TOURNAI FONDATION DE LA TAPISSERIE Rendez-vous annuel des talents révélés

Installation de Carnita Alvarez © FN.MV

Il en est passé des plasticiens par la Fondation de la Tapisserie depuis 1981. À en consulter la liste, on s’aperçoit que pas mal d’entre eux se sont taillé une solide réputation. En voici quelques-uns puisés au fil des ans : Michel François, Ann Veronika Janssens, Edith Dekyndt, Laurence Dervaux. Émile Desmedt, Sylvie Ronflette, Yeung-Fun Yuen, Alain Bornain…

Les travaux exposés sont dans cette lignée contemporaine qui, parce qu’ils sont intimement liés au vécu du plasticien, font éclater les limites de l’art. L’artiste s’apparente alors à la fonction de documentaliste ou d’archiviste, de sociologue, de psychologue, de pédagogue, voire d’écrivain de docufiction… Selon les signataires des œuvres, le côté esthétique est englobé dans une approche de sciences sociales ou ce sont ces dernières qui se diluent dans l’artistique. Mais le plus souvent, la question se pose de savoir quel point de vue parasite l’autre parce qu’ils ne se placent pas au même niveau culturel.

Aux racines du vécu

Carnita Alvarez (1964, Liège) construit un univers nourri de spiritualité à partir d’objets à résonance symbolique et complété par l’apport des souvenirs mêlés à son enfance au sein d’une famille d’émigrés espagnols qu’on devine baignée d’éducation catholique. Elle travaille beaucoup avec des éléments trouvés. Avant d’être intégrés à une œuvre, ils ont été pris en main, soupesés, apprêtés, ce qui suppose des rituels de gestes.

Lorsqu’il s’agit d’ossements ou de pierres, on imagine volontiers des pratiques rappelant celles d’hommes préhistoriques ou de tribus non contaminées par des ‘cultures prétendument civilisatrices’. Il en résulte des installations où l’organique et le minéral sont associés au fil de tissage. Souvent, les objets sont maintenus ensemble par des liens. Ils sont reliés du sol au plafond par ce qui apparaît telles des cordes de guitares ou de harpes en un mouvement ascensionnel comme s’il s’agissait de joindre le terrestre et le céleste, de parsemer l’espace d’ex-votos primitifs.

Dans une pratique davantage proche du tissage traditionnel, Alvarez élabore de mini-tapisseries aux coloris éclatants. Figuratives sans être vraiment réalistes, elles ont l’allure de récits liés à des épisodes religieux, droit sortis de veillées anciennes colportant des histoires d’autrefois où la foi impose des croyances simples pour un peuple tenu éloigné d’un savoir trop intellectuel.

Elise Peroi (1990) garde elle aussi des attaches avec le travail artisanal des liciers. « Les gestes du tissage, écrit-elle, ne sont plus associés au savoir faire mais se ritualisent – en quelque sorte – pour faire naitre des œuvres contemplatives qui permettent alors la cohabitation d’antagonismes universels ». Le rapprochement des matières permet des concomitances inattendues, des rapports insolites, des ruptures aussi qui, au milieu de la continuité temporelle, viennent remettre ne cause ce que pourrait avoir de trop lisse une création alimentée par la durée.

A même la peau

La recherche de Wendy Van Wynsberghe est liée à la peau. Lors d’un voyage en Guadeloupe, elle s’est intéressée au passé colonial plutôt violent du pays. Elle a demandé à des autochtones de choisir parmi des nuances de fils colorés les dix correspondant à leur perception de la coloration de leur propre épiderme. De cette sélection est né un tissage qui met côte à côte les surfaces réservées à chaque personne. Ainsi se lit une continuité où les individualités sont réunies en une seule nouvelle ‘peau’ qui atteste à la fois de chacun et d’une collectivité. Une part du matériel (bobines, etc.) et des matières utilisés se retrouvent sur le plan d’objets instinctivement sacralisés par le seul fait de leur présence muséale.

L’attention portée à la peau, à sa sensualité est aussi l’apanage de Raluca Petricel (1972, Bucarest). A la proximité d’un vivant voué à vieillir et à disparaître, elle assigne la mémoire à témoigner de ce qui est et fut. La monochromie bleue du tirage photographique cyanotype fixe le souvenir des personnes sur le coton de mouchoirs, accessoires inestimables pour agiter des au revoir ou des adieux, pour essuyer les larmes des chagrins. Des broderies découpées et ordonnancées au sol selon la délimitation d’une marelle ramènent à l’enfance. Quant aux fruits dont la pulpe a disparu, ils laissent la texture de leur enveloppe se mêler au textile pour former une originale amulette.

Interpellée par l’effacement du pagne traditionnel, autrefois symbole de l’identité culturelle de la République démocratique du Congo, au profit d’un tissu industriel hollandais, Asia Nyembo Mireille (1984) confronte sans cesse la matière originelle qu’est le raphia et le tissu du ‘wax’ qui a envahi les boutiques et a été adopté par une majorité de citoyennes. C’est une démarche forcément militante.

D’Eva Evrard (1984, Marchin) accommode ses constructions à de la sculpture ou plutôt de l’architecture. Les éléments formels qu’elle agence comme s’il s’agissait de maquettes construisent un paysage dans lequel la rigueur géométrique suscite une impression très particulière d’étrangeté. Peut-être dans la mesure où on y décèle la possibilité empirique d’existence d’êtres humains au sein d’un vide accueillant, une sorte de vertige situé au sein de la rencontre entre absence et présence.

La complexe installation de Jean-Loup Michiels est de celles qui interpellent directement à propos du contenu et du contenant de certaines créations contemporaines. Celles induites depuis que Duchamp a transformé en « Fontaine » son célèbre urinoir. Elle est composite mais se contente essentiellement d’accumuler des éléments pour la plupart tels quels où l’intervention de l’artiste consiste uniquement à leur donner une place dans l’espace. Il n’y a même pas la coutumière glose plus ou moins philosophique qui est censée convaincre le visiteur qu’il ne s’agit pas d’une œuvre vaine et qu’elle a quelque chose à dire à ceux qui la contemplent ou la visitent. Sans doute une contextualisation de cette occupation d’espace permettrait de mieux appréhender ce qui semble se concrétiser autour du monde du travail.

Michel Voiturier

Au TAMAT (Centre d’Art contemporain du Textile), 9 place Reine Astrid à Tournai jusqu’au 5 février 2018.Infos : +32(0)69 23 42 85 ou www.http://www.tamat.be
Catalogue: Valérie Bacart, Andrée Wéry,Coline Franceschetto, Lina Vasapolli, Hadelin Feront, »R17″, Tournai, Tamat, 76 p.

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.