Intérieur et extérieur, hier et aujourd’hui à la Villa Datris

Simultanément dans le jardin et dans toutes les pièces de la villa, de la cave au grenier, la fondation Datris expose, une fois encore, des sculptures contemporaines d’une grande variété.

Il y a toujours plaisir à parcourir un ensemble d’œuvres qui recouvre une bonne part des tendances de la production des soixante dernières années. Retrouver des noms connus rajeunit la mémoire ; découvrir des jeunes ou des moins connus constitue d’agréables surprises.

Vertiges optiques

La période de l’art cinétique et de l’op art offre une belle panoplie d’effets optiques d’origine ou d’héritage. Vasarely (1906-1997) étale ses combinaisons de teintes agencées en carrés juxtaposés qui excitent la vue, réveillent son besoin d’autre chose que de la grisaille. Soto (1923-2005) accroche des fils destinés à être bousculés par des visiteurs. Agam (1928) étale en accordéon des rectangles polychromes qui se modifient selon le déplacement des visiteurs dans l’espace. Marina Apollonio (1940) procède de même avec des superpositions d’anneaux en inox. Cruz-Diez (1923) pousse le processus plus loin avec ses « Physichromies » et leurs accumulations chromatiques verticales. Verticales aussi, les bandes rouges de Julio Le Parc (1928) qui emplissent la surface picturale, voient leur uniformité, leur rigidité contredite par une lamelle circulaire se déformant en permanence sous l’impulsion d’un moteur.

Sur une mobilité similaire, Merida (1939) fascine avec ses pigments rouges enfermés dans un cercle et cascadant sur quelques reliefs pour offrir une œuvre mouvante, transformant inlassablement ce qui est montré à la manière fluide d’un sablier. Version actualisée du kaléidoscope, «Pulsation » de Roger Vilder (1938) amène une centaine de cercles mi-bleus mi-verts à tourner sur eux-mêmes, créant à l’infini d’éphémères ensembles. Amenagé selon une organisation spatiale très voisine mais immobile, le « Capteur » de Carmen Perrin (1953) rutile de coloris à foison car chaque rond est constitué de fines lamelles de caoutchouc teinté.

La couleur devient donc parfois l’élément essentiel. L’exemple le plus marquant semble celui de Fancony (1949) avec ses lattes de bois dérivant en une joyeuse cascade de 56 nuances. La lumière est un composant dont se sert Francis Guerrier (1964). Son « Télescope » arbore une centaine d’ampoules dont l’intensité varie en fonction de l’ambiance sonore du lieu, un stratagème pour inciter le visiteur à devenir actif en haussant ou baissant la voix, stoppant ou se mouvant.

Chul-Hyun Ahn (1971) se sert d’un tube fluorescent afin de multiplier des effets de mises en abyme vertigineuses alors que Hans Kotter (1966) enferme des leds dans une caissette où leurs variations colorées systématiques contraignent les yeux à chercher des repères qui se dérobent inlassablement. Ivan Navarro (1972) aspire le regard dans un puits sans fond de lumière bleue, ivresse hypnotique qui sidère.

En vue de susciter une impression de perspective, Ludwig Wilding (1927-2010) éveille des images stéréoscopiques à partir de traits divers, illusion garantie. Miguel Chevalier (1959) imprime une sérigraphie de formes imitées des pixels, déposée sur un miroir sans tain illuminé au néon. Le néon est d’ailleurs devenu assez courant. Ben (1935) l’utilise pour clamer visuellement une de ses phrases aux allures d’aphorismes : « La guerre ou la vie ». Morellet (1926-2016) en zèbre la surface d’un carré pour en modifier la perception rigide. Bulloch (1966) combine la sphéricité de boules contenant des lampes avec la cubicité d’une boîte à lumière translucide.

Cybernéticien, Peter Vogel (1937) installe au sommet d’un assemblage vertical un tambour qui réagit aux mouvements, passages, gestes grâce à une cellule photo-électrique, le visiteur devenant un compositeur aléatoire. Nicolas Schöffer (1912-1992), le mieux connu de cette tendance dont il fut en partie le théoricien, joue avec la lumière sur des structures abstraites en acier chromé, entraînant des modifications notables selon l’angle de vue adopté.

