Pour la rentrée des galeries, le peintre belge d’origine verviétoise Yves Zurstrassen (1956) occupe tous les espaces de la galerie bruxelloise Baronian Xippas. Cette exposition qui comprend pour la première fois des tapisseries, qui propose aussi des sérigraphies autour des grandes peintures à l’huile, est le point d’orgue temporaire de dix années d’une montée en puissance d’une démarche consacrée au pictural depuis plus de quarante ans. Evocation d’une de nos figures majeures de l’art.
Ses premiers coups de pinceaux, vers la fin des années septante, sont consacrés à une forme d’abstraction. Il ne s’en départira jamais prolongeant l’aventure au fil du temps, des lieux de séjours prolongés de la Crète à l’Espagne en passant par la France, des ateliers sous toit ou en plein air. Puis, il rentre s’installer à Bruxelles où, en 1999, il fixe son aire de travail dans un ancien site industriel abandonné à Uccle. Ce vaste lieu, rénové, adapté, agrandi, rigoureusement organisé, célébré par un superbe texte de François Barré (Y. Zurstrassen, Free. Fonds Mercator), lui ouvre la voie de la peinture comme il la rêve. Celle du défi permanent d’une peinture libre et magistrale qui n’ignore rien de la longue marche de la modernité historique américaine et européenne et trace sa voie originale dans un réseau d’affinités électives, pour reprendre le terme de Goethe. Plus tard, il double son atelier, se pose à Viens (Vaucluse, France), l’été.
La maîtrise du pictural
A l’encontre des ukases prononcés à répétition par des pontes es arts, sourd aux sirènes des mouvances passagères qui émaillent le temps et des modes inévitablement fugaces, il persiste et signe pour l’accomplissement plénier de la peinture. Une peinture abstraite vigoureuse, dynamique en ses ardeurs gestuelles, affranchie des interdits car mixant les styles jusqu’à la tentation d’un baroquisme inédit, riche de ses innombrables sources. Il gère de multiples façons l’entrechoquement des formes, des matières chromatiques vives et nerveuses, des agencements indispensables pour rétablir un ordre générateur d’harmonie. Progressant en ce combat entre lyrisme effervescent et structure impérieuse, il maîtrise les techniques et domine l’espace jusqu’en des tableaux monumentaux qui imposent ce langage toujours puissamment en tension.
Inverser le processus
Cette persévérance et l’observation du travail d’illustres prédécesseurs et de quelques contemporains, de Kurt Schwitters à Matisse, d’Albert Oehlen à Willem de Kooning, le conduisent repenser constamment le travail qui s’aventure comme un fleuve nourri de tout ce qu’il a charrié depuis sa source. Yves Zurstrassen, même s’il y a des ruptures, des temps de pose en noir et blanc plutôt qu’en tonalités éclatantes, des moments d’apaisement et d’autres à la limite du chaos, travaille dans la continuité. Rien de ce qu’il a expérimenté, créé, n’est jamais perdu ni oublié, ni renié, ni relégué. Au contraire et c’est l’une des caractéristiques et des forces de sa peinture actuelle : elle est gorgée de tout ce qui a précédé. Elle est le résultat d’une maturation lente et de la mise au point d’un processus inédit qui, au départ du collage, est devenu le décollage. « Je travaille à l’inverse », aime dire l’artiste, qui au lieu d’ajouter retire et redécouvre ce qui a été couvert. Le principe est finalement simple comme les papiers découpés de Matisse. Grâce à une machine à lettrage adaptée aux besoins spécifiques, sont réalisés, après conception sur ordinateur, des pochoirs posés sur les couches initiales de peinture. Peints à leur tour en autres tonalités, ils sont ensuite retirés. Cette superposition livre des figures et des formes, anime la surface, ajoute des effets optiques et des profondeurs. Elle vivifie la rigueur structurelle, titille la perception, ajoute du plaisir visuel.
