SENEFFE-ATH : aérons l’art

Une ziggourat de Fauville dans la jungle hainuyère (c) FN.MV

Saison normalement propice au soleil, à la promenade, à la flânerie, période idéale pour installer de l’art en pleine nature comme à Seneffe ou en pleine ville comme à Ath.

Le Domaine de Seneffe offre un parc remarquable. Sa superficie diversifiée se prête à l’accueil de sculptures susceptibles de s’intégrer au paysage, de contraster avec la nature, de dialoguer avec l’espace. Après, entre autres, « Roulin »,  « Code(s) et couleur(s) », « Voyageurs »,  « Forme I Bois », « Mondes hybrides »…, voici, pour reprendre le titre d’un des plus célèbres poèmes de Baudelaire : une « L’Invitation au voyage ». À Ath, ville intelligemment rénovée, 6e édition de « Art végétal » ou comment se promener en terrain urbain en y découvrant l’inattendu d’œuvres en relation poétique avec la nature. Dans un lieu comme l’autre, un plan aide à parcourir sans faute une piétonnière pérégrination.

Un parc investi par l’insolite

À Seneffe, le parcours commence par une pénétration dans le temps, l’histoire de l’art. Quentin Rivage invite à traverser un tableau suggéré par un encadrement doré à l’ancienne, à passer par la solennité de deux tentures de velours rouge celles du théâtre mais aussi celles d’une certaine censure lorsque, dans un musée, des créations sont dissimulées parce que susceptibles de choquer en s’attaquant aux tabous entretenus par le conservatisme majoritaire des citoyens. En effet, le visiteur s’approche d’une sculpture en bois, un tronc dont l’allure est celle d’un corps de femme.

Mi-brut, mi-travaillé, il porte le nom d’un tableau de Courbet, baptisé « L’Origine du monde », longtemps conservé clandestinement puisque représentant un sexe féminin. Dans son pastiche épuré, le sculpteur mise sur le pouvoir évocateur des formes. Il nous rappelle ainsi que ce qui dérangeait sur toile était son réalisme minutieux alors  qu’ici la provocation, tout en restant la même en son concept, semble plus supportable. Notre société a récemment connu cette réalité avec les réactions rétrogrades d’adultes s’insurgeant contre des cours d’informations sexuelles mis au programme des écoles.

Pierre-Alexandre Rémy a déroulé le trajet de sa première promenade à travers le parc du domaine, reproduite en acier coloré et suspendue dans entre des arbres, entre ciel et terre, comme en lévitation dans la mémoire du souvenir de celui qui a marché. Manière poétique de concrétiser une promenade autrement que par une trace dessinée sur une carte ou un plan. Une mémoire dont s’empare Caroline Van Assche. Elle a conçu un personnage à taille humaine, porteur d’un sac à dos : femme constituée par un assemblage de ‘tissu miroir’, intemporelle bien qu’ayant l’allure d’une dame d’autrefois en robe longue. Elle avance sur un plan d’eau qui réverbère sa silhouette, tandis que l’habit reflète l’environnement comme le cerveau enregistre un souvenir pour le restituer ultérieurement, sorte de mise en abyme du vécu avec le retenu.

Voici, installé dans l’eau, un cygne sculpté sur bois. L’oiseau est migrateur. L’œuvre de Hoze est réaliste. Et son intérêt plastique se perçoit, certes à travers son envergure imposante, mais  aussi grâce aux lignes qui, incisées dans la matière, forment en parallèles des sortes de remous reliant l’animal avec le domaine aquatique, lieu préféré de son existence.

Les sculptures de Daniel Fauville forment un parcours particulier. Un bateau, échoué contre la berge, mène à une série de ziggourats, de tours, de constructions que la rouille de l’acier corten ramène vers une cité archéologique fantôme au sein d’une végétation locale en train de l’envahir. Ici, de même qu’avec les portes des jardins suspendus de Thuin qu’il a conçues, le contraste entre fer massif des architectures et éphémère apparent du végétal crée une atmosphère de cités antédiluviennes pour archéologues en mal d‘aventures imaginaires. Un imaginaire qu’il est possible de méditer au sein de la rieuse cabane polychrome en bandes textiles suspendues et au sein de laquelle Elsa Tomkoviak suggère de s’isoler un moment pour rêver que, peut-être, « le vent l’emportera », et qu’ainsi le voyage se poursuivra mi en rêve, mi en enjambées.

