Masquilier, Annette : faire signes

“Tri sélectif” © Annette Masquilier

L’univers assumé par Annette Masquilier (1966) est celui d’une artiste féminine de la figuration, lucide, caustique, sensible. Cet univers-là est semblable au nôtre. Composé d’êtres et de choses issus de l’ordinaire. Aux uns comme aux autres, elle donne sens particulier à travers les signes qu’elle leur assigne.

L’expression ne se cantonne pas à une technique unique. Outre le dessin graphite, elle se sert de la sérigraphie, de la peinture, du modelage, du collage, du détournement, de l’embossage, du papier mâché, de la céramique. Une variété qui rend plus parlante encore l’intention généreusement engagée de l’artiste.

Des êtres         

Les individus dessinés par l’artiste sont détaillés. Ceux sculptés sont en général réduits à un volume lisse au départ. Les premiers, dessins finement composés, presque exclusivement féminins, se voient affublés d’une tache soit rouge, soit de la couleur du brou de noix, soit d’éclaboussures. Elle dissimule en partie les visages. On y verra un stigmate, un cache dissimulateur, la trace d’un événement violent vécu, une matière opaque par souci de reléguer une personne vers un arrière-plan imaginaire. À moins qu’il ne s’agisse d’une pensée, d’une humeur fugacement perçue.

D’autres portraits, au graphisme plus dense, s’accompagnent de flous ou de surimpressions qui semblent avoir atteint la présence même de ces femmes apposées sur papier. Une pelote de douleur interne met dans une bouche hurlante le cri lancé à l’extérieur. Un couple, dos à dos, est béant avec ses rancœurs serpentinesques cantonnées sous la peau.

Sur la matière des crânes s’incisent ou se greffent des marques, des blessures, des excroissances. Parfois des objets concrets (des pièces métalliques rouillées, un corset d’autrefois bien serré, une ligature en croix empêchant toute parole de passer même par des lèvres absentes ) voire des modifications formelles jusqu’à les transformer en avatar (casque militaire). Et que dire (ou ne pas dire) de cette tête dont la bouche est remplacée par une bonde de douche ou de baignoire ? Il en est deux, plus loin, qui, accrochés au mur, laissent couler leurs tresses de cheveux ainsi que, par analogie, toutes les larmes de leur corps.

La minutieuse description anatomique d’un cœur est loin de la forme à la symbolique stylisée qu’on graverait sur un tronc d’arbre. Elle est médicale, scientifique. Mais la maculation rouge qui le marque est bien sanglante. Entre être et objet, une poupée sous globe exhibe amputations et fractures. Évocation explicite des violences faites aux femmes et aux enfants.

Des choses

Les ironiques porcelaines à apparence d’entonnoir sont en réalité des « Porte-voix de la ménagère », flanqués d’un mot ou d’une injonction. À chacun de décider si ces ordres sortent de la bouche d’une cuisinière à l’adresse de sa famille ou bien de celle du conjoint dominant abusant de son prétendu statut supérieur.

Des volumes immaculés, effilés deviennent des oiseaux sans tête, souillés de quelque goudronneuse pollution. Des fragments de cartes géographiques laissent paraître en leur centre un visage puisque derrière la codification cartographique existe forcément une présence humaine pas toujours perçue par ceux qui parcourent des kilomètres sur notre planète. Métaphorique, voici encore, surgie d’un magma sombre une main portant une lampe à pétrole s’avançant à notre rencontre.

Parmi les œuvres rescapées d’une production antérieure, voici une valise flanquée de la mention « Nouveau départ », incitation aux changements de vies trop victimes. Et cette caisse transparente bourrée de poupées pas toujours entières nous lance au visage un terrible « Tri sélectif » ! Similaires et proches, s’entassent des dizaines de pieds en bois sous l’appellation évocatrice de « Le bruit assourdissant du silence », écho à tant d’images de conflits armés depuis la seconde guerre mondiale.

Autour du langage

Masquilier remet en cause des stéréotypes sociétaux. Lorsqu’un élément est lié à une expression, celle-ci se retrouve réduite à sa réalité initiale. « Juste un doigt » dit-on lorsqu’on ne veut pas être trop servi en boisson. Voilà qui se traduit par un cadre dans lequel est enfermé un index garroté de fil rouge. Une légère distorsion syntaxique et voilà le visage d’un garçonnet propret et tout sourire affublé de « Copie qu’on forme ». 

Une tête de poupon se retrouve sous globe de verre comme autrefois des statuettes de saints. Tatoué sur son front de la mention « Ainsi soit-elle », détournement de la formule rituelle de la religion tandis que bouche et menton sont enserrés dans un réseau de fils qui les clôt à jamais. Un couple en photo à l’ancienne, ne regardant pas exactement dans la même direction, voit ses bouches scotchées par un sparadrap. Intitulé ironique : « Vases communiquants ». 

Michel Voiturier

À la Sécu, 26 rue Bourjembois à Lille jusqu’au 23 décembre. Infos : +33 (0)320 47 05 38 ou http://lasecu.org/exposition-annette-masquilier-133.html

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