à la ligne moins agressive, appartiennent aussi au grouillement, à l’accumulation forcenée de créatures et de détails de leur comportement. Cela se retrouve dans les travaux multicoloriés. En dépit des tons un peu passés – notamment des roses façon dragées – la violence y est latente. Elle se décode dans des particularités anatomiques ou gestiques car ces régions inventées ont des habitants sans cesse en actions. C’est animé à l’extrême, survitaminé, inventif, déconcertant… Il est vrai que là-bas, tout est possible : les gens, après lessive, suspendent leurs sous-vêtements sur l’arc-en-ciel ! Là encore, la clarté externe se reflète sur les vitres des cadres et pollue un peu la vision.

Michel Voiturier

Le programme complet avec les adresses des différents lieux et les périodes d’accessibilité jusqu’au 25 octobre est téléchargeable sur http://www.artville.tournai.be/art-ville/edition-2015/

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