Une cité ponctuée de poèmes visuels

Si un certain nombre de pièces d’éditions précédentes sont toujours présentes, trois nouvelles installations attendent les piétons. Léopoldine Roux a dispersé dans le Jardin des Arts et des Lettres des pierres bleues de la région qu’elle a joyeusement décorées de couleurs diverses. Ainsi y a-t-elle semé ses « Graines d’arc-en-ciel ». Le trio « Blanc Murmure » (Eugenio Furino, Boris Grégoire et Muriel Loth) ont investi un autre jardin, celui du CPAS, pour concrétiser leurs interrogations à propos de la protection du patrimoine aquatiques sous l’appellation « Hors de l’eau ».

L’arrière de l’église Saint-Julien, plusieurs fois atteint par des incendies, se voit doté d’une ogive en bois brûlé conçue par Cécile Prignon. Celle-ci est agrémentée de plantes spécifiques repoussant aux endroits des feux de forêt, symbole naturel de la puissance du vivant confronté à la mort. Étudiants à l’école d’Arts de Mons et élèves de l’école technique St-François ont travaillé sur le clou. Cet accessoire utilisé par les Mésopotamiens pour rédiger des messages en écriture cunéiforme et par des jardiniers afin de faciliter la fertilité du sol, le voici maintenant soulignant les courbes d’un terrain.

Maquette du portique en bois brûlé de Cécile Prignon
Maquette du portique en bois brûlé de Cécile Prignon ©MC Ath

Les œuvres anciennes jalonnent toujours divers endroits de la capitale du Pays Vert. Près de la Grand Place, Juliette Gabric a érigé une installation inspirée par un corail formé d’hexagones en acier sur pierre bleue qui accueillent des plantes mellifères. Arboriste ferronnier, Gauthier Priels  a planté son arbre, comme façonné par les vents dominants, du côté des silos de la Dendre. L’échafaudage conçu par Dominique Dupuis monte à l’assaut de la blancheur murale. Clin d’œil au folklore, sa confection est de cet osier qui maintient les jupes des géants  Goliath, Ambiorix ou Mademoiselle Victoire durant les cortèges. Mais il est aussi composé de bambous exotiques que les plantes grimpantes colonisent.

L’espace de l’esplanade est propice à plusieurs œuvres. Deux sculptures de Pol Jouret s’y trouvent en en permanence. L’Hiératique, sentinelle polysémique découpe l’espace, le fend en fusée prête au décollage, signale la position géographique de la Cité des Géants. Sa sœur L’Accomplissement, animée d’une rondeur tournant sur elle-même est l’image de l’infini, du repli sur soi. Mario Ferreti a reproduit un fémur dans sa véracité anatomique mais agrandi comme s’il appartenait à la lignée des géants processionnaires de ce terroir.

Quant à Adam Weiner, il a dressé un mur fragmenté, cassé par endroits, qui évoque le célèbre Mur de Berlin, brisé en 1989 pour annoncer une ère de meilleure liberté. Ce que celui-ci laisse passer, c’est la végétation en train de s’emparer du minéral rigide avant de constituer une frontière perméable. Camille Coléon a confectionné avec les lettres du nom de la ville une invitation à s’asseoir, à prendre le temps de savourer un instant de repos et de méditation, à sentir que la ville possède un esprit d’hospitalité.

Rhita Remy, rue Rigault, s’est mis en tête d’ « habiter le mur ». Celui qui longe ce passage a été doté de petites sculptures en forme de champignons amadouviers, parasites qui se fixent d’habitude sur des troncs d’arbres affaiblis. Près d’unbras mort de la rivière, au pont de la Herse, Angelika Bail agença des bouteilles en verre blanc, rassemblées tel  un courant qui traverserait cet espace. Cette association entre le liquide supposé être leur contenu et l’absence de l’eau suscite par analogie une idée de flot.

C’est à l’arrière du Palace que les fourmis géantes en acier d’Anne Krug grimpent à l’assaut d’un mur verdoyant. Enfn, au confluent des deux Dendre, Lionel Pennings a dressé sur l’herbe des pans de murs. À l’inverse de ce qui se passe dans la réalité où un édifice à l’abandon finit par devenir une ruine qu’envahira la végétation, c’est l’artiste qui offre aux plantes de quoi s’installer dans du neuf afin devenir vestiges d’un imaginaire passé.

Michel Voiturier

Parcours gratuit permanent jusqu’au 11 novembre 2024 au Domaine du Château, rue Plasman 7 à Seneffe. Infos : https://chateaudeseneffe.be/fr Pour Ath : parcours permanent gratuit. Infos : www.artetvegetal.be  Plan : Maison culturelle, 4 rue de Brantignies.

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