Paysages : photographiques, acryliques, organiques

Dunkerque © V. Jendly

Aire maritime en photos et vidéo qui décryptent le paysage portuaire et la traversée des océans au Château Coquelle. Paysages architecturaux  acryliques et territoires organiques en expansion au FRAC. Façons diverses de représenter l’environnement. Enfin, cadeau des 40 années d’existence du FRAC dunkerquois : des extraits de la collection en lien avec la mer.

Imagerie maritime

Dunkerque se prête à la photographie surtout lorsque Vincent Jendly (Fribourg , 1969) s’en empare pour mettre en nos regards les contrastes produits par la rencontre de l’obscurité avec les éclairages artificiels qui ponctuent l’espace nocturne.

Un port, ce sont d’abord des installations industrielles, des mécaniques pour transborder, des outils de travail. Cela donne un territoire à dominance métallique avec des tuyaux, des tours, des structures en échafaudages, des rails, des engins comme des grues. C’est un paysage à géométrie variable, y compris des fumées qui se joignent aux nuages. Une alliance de l’acier avec le béton.

Jendly pénètre dans un hangar où gisent des entassements de cailloux ou de graines au cœur d’une demi-pénombre. Il longe des tas de terre, de sable ou de minerais, des blocs minéraux dispersés au sol. Parfois de maigrichonnes touffes végétales. Il surprend des oiseaux au rendez-vous de deux massifs silos.

Synthèse d’une perception des nuances ambiantes : ce passage du sombre au clair d’une trace de pneu sur un sol mi-boueux mi-bitumeux à partir du relief d’une ornière. Crépuscule ou nuit créent des panoramas dans lesquels s’installent peu à peu l’obscurité. Alors ce qui surgit de fascinant, c’est la présence du blanc par rapport au noir. Afin de combattre ce dernier, ne serait-ce que, parfois, un unique point de clarté. Perceptible aussi sur un bateau en beau milieu de brume. Ou c’est encore fumeroles s’élevant derrière un terrain déchiqueté.

Le photographe n’oublie pas les humains. Ils sont martiens dans la fournaise, statue plantée dans la caillasse, visage saisi comme posé sur sa barbe ou famille ordinaire qui fait mine de se croire en villégiature tandis qu’au sol s’étirent les ombres de chacun.

La vidéo proposée par Lena Maria Thüring (Bâle, 1981) rend compte d’une traversée de vingt-sept jours sur un cargo. Deux films se déroulent côte à côte formant une seule vision. Celle des hommes à bord qui se chantent des refrains nostalgiques  pour casser l’ennui. Celle de la mer qui se houle, indéfiniment pareille, ponctuée régulièrement par des images des ports d’escale tous un peu similaires. C’est une œuvre au sujet de la monotonie d’existences en perpétuel esseulement, du temps qui passe semblable à lui-même mais inexorablement.

Paysages invisibles, territoires organiques

Outre d’avoir pratiqué l’estampe, Marina Vandra (St Germain en Laye, 1991) a travaillé des scénographies pour la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker . Elle présente au FRAC douze tableaux  en variations sur un même thème : « Possibles fenêtres ». 

C’est en premier lieu un hymne à la couleur. Conçue sur un fond vert, rose ou bleu aux multiples nuances, chaque toile reçoit  ensuite d’autres coloris répartis en zones géométriques. Rien de virulent dans ces choix car tout ici est en quelque sorte pastellisé.

L’espace s’organise en zones, souvent horizontales, en général trois ou quatre. Mais il arrive que certaines soient habitées par des aires moins étendues insérées, agrémentées de coloris en harmonie. Sans être purement abstraites, ces peintures mélangent de la géométrie élémentaire conforme à la tradition scientifique et des éléments plus libres, plus fantasques parfois qui, par allusion ou analogie, rappellent des réalités connues (nuages – végétation – coulées liquides – paysages – reflet sur vitre – rideau ou tenture) sans oublier croisées et croisillons, chambranle et meneau. Des lignes ou des traits sont également susceptibles d’évoquer rambardes de balcon.

L’artiste avoue volontiers qu’elle « aime produire des formes à la fois douces et énigmatiques, des formes qui suscitent la contemplation et le silence, rien de trop bruyant, rien qui délivrerait un quelconque message. » Une sérénité se dégage de la douzaine de compositions qui évitent la tentation d’être décoratives. Car à l’inverse de servir uniquement d’appoint au décor ambiant, elles contiennent dans leurs nuances chromatiques et dans l’agencement des formes un pouvoir attractif.

On a aussi la faculté de s’interroger, en trouvant soi-même les raisons, sur ce qu’il y a à l’intérieur de ces immeubles dont on ignore la façade.  À moins, en tant que visiteur, s’inventer le paysage censé être derrière soi en train d’observe l’œuvre. Superbe outil pour stimuler son imaginaire personnel.

