« Le mycelium est le message! »

Performance d'Antoine Läng / Photo : Thibaut Fuks / Festival Mos_Espa 2020, Genève

Festival Mos_Espa à Genève

La 13ème édition du festival transdisciplinaire Mos_Espa s’est terminée à Genève; événement riche en rencontres alliant moments de réflexion collectives et de transes douces partagées. Club, exposition, symposium; c’est tout cela à la fois que cristallise ce festival si atypique qui a su créer une tribu toujours plus grande concernée par les notions de post-chamanisme au sens large. C’est avant tout, et encore plus particulièrement dans ce contexte sanitaire et social, l’ambition de créer du lien et d’être ensemble. Partager quatre jours de conférences, de musique et de performances au sein d’un dispositif d’écoute confortable et hypnotique développé collectivement (Elena Montesinos, Lucia Moure, Seana Gavin, Peter Mccoy, etc) où une constellation d’objets et d’interventions s’organisent. Pièces en céramiques de Fabien Clerc s’inspirant du corail-cerveau, tambour fongique de Frédéric Post, éditions collectives de Unkraut Botschaft et installations de mycoremédiation de Marion Neumann décomposant les filtres de cigarettes de la soirée recueillis dans des cendriers designés 100% en mycelium ; c’est l’ensemble de l’environnement installatif du festival qui nous plonge dans cet univers de recherche et de co-créations écologiques, participatives, curieuses. Une installation immersive où se déroulera l’essentiel du programme dont la performance pluridisciplinaire clôturant le festival et la semaine de résidence sur place de la dizaine de membres du collectif helvète à géométrie variable Organ Tempel. Un espace à la fois sacré, ludique et pédagogique qui se découvre en chaussettes; toutes et tous sont en effet invité.e.s à retirer leur chaussures dès l’entrée. Un point subtil et pourtant fort de cette invitation à créer et vivre un espace-temps intime où se reconnecter à nos corps, nos intuitions et nos questionnements communs, aux marges des formats habituels de rassemblement.

L’édition initialement prévue en mai et incluant de nombreux artistes internationaux avait dû être annulée, le contexte les poussant ainsi à repenser une formule favorisant les réseaux d’artistes locaux, les déplacements aux impacts écologiques moindres, et de nouvelles dates en pleine saison des champignons! Le festival s’engage fortement pour donner une visibilité autre à la grande diversité de recherches faite dans les domaines des transes et des mycothérapies. Il accompagne aussi à sa façon une 3ème renaissance de la recherche des potentiels thérapeutiques des psychédéliques dont les premiers élans des années 68 et 90 avaient semés un riche terreau et où la Suisse joue encore un rôle clef. C’est la seconde édition du festival qui pointe son projecteur sur les pouvoirs des champignons, explorant les pratiques mycologiques allant du design d’objet en mycélium à la dépollution par la pleurote jusqu’aux soins explorés par la psychiatrie et la mycothérapie d’origine chinoise (avec, notamment, pour intervenant.e.s Valérie Soukherepoff, naturopathe, Yves Aarab, designer, Dr Ansgar Rougemont-Bücking, psychiatre, YoEn, moniale zen, Fermentierra, duo de lacto-fermenteurs et anthropologues). En effet, les soirées du festival ont eu tendance à se programmer toujours plus tôt pour permettre à un riche programme de conférences et débats de prendre place aux côtés des moments plus performatifs et musicaux. La rencontre entre des domaines d’expertise très divers y est favorisée. Le public est au rendez-vous, souvent connaisseur, toujours impliqué et participatif. L’environnement à la fois intimiste et décalé pousse autant les intervenant.e.s que l’audience à faire tomber les barrières et échanger sans gêne. Une parole libre circule, inspirante!

Décollant patiemment l’étiquette de contre-culture associée à ces substances hallucinogènes, le festival propose une véritable plongée expérimentale, artistique et scientifique dans le règne fongique. Si l’équipe Mos_Espa à décidé depuis l’an dernier d’orienter le projet plus particulièrement sur ces créatures de nos forêts, c’est notamment le résultat de leur sensibilité aux formes de néo-chamanisme qui se repense en effet plus localement qu’historiquement. Un néo-chamanisme contemporain en lien aux contextes urbains actuels, des mégalopoles colombiennes aux petites villes européennes où les complices tissent leurs réseaux depuis des années… Le festival se déroulant lui-même au coeur de la zone industrielle de Genève, au Motel Campo qui constitue à l’année à la fois un repère festif nocturne et un collectif d’ateliers d’artistes et musicien.ne.s. Les forêts ne sont pas loin, et une partie des rendez-vous Mos_Espa s’y est d’ailleurs déroulée, quittant à vélo le centre urbain pour partager une marche muette, tout autres sens aux aguets, à la découverte des merveilles simples tapies dans les bois (guidé par Irène Anex-dit-Chenaud). Non pas pour « s’en mettre plein le panier » mais plutôt pour dessiner ensemble une sorte de ballet en hommage au lieu, la performance d’Antoine Läng, du souffle au cri, clôturant cette parenthèse au grand air.

Un bel ensemble d’enregistrements de live et conférences des éditions passées du festival se trouvent sur le Soundcloud Mos_Espa, permettant ainsi de prolonger encore l’immersion. D’autre part, l’équipe envisage de développer plus régulièrement des évènements et résidences de créations « pré-Mos_ Espa » pour continuer de tisser le fil de leur toile aux formes de constellations mycélaires souterraines et cosmiques. A suivre donc, car le champignon nous apprend aussi la lenteur… et l’adaptation au milieu!

Marion Tampon-Lajarriette, octobre 2020

D’après un entretien avec le duo de direction de la 13ème édition du festival Mos_Espa : Marion Neumann et Frédéric Post

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