Laurence Dervaux, géographe du corps

Habitée par le sentiment d’exister, Laurence Dervaux (Tournai, 1962 ; vit et travaille à Tournai) poursuit son exploration émerveillée du corps à travers deux installations monumentales et diverses créations dispersées dans l’espace du BPS22.

Son attention personnelle se porte sur toutes les manifestations perceptibles de la vie, de la vitalité la plus élémentaire à la fragilité la plus complexe. En cela, l’artiste déploie une démarche autant scientifique qu’esthétique. Elle avait jadis entamé une part de sa pratique avec la monumentale installation de la combinaison de plus de 700 récipients en verre agencés les uns sur les autres en une sorte de mausolée sacré, contenant symboliquement un liquide rouge correspondant au nombre de litres de sang pompés par le cœur en une journée.

La vie en verre

Cette fois-ci, dans la première grande salle plongée dans l’obscurité, s’alignent 18 grands ensembles de récipients en verre soit la métaphore de 18 individus. Ils contiennent de l’eau ou un liquide coloré (jaune, brun ou rouge) qui s’écoule goutte à goutte dans d’autres récipients. Ils sont reliés entre eux, éclairés par une luminosité minimale que relaient des miroirs. Cette atmosphère de caverne mystérieuse nous entraîne au fin fonds de l’être humain. Nous voici spectateurs de ce qui se passe à notre insu à l’intérieur de notre chair. Nous voici témoins de ce qui constitue notre fonctionnement vital.

La grande salle du musée accueille en suspension une bonne vingtaine de géantes gouttes de sang en verre soufflé, reliées au plafond par des tissus rouges, tels des lambeaux de peau blessée. Chacune est censé contenir la quantité de sang à l’intérieur d’un humain. Une fois encore, cette amplification du réel nourrit toute déambulation par notre confrontation avec un élément corporel familier. La présentation suggère également que ces gouttes sont susceptibles de s’écraser au sol, donc elles appartiennent à la fragilité de notre existence. D’ailleurs, à proximité, une vidéo sur grand écran passe en boucle filmant une carafe remplie de fluide rouge qui tombe sur le sol, éclate, laissant trace d’une tache éclatée de sang.

Un peu partout, nous retrouvons divers organes reproduits en verre. Leur matière, leur forme singulière, leur contenu en font des objets d’une évidence plastique fascinante. Ces représentations du contenu de nos enveloppes charnelles, exemptes de toute détérioration pathologique, détachées de leur appartenance à un organisme individuel. Ce sont de véritables objets créatifs dont le rôle magnifie la réalité vitale qui nous habite. Seule la vulnérabilité de leur matière est là pour nous rappeler indirectement que le destin d’un être vivant est sa disparition inéluctable.

L’immuable et le précaire

Cette dualité rivale entre la réalité précaire et la durabilité des œuvres d’art, entre la trivialité du banal fonctionnel et la transcendance esthétique se retrouve sans cesse dans différentes autres formes d’expression. Tel dessin, aux cimaises, appartient à une série consacrée aux muscles. Dervaux l’exprime au moyen de fins traits rouges parallèles. Tout est délicatesse bien qu’il s’agisse d’un sphincter anus.

La triple silhouette d’une urne funéraire impose sa monumentalité. Sa réverbération par un effet miroir y reflète nos propres silhouettes de visiteurs en un raccourci prémonitoire. Le moule d’une paume en résine recueillant de l’eau à proximité d’une fougère aux origines préhistorique tisse un lien virtuel entre nature végétale et action humaine, entre pérennité et précarité. De grands ‘aquariums’ remplis de grains de riz passés dans des colorants naturels sont témoignage que ce qui est montré comme beauté formelle monochrome peut à volonté redevenir nourriture comestible, manière de rappeler, comme le dit Laurence, les ‘vanités’ de la peinture ancienne. Idem pour ces nombreux bols contenant de la terre colorée sèche et craquelée font, à travers le minimalisme dépouillé de leur présentation, allusion aux rapports entre nourritures et désertification.

Michel Voiturier

Au BPS22 à Charleroi  jusqu’au 7 janvier 2024. Infos : +32 71 27 29 71 ou  https://www.bps22.be/fr/expositions/laurence-dervaux

Légende photo :

Laurence DERVAUX, « Liquide humain, une goutte de sang », 2004. Vidéo. @BPS22.  Leslie Artamonow.

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