Jean-Pierre : le Point final

Jean-Pierre Point, “Le nombre deux de mon fils Laurent”, 1980, sérigraphie sur papier ©DR

Jean-Pierre Point (Tournai, 1941- Bruxelles, 2023) s’est attaché à l’image, à l’imagerie, en un siècle où précisément la représentation par des procédés plus ou moins mécaniques et des processus chimiques a envahi si pas colonisé les espaces.

Ce fut vrai pour l’espace urbain investi par l’affichage publicitaire ou électoral, dans les pages des publications imprimées des périodiques ou celles des livres, sur les écrans de télé ou d’ordinateurs et de téléphones. Pléthore va de pair avec indigestion visuelle, consommation plus ou moins inconsciente qui glisse de plus en plus, avec le passage de l’argentique au numérique, vers des manipulations telles qu’il est devenu quasi impossible de distinguer vrai et faux, réalité et mensonge.

Point, d’abord sculpteur, animateur en arts plastiques pour la Maison de la Culture de sa ville natale dans les balbutiements de ses débuts  en tant qu’une des premières en Belgique à se lancer dans la culture pour tous, a rapidement compris le pouvoir imagier. Il a saisi les potentialités ouvertes par une technique comme la sérigraphie afin d’associer les modifications visuelles à une éducation indispensable à la perception active des images.

Grâce à cela, l’artiste découvre d’abord une gamme plus étendue de coloris à utiliser que celle de la quadrichromie pratiquée en ces années 70. Il va donc utiliser le fait que cette discipline d’impression fait surgir une multitude de points, l’équivalent de ces pixels qui forment, de manière invisible, les images télévisuelles. Descendant indirect des pointillistes de l’école impressionniste finissante, il va imposer au regard d’observer une image non pas comme la représentation fidèle du réel – ce qu’elle n’est pas puisqu’elle n’en est qu’une transmutation – mais bien comme quelque chose d’étranger donc d’étrange. Par conséquent, il incite à prendre une position critique face à l’image dont il peut proposer une infinité de versions différentes par l’intermédiaire des points diversement colorés.

Ce qui est le processus même décrit dans un des textes de « Mi-fable Mi-raison » où une piétonne examine une affiche (celle-là même qui est dans la sélection de cette expo annonçant des festivités en 76 à Jambes). Elle est intriguée car la photo lui rappelle un lieu familier. Elle prend le temps de s’attarder devant le panneau d’affichage  jusqu’à s’apercevoir qu’il s’agit de la maison communale devant laquelle elle se trouve. L’effet désiré par Point est atteint : la personne voit une représentation de la réalité et ne s’en rend compte qu’en la voyant en vrai à cinquante mètres d’elle. La différence entre ce qui existe et ce qui est montré devient une évidence.

Il apparaît toujours chez ce photographe sérigraphe que notre façon de regarder est trop fugace, qu’elle se laisse piéger par des ressemblances, qu’elle en oublie les détails qui sont propres à ce qui est vu et non à d’autres similaires. C’est là qu’intervient cet apprentissage de l’œil que cherche à  transmettre ce faiseur de clichés.

Un assemblage de trois images donne une des clés qui amènent notre vision à se détacher de l’illusion du mirage. Première version : des piétons avancent sur un trottoir jouxtant une circulation automobile intense. Deuxième image placée en dessous : la même prise de vue avec un léger recul. Dernière un peu plus bas : le plan s’élargit, ce que nous avions cru être des piétons sont en fait une affiche placardée sur un panneau et ces citoyens ne sont que des silhouettes de papier devant lesquelles marchent d’autres individus plus réels, mais néanmoins réduits à être eux aussi sur papier.

C’est aussi flagrant devant certains procédés publicitaires. Pour les déjouer, l’artiste rassemble un récipient de pâte chocolatée à tartiner, une barquette de faux beurre, une bouteille de soda hypercalorique à proximité d’un jeune consommateur dont le pull arbore une autre marque commerciale. La pixellisation provoque un effet de distance ; la juxtaposition produits + individu accorde un même statut à l’ensemble : tous sont exposés à la vente.

Ici, comme souvent chez Point, un texte vient ajouter des indications suggestives, explicatives, poétiques. Ce n’est pas à strictement parler une légende, un titre. C’est une autre distanciation prise avec le regard. C’est une réaction personnelle du créateur destinée à être partagée comme une confidence, comme un passage entre une perception sensorielle interne et une prise de conscience externe d’un changement de point de vue. L’œuvre alors se pare d’un contenu proche de la philosophie.

Michel Voiturier

« Il y a quelque chose de beau dans les objets qui nous entourent » au BPS22 à Charleroi jusqu’au 23 avril 2023. Infos :  +32 71 27 29 71 ou Jean-Pierre Point | BPS22

Lire: Vincent Cartuyvels, « Conversation avec Jean-Pierre Point », Gerpinnes, Tandem, 2010, 62 p.

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