Le feuilleton de l’été A Tournai BORDER 3 : au MuFIm

Emmanuel Bayon, projet de réparation ©Gordon War 2022

Au Musée de Folklore et des Imaginaires, désormais rajeuni et ouvert sur d’autres horizons que ceux du passé, Border a disséminé, entre les témoignages de la vie quotidienne d’autrefois, des œuvres très actuelles qui font écho au présent.

Si les amateurs de précisions regretteront le manque de cartels, ils disposeront d’un remarquable guide du visiteur et, surtout, il leur suffira de repérer le logo « Border » qui signale la présence, parfois discrète, d’une création contemporaine. De quoi aiguiser la curiosité et sans doute stimuler leur fibre enquêtrice déjà bien ancrée en eux vu le nombre de séries policières qui squattent nos chaînes télévisées.

Entrelacs

Part belle est attribuée à un artiste singulier, Emmanuel Bayon (1988), passé par St-Luc Froyennes et l’Académie des Beaux-Arts tournaisienne. Sa girouette désorientée est visible dans le jardin du musée (voir ‘Border 1’). Mais l’essentiel de son travail artistique, c’est de laisser une trace visible dans les villes, là où il conviendrait d’effectuer une réparation dans l’espace public. Un de ses objectifs est de conscientiser les citadins au sujet du bien collectif. Le premier étage accueille d’ailleurs une série photographique réservée à sa pratique à la fois citoyenne et esthétique. De même qu’au rez-de-chaussée sont exposés les outils utilisés, souvent de seconde main.

Sa manière est immédiatement repérable. Elle est basée sur un ensemble caractéristique de traits rouges entrecroisés, combinés à la façon d’une barrière de chantier, selon des variations à l’infini. On en trouvera, dispersées, un peu partout y compris, parfois, au niveau des plinthes car dans cette institution muséale qu’est le MuFIm, tout est conçu afin de guider les regards vers là où ils ne se tournent pas d’habitude. Le même rouge est présent aussi dans des réparations de tissus et de porcelaine, voire de verres à bière. Il colore un masque anticovid confectionné à partir d’écailles de moules. Tout cela étant bien éloigné de l’usage conventionnel de réaliser une toile à exposer au domicile d’un collectionneur. C’est donc un art de l’éphémère, de l’interpellation, de la rue, de l’incitation à l’action.

Christelle Perrier à décoré au bleu d’Arras une assiette qui visualise le nombre de rues tournaisiennes consacrées à personnalités uniquement masculines © Intersections 2022

Côté porcelaine, à signaler les graphismes réalisées par Christelle Perrier avec du bleu de cobalt sur des assiettes. Ces dessins traduisent, de manière cartographique et plastique, les résultats d’une enquête sociologique concernant les statistiques de noms de rues d’un certain nombre de cités, baptisées du nom d’une personnalité. Il va de soi, vu le machisme sociétal des décennies précédentes, qu’il n’y a qu’une minorité de voies urbaines consacrées à des notabilités féminines. En ce qui concerne Tournai, la proportion est de 245 contre 17. Le plan dessiné sur la blancheur de la faïence trace une étrange géographie. Surtout lorsqu’on compare la version masculine et celles des égéries.

Mohamed Alani (1971) prolonge cette démarche de réparateur ou de porteur d’attention vers un objet amputé d’une part de lui-même ou associé avec des fragments d’un autre, et donc inutilisable selon l’usage pour lequel il a été conçu, surgissant à l’insolite en un endroit inopportun. Si ce procédé semble simple, il va au-delà des ‘ready made’ à la Duchamp, puisque dans ce cas-ci il y a transformation, reconstruction après déstructuration. L’intérêt se porte alors au sujet de l’usage, de l’utilité, de l’imaginaire. Ce qui ne va pas sans humour (ainsi d’un tabouret myriapode, de livres farcis aux crayons ou se servant d’assiettes comme marque-pages…).

