GRAVELINES. L’énergie du mouvement au bout des doigts

Le musée de la Gravure de Gravelines © DR

Un époustouflant hommage à la vitalité. La quantité d’estampes conçues par Edouard Pignon (1905-1993), rassemblées à Gravelines, donne un éventail assez étendu qui développe une série de thèmes aussi divers que des souvenirs d’Ostende, des études sur le végétal, des combats de coqs, des images de guerres et des portraits de guerriers, la charnalité des corps…

  Bien sûr, il y a quelques portraits ramenés vers la ligne, sans fioritures. Elle y est souveraine. Elle trace des silhouettes. Ce sont dessins qui esquissent des présences. Mais dans la majorité des œuvres, ce sont davantage des gestes graphiques et picturaux qui traduisent le mouvement, la violence, le vivant.

  Pignon, le réaliste, est capable de dessiner à la façon des abstraits géométriques. L’espace, dans les souvenirs ostendais, est souvent circonscrit par des obliques  que montrent mats et voiles. L’ensemble de chaque image apparaît à la façon d’un plateau de théâtre au moment où se lève le rideau et dévoile le décor dans lequel se déroulera l’action. Même lorsqu’il s’agit de scènes narratives comme celle de l’ « Ouvrier mort »  de célèbre mémoire ou celle des moments de grèves.  

  Lorsqu’il est question de transcrire les pulsions, le geste devient plus nerveux, plus disposé à mêler courbes et angles, jaillissement et torsions. Tel paysage avec en motif central l’olivier devient vite une sorte d’allégorie en hommage à la sève qui bouillonne à l’intérieur de la matière afin que l’arbre se développe, ramifie ses branches en défi à la sécheresse des chaleurs estivales. Ce ne sont pas les oliviers de Van Gogh, torturés. Ce sont des témoins d’une vitalité interne se manifestant en tant qu’appartenant au règne du vivace.  Il y a là quelque chose d’implacable et de farouche. 

  Assurément, les combats de coqs, plus ou moins clandestins mais fort prisés dans le Nord français, se prêtent à la traduction du mouvement, de l’action. Pignon se donne à cœur joie de battements d’ailes,  de coups de bec et d’ergot, de bondissements furieux. La couleur, dès qu’elle s’ajoute, jette souvent une dominante rouge, significative d’une joute sans pitié. 

   La vraie guerre, celle que pratiquent les hommes, zèbre de traits acérés des espaces encombrés par les combattants dont on perçoit des bribes anatomiques, des silhouettes d’armes. La pointe sèche sied bien à ce tohubohu visuel. On songe à des phrases de Louis-Ferdinand Céline dans son posthume « Guerre » récemment édité. Lithographies en couleurs, les « Têtes de guerriers » qui appartiennent à une série plus tardive, au moment de la guerre du Vietnam, sont différentes. Les visages seuls sont en partie saisis, sorte de photo d’identité en gros plan.  Les traits sont grossis, non pas pour caricaturer mais pour explorer ce que signifie un humain surpris dans ses pensées lorsqu’il ne sent pas épié. Sûrement juste pour celui qui se présente en soleil moisi. Ou cet autre qui a des allures de paysage  entre roc, verdure et océan.

   À travers la thématique des battages champêtres, c’est encore une lutte qui se poursuit. Celle de l’homme pour récolter ce qu’il a semé. Le battage est évidemment un thème dynamique. L’artiste le voit presque comme une tempête parfois rehaussée de gouache. Ailleurs, ce qui est graphique frise l’abstrait car le trait ne décrit plus, il atteste.

 Toujours mouvementée c’est-à-dire inspirée par l’animation, une succession de plongeurs où l’action corporelle s’allie à celle de l’eau. Les personnages alignés en haut de « La petite jetée » sont signes esquissés dominant un espace sans doute sableux avec dessous les va et vient de la mer en courbes élégantes. « La grande vague », elle, virevolte, danse et tourbillonne, plus ludique que terrifiante. Une autre tournicote et s’emberlificote en elle. Avec « Les plongeurs », c’est eau et corps qui copinent ; battements de chairs blanche et bronzée entremêlées ; mélimélo de membres, de gestes, de couleurs éclaboussées ; trajectoires croisées de nageurs élancés droit devant sur remous ensoleillés.

  Un intermède de tendresse grâce aux rapports adulte/bambin en lino et en litho. Liberté épanouie pour montrer la verte jeunesse surprise en plein jeu corporel ou en élan de curiosité vers le monde.  Et un clin d’œil complice aux clowns de Fellini, à la fois burlesques et touchants. Enfin, voici la chair épanouie des nus, sujet classique s’il en est. Erotiques sans nul doute que ces femmes étendues, détendues, repues, offertes quelquefois, alanguies mais essentiellement charnelles. Non point provocantes mais opulentes, prêtes à la caresse. Qu’elles soient roses, rouges ou blanches, toujours à la présence rassurante, désirante, en toute liberté.

  Une expo dont on ressort avec une énergie renouvelée et une aspiration au plaisir de vivre grâce à la famille de Pignon qui fit au musée de Gravelines un don d’images inestimables. Dommage cependant que les droits de reproduction des œuvres pour illustration ne soient pas libres.

Michel Voiturier

« Pignon, l’œuvre gravé et lithographié » jusqu’au 23 décembre 2022 au Musée du Dessin et de l’Estampe originale à Gravelines (Fr). Infos : 00 33 907 22 12 22 ou  Le Musée du dessin et de l’estampe originale | Gravelines (ville-gravelines.fr)

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.