Au Fresnoy : du grand Lux

En liaison avec le thème de la lumière, l’exposition ‘Lux’ a (forcément) des côtés éblouissants mais aussi (normal) ses zones d’ombre. Au visiteur de se laisser aller à regarder sans se lasser ce qui clignote, ce qui rutile, ce qui éblouit et qui révèle.

La lumière est ce qui nous permet de voir. Elle révèle les choses et les êtres, elle donne leur apparence aux couleurs. Elle permet la vie aussi grâce à la photosynthèse. Son influence sur les organismes est capitale puisqu’elle est même susceptible de servir de médication dans certains cas de dépressions. Elle fait aussi surgir l’ombre de ce qu’elle éclaire, créer l’intimité lorsqu’elle perd en intensité, naître l’obscurité dès qu’elle disparaît.

La lumière révélatrice

Dans un ballon gonflé, l’halogène emprisonné par Ann Veronica Janssens incite à jauger l’espace au sein duquel il se trouve, à la fois visible de par la puissance de ses lumens et dissimulé à l’intérieur d’une enveloppe à peine translucide.

Daniel Buren ayant, pour une fois, délaissé ses bandes systématiques, a suspendu des tissus led monochromes. C’est de leur matière même que sourd leur luminescence. Fascinante réalité qui semble émettre sa propre énergie, verte ou rouge, tandis qu’apparait ce qui devrait être la trame même du tissage. Ce sont particulièrement les couleurs contenues dans le spectre qui ont intéressé Anne-Marie Jugnet et Alain Clairet. Leurs néons étagés décomposent une sorte d’arc-en-ciel étalé comme une courbe ligne d’horizon.

Dans une intimité particulière, Martine Aballéa invite à passer dans un salon dont le mobilier irradie d’une luminosité assourdie, accueillante, pour s’asseoir et observer des photos prises à l’extérieur. Une nature, somme toute assez ordinaire, clichés éclairés de l’intérieur par un autre type d’éclairage. Sans doute est-ce à cause de cela que le végétal prend des teintes étranges, comme si la sève qui le nourrit avait été contaminée par on ne sait trop quel engrais, pesticide, fongicide… Comme si notre mode de vie était pollué.

Jason Karaïndros et Jakob Gautel proposent un détecteur d’ange qui passe. Sous globe, une ampoule ne s’allume que lorsque le silence est complet. Autant dire quasi jamais. L’illusion, si on peut dire, Pierre Petit l’entretient en plantant, droits au dessus d’assiettes, des tubes fluorescents, prétendant ainsi qu’ils sont devenus bougeoirs et bougies. À l’inverse, dirait-on, Stefan Nikolaev, reprenant l’idée de Duchamp avec ses ‘ready made’, s’empare de son célèbre porte-bouteille devenu pièce de musée pour en faire un simple candélabre. Enfin, muséal quand même !

Sur des toiles numériques, c’est avec des traces lumineuses que Jean Daviot a peint des trajets urbains, arabesques fantasques et néanmoins structurellement définies, répétitives et dissemblables, empreintes fugaces désormais figées pour attester d’une activité mobile concrétisée par une sorte d’écriture ésotérique.

Alain Fleischer pratique ici une sorte de mise en abyme jouant à la fois sur la réalité et son image, sur un usage détourné de l’utilisation d’un objet. En effet, sur une lampe de poche peinte en blanc de façon à servir d’écran, il projette la diapositive de la photo de ladite lampe. Ainsi ce qui devrait normalement éclairer est éclairé, c’est le comble, par son clone virtuel.

La lumière en duel avec l’obscur

L’éclipse filmée par Anne Deguelle est réelle. Elle la restitue en moins de cinq minutes sur un écran qui montre le déplacement du croissant solaire jusqu’à sa disparition. Un phénomène qui permet de percevoir la rotation de notre planète et qui, hors son intérêt ’documentaire’, permet la perception simultanée de la coexistence de la clarté et de l’obscurité. Ce que dit encore un quatuor de cercles dont le centre noir s’entoure d’un halo clair.

Le ‘Couvre feu’ de Sophie Dubosc mise sur la simplicité tout en générant de complexes perceptions. Dans un bloc de béton, matière opaque s’il en est, s’insère une ampoule ordinaire au soquet banal. Bloquée au sein du ciment la lampe ne libère qu’une minime clarté, alliance improbable entre le fragile et le compact, le diurne et le nocturne.

Bertrand Lavier installe une œuvre qui emprunte son apparence au format d’une peinture traditionnelle en son cadre géométrique. Mais si on éteignait les spots, il n’y aurait plus rien d’autre que celui-ci. A contrario, Michel François utilise des éléments d’éclairage inutilisables. Ainsi ses tubes néons et ses lampions colorés hors d’usage forment une guirlande verticale, pendentif géant de l’inutile. Réminiscence allusive de fêtes avortées, de bordels expulsés, de guinguette désaffectée. Il aboutit à ce paradoxe que des instruments devenus incapables de jouer le rôle pour lequel ils furent créés survivent grâce à une source lumineuse externe qui n’est plus la leur : ne pouvant plus faire voir, ils sont vus.

Au sein d’un champ circonscrit, occulté, Véronique Boudier projette le parcours chorégraphié d’un danseur armé d’une lampe de poche. Ni plus ni moins. L’obscurité se troue de faisceaux lumineux, mouvants, fugitifs, ponctuels, intermittents. Ils laissent entrevoir des gestes, des actions. On cherche à percer la réalité d’une présence à travers les perturbations que l’entrée en lice d’autres visiteurs perturbe par les rais furtivement venus de l’extérieur. Double frustration. Double interférence entre clair et obscur, entre désir de voir et contrariété de l’esquivé.