Mohammed Alani suggère une réparation de fortune pour musée désargenté © Gordon War 2022

A la sortie, comme à l’entrée d’ailleurs, sur la façade, flotte un drapeau dû à François Curlet (1967). Il représente des pavés, un peu comme ceux de la rue qui mène au musée. Il illustre ces trajets à effectuer lorsqu’on marche dans une agglomération, sur certaines routes, ces déplacements tant des autochtones que des migrants de passage. Il est l’image d’un des aspects de l’existence, celui de la nécessité d’aller de l’avant même si le chemin est gris, morne, fatigant. Il appartient à une série à laquelle une septantaine d’artistes ont apporté leur contibution.

Oriflammes

Un des volets important de ‘Border’ consiste en effet en une collection de drapeaux, « Le Grand Large, Territoire de la Pensée », éditée par Bruno Robbe et Daniel Dutrieux. Commencée en 2015 lors de Mons capitale européenne de la Culture, elle comprend des dizaines d’oriflammes en tissu créées par des artistes qui y représentent leur perception d’un territoire. Elles flottent à divers endroits de la cité et notamment le long des quais de l’Escaut. Chaque drapeau est accompagné d’une lithographie qui se conserve comme une carte géographique inédite. Comme l’écrit Caroline Lamarche : Le drapeau est « un oiseau sans ailes, qui, arrimé à la terre, cherche perpétuellement son envol. La carte, elle, est l’oiseau aux ailes repliées qui une fois libéré n’en reste pas moins entre nos mains pour nous indiquer la route à suivre ».

Les plus récentes participations sont signées par Emmanuel Bayon et Priscilla Beccari (1986). Celle-ci a reproduit sur tissu et lithographié sur papier une illustration de la perte des repères à travers la photo d’un kayakeur échoué sur un paysage désertique. De nombreux artistes les accompagnent. Lizène (1946-2021) a réuni en un visage panoramique des sentiments divers et s’essaie à un improbable métissage utopique en cousant des demi-lions flamands accolés à des coqs wallons. Edith Dekyndt (1960) offre des bannières où s’inscrivent des signes ésotériques liés au Moyen Age. Lawrence Weiner (1942-2021) transpose graphiquement la phrase « Semez le vent, récoltez la tempête ». Benoit Jacques (1958) brasse une géographie tourbillonnante. Jean-Marie Mahieu (1945) part d’une photo pour évoquer la désolation des terrils, ce que poursuit Jean-Marc Bustamante (1952) à travers un triangle en arrière plan devant les rayures de traits horizontaux, tandis que Jean-François Octave (1955) se propose d’ « Agrandir le ciel » et qu’Emilio López-Menchero (1960) agrandit une de ses empreintes digitales, celles qui parfois sont exigées à certaines frontières. Et ainsi de suite à travers la liste impressionnante des créateurs embarqués dans ce vaste projet, dont Jacques Charlier, Michel François, Sol LeWitt, Pol Piérart, Léopold Plomteux, Jean-Pierre Ransonnet, Roger Raveel, Peter Stämpfli, Walter Swennen, Ben , Angel Vergara, Bernard Villers ou Léon Wuidar

Un autre projet, en collaboration avec le S.M.A.K. (musée d’art contemporain de Gand), a abouti, grâce à la complicité d’Edouard Schneider et Kurt Stockman à la confection d’autres drapeaux sur lesquels se voit la perception de pays visités par un groupe de jeunes flamands partis sur les frontières de l’Europe à la rencontre de réfugiés. Au Carillon, un logiciel est d’ailleurs mis à la disposition du public pour qui désire créer son propre drapeau.

(à suivre)

Michel Voiturier

A Tournai, jusqu’au 11 septembre 2022 au Carillon, au MuFIm, au Beaux-Arts et au Tamat. Infos et renseignements notamment à propos des visites guidées : Intersections – Triennale d’art contemporain de Tournai (triennaleintersections.be)

Voir Border 1 et 2 : www.fluxnews.be/a-tournai-border-1/ ; https://fluxnews.be/le-feuilleton-de-lete/

Revoir Intersections 1 : www./fluxnews.be/patrimoine-dhier-comme-ecrin-a-celui-de-demain/

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