Une mémoire productive
Afin de bien saisir les peintures actuelles, on considérera donc ce qui a précédé. En particulier une quantité de petites peintures. Elles sont multiples, extrêmement variées et audacieuses dès lors qu’elles sont la mémoire de l’expérimentation par laquelle naissent des formes, des agencements, des compositions, des motifs improbables, voire des tonalités, des fulgurances. Toutes données qui constituent aujourd’hui, et demain à n’en pas douter, une réserve inépuisable d’éléments repris, retravaillés, redimensionnés, isolés ou projetés au premier plan dans les nouvelles peintures. A l’origine de ces dernières, des peintures de 2013, structurées géométriquement et offrant une architecture stable, ordonnée, désormais soutenue par de solides tracés noirs balisant l’espace des tableaux, l’unité étant obtenue par la dominante monochrome issue également de 2013. Il y a dans ces œuvres, quelque chose de Warhol, de Christopher Wool, voire de Rauschenberg et de Lichtenstein, sans qu’aucun d’eux ne soit jamais cité, ni visible. Le peintre affûte à distance des affinités en état d’esprit pictural. Zurstrassen appartient à la famille en s’y distinguant ! Ne comptez pas sur lui pour s’y arrêter. La peinture la plus récente, après les dominantes bleues, rouges ou jaunes, est déclinée en noir et blanc et les composantes sont flottantes. Une nouvelle voie s’ouvre déjà !
Réalisations et projets
Toujours au départ de peintures Yves Zurstrassen, au cours des dernières années, a diversifié les techniques de réalisation. Outre les tapisseries exposées chez Baronian Xippas ainsi qu’une série de sérigraphies particulièrement lumineuses, on retiendra l’usage de fenêtres colorées en intégration architecturale bruxelloise et la fresque, en report imprimé, de 13 mètres de diamètre au plafond de la salle du Delta à Namur. La réalisation la plus ambitieuse est sans doute l’immense peinture mosaïque inaugurée cette année dans le chai du domaine viticole Les Davids, construction récente de l’architecte français Marc Barani aux confins de la Provence et du Luberon. Une œuvre monumentale en six nuances de rouge dans des pâtes de verre confiées aux mains expertes italiennes.
Les rencontres d’un parcours
Solitaire en sa conduite artistique, appréciant plus que tout la concentration dans l’atelier à l’écoute des sonorités musicale jazzy, Yves Zurstrassen a pu néanmoins compter sur quelques rencontres déterminantes. « On avance par mains tendues » confirme-t-il, très reconnaissant. Ce fut celle confiante de Renos Xippas qui l’exposa une première fois en solo à Paris dès 2001 et revint vers lui tant à Paris, à Genève, qu’en compagnie d’Albert Baronian à Bruxelles et à Knokke . Tous deux, désormais, le portent résolument, au premier plan et à l’international. Ce fut l’enthousiasme de Xavier Douroux qui l’invita à exposer aux côté des Hartung, Hantaï, Twombly, De Kooning… L’engagement des Francis Feidler, Antonio Perez, Wodek Majewski et Jean Marchetti. Ce furent les attentions, les soutiens, les écrits qui lui ont offert une belle fortune critique, des François Barré ou Olivier Kaeppelin commissaire de l’expo capitale à Tolède et à Bozar avec la reconnaissance institutionnelle. Egalement, les deux expositions en la verrière de la galerie de Valérie Bach à Bruxelles. Des personnalités qui comptent dans le domaine de l’art actuel et qui ont vu la qualité intrinsèque du travail. Pour le futur, en 2023 est programmée une exposition solo au musée Picasso à Antibes. Une autre étape prometteuse dans la sphère internationale.
Claude Lorent
Exposition des œuvres récentes, galerie Baronian Xippas, Rue Isidore Verheyden 2 &Rue de la Concorde 33, 1050 Bruxelles. Du 9 septembre au 23 octobre. Du mardi au samedi de 11h à 18h. www.baronianxippas.com
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