Changement d’optique et de procédés chez Guilhem Roubichou (Toulouse, 1991). Il ne peint ni ne sculpte. Il bricole, accorde sa confiance au hasard, à la nature afin que tous deux poursuivent son travail en prenant le relais de la création. Toiles métalliques, jerrican et réservoirs d’eau, pneus… sont les supports de ses œuvres. Ils accueillent des fragments de vivant. Ceux-ci sont amenés à se développer grâce, notamment à des arrosages automatiques. 

Le temps est ici littéralement à l’œuvre. Il la façonne et nous fascine. De ces objets banalement industriels, Roubichou produits des pièces artistiques en devenir. Le mystère d’une vie organique se concrétise sous les regards des visiteurs, soumis à des interventions sonores et sollicités par des odeurs répandues dans l’espace. Le sensoriel est témoin des métamorphoses des matières qui sont en voie de tenter de « survivre dans un environnement complètement dénaturalisé ».Ce en quoi l’artiste s’insère dans un courant qui se soucie des transformations planétaires suite aux excès de la course au profit.

 Sur le sable des plages

Fruit de la sédimentation du phytoplancton, une pierre calcaire retravaillée grâce au fraisage numérique par Nicolas Floc’h agrandit une diatomée, algue unicellulaire devenue sculpture. Macramé, cire, métal et tournesol forment un bouquet fané figé en élan vertical désormais au-delà de l’éphémère par Sarah Feuillas.  

Erez Nevi Pana propose un étrange tabouret changé en statue de sel suite à un séjour prolongé dans la mer Morte. Une façon de suggérer les changements écologiques. Ilanit Illouz  photographie des fragments paysagers qu’elle immerge dans cette même mer, réalisant de la sorte une strate cristalline qui souligne davantage l’aridité de la vallée de Wadi Qelt. De son côté, le Bruxellois Charley Case dépose spontanément sur le papier des formes en mouvement ; il les retravaille ensuite pour y faire surgir des évocations d’embarcations et de migrants pris dans une houle qui prend parfois l’allure d’un dragon. Ce mélange d’abstraction gestuelle et de présences figuratives évoque les tragédies fréquentes que connait la région de Calais.

Smarin a conçu des canapés en forme de galets plus ou moins monumentaux. Leur aspect minéral est démenti par le confort qu’on y trouve lorsqu’on prend le temps de s’y asseoir pour voir, par exemple, la vidéo de Capucine Vever pour avec elle voguer sur un paysage maritime depuis un phare tandis que des commentaires s’égrènent à propos du trajet de cargos invisibles mais réels ; puis surtout apprécier le travail de la modification d’une même image lorsque l’acide qui mord la plaque métallique de la gravure accroît peu à peu la surface encrée. Contraste violent du blanc avec le noir.

Helen Mirra a choisi le minimalisme conceptuel pour synthétiser le littoral en accolant deux couvertures de l’armée, l’une de terre et l’autre de mer. Image mentale suscitée par la présence duelle de deux objets ordinaires. Les clichés pris par Ria Pacquée montrent la plage de Malo-les-Bains  dont la plate étendue de sable est perturbée visuellement par la verticalité d’éléments étrangers de l’aménagement. Hans Haacke  intègre le mouvement par l’intermédiaire d’un voile de mousseline de soie bleue animé par un ventilateur, élégance délicate de remous éoliens ou marins. Du bleu encore avec les fluctuations picturales de Christine  Deknuydt. Traces spontanées assaisonnées de mutations internes selon la nature du support et/ou les produits chimiques utilisés.   

Les châteaux de sable de Marie Bourget © FRAC Hauts-de-France

Clin d’œil anecdotique pour terminer avec des cartes postales, des affiches touristiques, des jouets de plage désuets, le tout complété par une parodie sérigraphiée et joyeusement colorée d’un chapeau de papier signé Roy Lichtenstein ainsi qu’une photo couleurs d’ Ali Hanoon qui allie plaisir corporel des jeux acrobatiques sur le sable, les attractions ludiques ajoutées aux  aménagements pour vacanciers dans une luminosité de saison chaude. Quant aux châteaux de sable chers aux enfants, c’est Marie Bourget qui s’en est chargée à travers des œuvres qui, sous des signes apparentés à des idéogrammes, rappellent que cette activité est ludique.

Michel Voiturier

  « Anthropocène » et « Hanjin Palermo » jusqu’au 17 décembre 2022 au Château Coquelle à Dunkerque. Infos : 00 33 328 63 99 91 ou www.lechateaucoquelle.fr ; « Possibles fenêtres » et « Déployer-Croiser » jusqu’au 31 décembre 2022 ainsi que « Les pieds dans le sable » jusqu’au 23 avril 2023 au FRAC Grand Large de Dunkerque. Infos : 00 328 65 84 20 ou www.fracgrandlarge-hdf.fr

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