L’artiste commissaire, évolution d’une posture

Julie Bawin

Docteur en histoire de l’art, Julie Bawin a publié récemment un ouvrage sur l’artiste en tant que commissaire d’exposition (éditions des archives contemporaines). « L’artiste commissaire » apporte un point de vue à la fois historique et actuel sur l’évolution des postures qu’il adopte régulièrement au sein du processus de mise en exposition des œuvres.

L’artiste est devenu un acteur de premier plan, une figure incontournable dans le microcosme que constitue l’organisation d’expositions. Pas seulement par ses interventions en tant que « sujet » de la présentation mais aussi par sa présence de plus en plus prégnante dans l’organigramme même de ceux qui régissent, inventent et formulent les expositions. Tantôt décrié pour son omniprésence dans l’institution muséale, tantôt porté aux nues pour sa contribution originale et son regard éclairé sur cette même institution, l’artiste est le centre d’attention de l’ouvrage, présentant tour à tour les multiples postures qu’il a adoptées au fil du temps et les différentes relations entretenues avec le musée depuis la création de celui-ci.

Divisé en trois parties, l’ouvrage s’attache d’abord à remonter aux prémices de la figure de l’artiste au sein de ce que l’on nomme le « commissariat d’exposition » ou le « curating ». Prenant pour point de départ les premières sociétés indépendantes, on suit l’invention et l’évolution d’un genre, de la nécessité éprouvée d’exister en s’auto-exposant en dehors d’un système conventionnel jusqu’au rôle d’ « entrepreneur » que revêtissent des artistes comme Damien Hirst ou Takashi Murakami. La deuxième partie présente quant à elle les relations « ambivalentes » entre institution et artiste. On ne peut nier que ce dernier a joué un rôle des plus importants dans la gestion du patrimoine et ce, dès la Renaissance. Et si les relations au cours du 20e siècle sont devenues parfois houleuses, il n’en demeure pas moins que l’institution et l’artiste ont toujours entretenu des liens étroits, largement décrits ici. La dernière partie se concentre enfin sur « l’institutionnalisation du genre », voyant se développer des postures diverses. La figure de l’artiste en tant que commissaire se complexifie et répond à de multiples attentes. Il peut aussi bien être commissaire de sa propre exposition, exposer les autres ou enrôler leurs œuvres, être appelé pour créer des ambiances ou encore apporter un regard décalé ou anachronique sur des collections tant artistiques qu’ethnographiques ou scientifiques.

Richement fourni en exemples, l’ouvrage se concentre principalement sur des projets contemporains, période durant laquelle le phénomène a connu une forte amplification. Si les cas présentés sont recherchés au sein d’une multitude d’actions émanant de différents artistes, deux personnalités attirent, à forte raison, l’attention de l’auteur pour le rôle qu’ils ont joué dans l’évolution de cette posture particulière : Marcel Duchamp d’une part, dont l’importance en la matière demeure peu connue, et Daniel Buren, d’autre part, dont on connaît les remarques incisives et pertinentes envers ceux qui font les expositions mais aussi l’expertise qu’il a développée à travers ses propres recherches et activités au sein du processus de mise en exposition.

Il reste qu’au regard de l’évolution actuelle de la pratique et de « l’institutionnalisation du genre », il ne fait aucun doute que l’artiste possède une place de premier choix dans le commissariat d’exposition. Une place qu’il réclame de son propre chef ou qui lui est offerte par ses pairs ou par l’institution. A la lecture de l’ouvrage, une question demeure: cette place prédominante au sein des commissariats et de l’organisation d’exposition est-elle destinée à subsister ou va-t-elle à un moment connaître un déclin par lassitude de la part du public ou des artistes eux-mêmes ? Qui seront dès lors les commissaires de demain ?

Céline Eloy 

A l’occasion de la publication de l’ouvrage « L’artiste commissaire. Entre posture critique, jeu créatif et valeur ajoutée » (éditions des archives contemporaines), la librairie Pax organise une rencontre avec Julie Bawin animée par Jacques Dubois, le 13 novembre 2014 à 18h30.

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