Les vidéos d’Ange Leccia parlent d’orages, d’explosions guerrières. Ce sont les éclairs qui bruyamment zèbrent les nues, transitoires énergies naturelles ou humaines. Elles rejoignent à leur manière celle tournée par Arik Levy qui se sert d’un de ses bâtonnets feu d’artifice plantés sur des gâteaux d’anniversaire. Là encore ce sont des étincelles, sans cesse répétées qui luttent contre le noir.

Le panorama urbain de Pierre Huyghe est hypnotique. De grands ensembles monotones, ordinaires, barrent l’horizon de leur masse. Ils sont saisis au cours d’un parcours temporel qui évolue du jour à la nuit. Ils percent celle-ci de fenêtres éclairées dont l’allumage et l’extinction créent des cadences aléatoires mettant en hypothèse la présence d’humains à l’intérieur.

La lumière vitale

C’est d’abord Laurent Pernot qui, au moyen d’une bougie dont la luminosité est renvoyée par un miroir, dessine, impalpable sur la paroi, le verbe ‘vivre’. Puis Michel Blazy se comporte en avocat du naturel en en faisant pousser un sous une ampoule électrique. À demi couché dans son pot, le fruit élève sa tige vers son spot dont les rayons l’attirent. La nature reste indépendante même si l’homme la traite en captive. La vie, même éphémère, poursuit sa croissance.

Avec Claude Levêque, une installation vient narrer une histoire laissée à l’interprétation de chacun. Sa tente de camping est plantée près d’une cage : deux lieux où s’enfermer soit volontairement soit à cause de l’action d’un tiers ; deux lieux de l’intimité l’une subie, l’autre recherchée. Dans la seconde, un animal emprisonné ; dans la première sans doute un humain. Mais ce n’est pas lui qu’on devine. C’est un indice de danger, un gyrophare qui fait tournoyer son avertissement salvateur.

C’est à Géraldine Py et Roberto Verde mais aussi aux rayons lumineux que nous devons la vision de bijoux extraordinaires. Sortis d’objets devenus déchets, ils se parent d’un mystère parce qu’habillés, reliés, rehaussés par des fils que l’éclairage métamorphose en matière précieuse alors qu’ils ne sont en réalité que des filets de salive solidifiés.

La lumière en questions

Rodolphe Delaunay propose une énigme qui ne s’éclaircit que si sa teneur est connue. Il a placé, en faisceaux (non de lueur mais de bivouac), une série polychrome de bougies. Voilà. Enfin, oui, sauf que chacune a brûlé sa mèche durant 8 minutes et 19 secondes. Bon, et alors ? C’est que voilà précisément le temps que met un rayon solaire pour arriver jusqu’à la terre.  L’infiniment grand et le moyennement petit, le naturel et le manufacturé s’en trouvent confrontés.

Quarante paires de chaussures en bronze servant de socle à de très ordinaires bougies, de celles qu’on trouve dans les églises pour honorer un saint ou quémander une faveur céleste. Toutes allumées. Alignées sagement, correctement, impeccablement, militairement par Erik Dietman. Impressionnant, non ? Impressionnant et fantomatique.

Agressif, Carsten Höller envoie vers les arrivants un véritable mur aveuglant composé de plus de 2 500 leds. Programmé pour des variations rythmiques, il clignote de toute son éblouissante blancheur scandant dans l’espace des signaux perturbants. La lumière est alors agression. Alors que Morellet agence des lampes qui deviennent musique visuelle en suivant des tempos en permanente variation.

Le ‘Petit salon’ conçu par Bérénice Merlet ramène à l’enfance. Celle des jeux solitaires dans des coins secrets de la maison familiale, à l’abri provisoire de la présence des adultes. La cage de Jeanne Susplugas séduit par sa brillance, sa rondeur de sphère. S’y enfermer provoque une sensation particulière à la fois d’enfermement et d’exposition de soi à l’attention des autres. Faudrait-il être claustré en repli sur soi pour être valorisé publiquement ?

Appel au souvenir et incitation à la souvenance, les deux œuvres d’Alan Vega portent des noms de camps de concentration. Agencées de bric et de broc avec des éléments de récupération, à l’aspect de crucifix, elles rappellent la mise au rebut des personnes massacrées moralement et physiquement par le régime nazi. Les ampoules multicolores qui les balisent évoquent les enseignes de quelque minable bordel de banlieue, ce que, depuis lors, est sans doute devenu notre monde.

Jean-Claude Ruggirello déroule, en une sorte de long panoramique latéral, des couchers de soleil extraits du net et issus de coins brassés aux quatre coins de la planète. Ces clichés de cartes postales s’avèrent presque similaires, garnis d’un horizon immuablement horizontal, illuminés d’une coloration analogue. Les hommes, où qu’ils aillent, ne demeurent-ils pas pareils et leurs perspectives inchangées ?

 Michel Voiturier

« Lux » est visible à Le Fresnoy, Studio national des arts contemporains, 22 rue du Fresnoy à Tourcoing (F) jusqu’au 4 janvier 2015. Infos: +33(0)320 28 38 00 ou http://www.lefresnoy.net/fr 

légende photo: Erik Dietman : Le proverbe turc (1988-98), Courtesy Galerie Claudine Papillon © JR Lorand



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