Photo: affutez vos regards (Gladieu – McCarty – Ascolini)

Etudiantes dans le premier cinéma 3D à Pyongyang © Stephan Gladieu courtesy School Gallery/Olivier Castaing

Trio en équilibre : réalité figée chez Gladieu, réel revu comme fiction chez McCarty, archéologie géométrisée entre rêve nocturne et clarté solaire chez Ascolini. De quoi s’interroger à propos de ce qui nous reste en mémoire lorsqu’on est passé du présent fugace vécu au présent durable du cliché développé.

Chacun de ces trois photographes se propose d’affuter notre regard. Gladieu invite à repérer un clonage citoyen, à mettre en rapport décors collectifs et individus, à collecter les indices révélateurs. McCarty démontre que la réalité rejoint la fiction en associant la barbarie guerrière des adultes à des supports ludiques pour jeunes et traque le mensonge illusionniste. En dématérialisant architecture et sculptures Ascolini suggère une redécouverte de l’espace et révèle une géométrie élémentaire complexe.   

Portrait d’un peuple figé

Les citoyens de la Corée du Nord que Stephan Gladieu prend en portrait posent. Ce qu’on connaît de leur pays reste assez nébuleux. Pourtant ces personnes ont accepté de poser devant un photographe étranger issu d’un pays démocratique. Et c’est précisément l‘attitude que chacun prend qui nous apprend comment vit un peuple qui nous est inconnu.

Ce qui frappe d’abord ne vient pas d’eux mais d’un régime. L’architecture urbaine est pesante, lourdement pesante, à l’allure reliée à une pratique de construction des années 50 du siècle précédent. Rien n’atteste vraiment du modernisme. En quelque sorte un figement temporel.

L’habillement est communautaire. Dès qu’il s’agit d’une collectivité institutionnelle, l’uniforme est de mise qui indique une appartenance à. Et certains signes sont récurrents, comme ce badge rouge arborant la tête du président et celle supposée de son ancêtre direct. Signe davantage d’obédience que de reconnaissance. D’autres signifient plutôt une affirmation corporatiste. Quant aux familles, bien sûr, les hommes sont en pantalon et les femmes en robe. Exception faite pour certains métiers comme la culture du riz ou, étonnante, une sorte de parodie à la James Bond où apparaissent des sourires. Peu de fantaisie à travers cette galerie de costumes, hormis une robe de mariée.

Car ce qui domine, c’est le sérieux. Individuellement, chacun(e) semble devoir montrer une image de personne qui est empreinte de réflexion, d’intériorisation de l’importance d’être là, même dans des situations de loisirs. On dirait même que les enfants sont encore plus attentifs que les adultes à ne pas paraître futiles, dissipés, spontanés.

À vrai dire, il ne semble pas que la volonté de Gladieu soit de montrer un régime politique rigide, peut-être même étouffant. C’est naturellement, à travers leur attitude, que les autochtones témoignent de la lourdeur environnante.

Les jeux de la guerre

Partant de témoignages dessinés par des enfants ayant vécu des épisodes guerriers en Ukraine, Palestine, Irak, Afghanistan, Liban, Lybie, Soudan, Yémen, Syrie…, Brian McCarty a mis en corrélation des photos de champs de batailles et des jouets. Ils sont figurines militaires et engins guerriers, ils sont également personnages féériques ou ordinaires. Ces clichés sont accompagnés du dessin réalisé par chaque enfant narrateur.  

Cendrillon de Gaza/Nord de la bande de Gaza, 2012 © Brian McCarty

Le contraste des paysages réels, des jouets et du dessin forme un ensemble assez interpellant. Il fait mieux ressentir l’atrocité de ces conflits armés qui finissent toujours par engendrer des victimes civiles. Des morts bien sûr. Mais aussi des traumatisés qui traînent durant leur existence les souvenirs d’une enfance assassinée par une violence fanatique. D’ordinaire, jouer à la guerre lorsqu’on a dix ans est de l’ordre du ludique. Mais lorsque ce sont les adultes qui jouent, le mal est véridique, irréversible, intolérable.

Le travail de Brian McCarty pose indirectement la question des simulacres donnés à des enfants comme s’il fallait se préparer à l’inéluctable en vue de l’âge adulte. Il nous interroge aussi à propos d’autres joujoux, comme ces héros de contes de fée ou d’amour mirifiques, style Barbie ou Ken, qui s’articulent autour de rêves plus ou moins utopiques.  

Paradoxe du noir révélateur du blanc

Ces monuments alignés, les voici soudain transformés en géométrie presque pure. Il en ressort une beauté particulière, presque mathématique. C’est qu’Ascolini inscrit ce contraste obscurité/clarté comme un moyen de révéler le sujet qu’il photographie. La partie obscure de chaque cliché argentique renvoie l’œil vers la blancheur d’une lumière éclatante.

Palazzo Te de la série “Mantova il segreto della citta”, Mantoue Italie 2002 Coll. Musée MPC © Vasco Ascolini

Ce qui est alors regardé prend un relief particulier, que ce soit une construction ou un être vivant. Ce qui est éclairé est, dirait-on, modelé, reconstitué, rendu à l’espace comme s’il s’agissait d’une œuvre ou d’un être en trois dimensions. Les détails prennent sens. Ils acquièrent une présence qu’atteint rarement une photo couleur.

Du coup, la matière et sa présence sont transmis à notre perception avec une brutalité qui en accentue la géométrie en l’épurant. Ce n’est pas uniquement l’apparence d’une ambiance, car celle-ci n’a rien qui suggérerait une pénombre chargée d’un mystère à connotation anxiogène.  Au contraire, c’est la radicalité d’une opposition qui semble supprimer toute sensation autre qu’une réalité purement formelle, une évidence intellectuelle.     

Michel Voiturier

« Corée du Nord » – « War-Toys » – « Ciseler la lumière » au Musée de la Photographie à Mont-sur-Marchienne jusqu’au 21 mai 2023. Infos :+32 (0)71 43 58 10 ou https://www.museephoto.be/fr/LeMusee-fr.html

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