Esthétiques de la géométrie

Une géométrie élémentaire sied bien à Barrios (1947). Se risquant à confronter la notion d’équilibre et les lois de la pesanteur, il accumule des masses d’acier laqué dont l’envol problématique paraît néanmoins imminent. David Bill (1976) s’empare du cube afin de le décomposer de façon à lui donner un aspect insolite propre à occuper l’espace autrement. Olivier de Coux (1968) insiste sur les angles qui avoisinent les vides, conservant ainsi une légèreté que semblait démentir l’assemblage tandis que Dilworth (1931) affirme de l’imposant, du massif qui conserve néanmoins une grâce de ballerine. Marinho (1970) défie les lois de la gravitation en donnant au marbre blanc de Carrare une légèreté inattendue. Chez cet héritier du cubisme qu’était Gilioli (1911-1977), la délicatesse s’allie à la densité du bronze. Pas impossible qu’il y ait une part de cette filiation dans le « Cintre-temps » en aluminium peint en bleu où Moscovino (1947) laisse deviner une silhouette humaine.

Borzobohaty (1972) découpe des formes complexes dans l’acier et les inscrit dans des diagonales, en sorte que verticales et horizontales neutralisent toute impression d’instabilité. L’acier poli jusqu’à en devenir miroir par Geneviève Claisse (1935) dresse ses surfaces un peu tordues comme pour provoquer un « Mouvement stationnaire », paradoxe que seule une œuvre d’art est susceptible de suggérer. Envisagé en montage aéré, la « Nigth in Tunisia » de Farhi (1940) a d’autant plus l’air d’éclats vivement colorés prêts à la dispersion.

En aspiration de simplicité dépouillée, Guiran (1968) accouple des courbes en inox afin qu’elles soient l’équivalent en trois dimensions des fameux poèmes japonais ultra brefs que constituent les haïkus. Peut-être parce qu’il est fils du pays du Soleil levant, Harada (1949) a des accointances avec ce travail épuré, pas très éloigné d’une perception plus organique.

À partir de triangles et de leur métamorphose en losanges, Henriksen (1970) bâtit littéralement un mur qui n’occulte pas le jour, qui confronte l’opacité massive de l’acier laqué blanc et les creux qui reproduisent en vide d’autres losanges en l’occurrence virtuels. En évidant des troncs d’arbres, Lancereau-Monthubert (1956) part de la naïveté apparente et crée des relations spatiales entre l’extérieur et l’intérieur.

Sans doute associerait-on volontiers aux contes populaires le travail d’Alferi Gardone à cause de son intitulé : « La Grande dévoreuse ou le Mangeur d’andouilles ». Cette structure en fonte d’aluminium a en effet des allures d’ogresse mâtinée d’une ascendance bâtarde avec des engins de chantier mécaniques. En écho avec le célèbre tableau de Courbet « L’Origine du monde », Thomas Lardeur focalise le regard sur la situation anatomique du sexe féminin et l’inox de cette sculpture en devient d’autant plus un miroir où nous voir.

Une autre géométrie est celle qui découle de l’écriture, qu’elle soit d’une langue existante ou carrément inventée. Tel est le cas d’Alain Clément (1941) qui apparie des configurations élégantes de lettres empruntées à un alphabet très personnel. Jaume Plensa (1955) élabore des personnages dont l’enveloppe charnelle serait de signes scripturaux, une espèce d’être communicant. Jae-Hyo Lee (1965), lui, part de clous poncés, pliés avant de les insérer dans une pièce de bois qu’il brûlera. Résultat : des formes scripturales ondulantes surgissent dans le noir consumé, grouillement métallique à réminiscences physiologiques.

L’architecture a évidemment des rapports directs avec la sculpture. André Bloc (1896-1966) conçoit des « Habitacles » où les ouvertures d’une masse vers l’intérieur y creusent des aires de pénétration, rejoignant de la sorte la pratique ancienne des troglodytes. Pour s’y installer, Nathalie Elemento (1965) imagine des œuvres qui abandonnent leur côté formaliste avant de virer vers du pratique en prenant une apparence d’étagère. Par ailleurs, Dan Graham (1942) invente un pavillon dont la maquette représente en deux arcs de cercle une possibilité de se trouver dans un lieu à la fois protégé et ouvert. C’est à une parcelle de ses ‘villes futures’ que Marino di Teana (1920-2012) fait appel. Sa « Tour-Jardin » est une tentative d’allier nature et structure urbaine.

Les constructions que réalise Tilman(1959) sont à appréhender comme des tableaux. Elles sont en effet vouées à la couleur et donc également à la lumière puisque cette dernière met en valeur tout ce qui rutile. À l’inverse, au sein de blocs de béton percés, Denis Pondruel (1949) implante le mystère d’un aménagement énigmatique, une perception lumineuse de mots. Cet habitat, discret et solennel en ses aspects paradoxaux, distille une réaction de méditation, de recueillement, de respect. Cependant que le « Temple circulaire » de Pigeau (1955) recèle d’autres énigmes dont celle de l’énergie qu’il est censé générer.

Matériaux et matières

La matière prime chez Béatrice Arthus-Bertrand (1951). Mêlant bois, galets, cire et ciment, elle obtient des bas-reliefs dont l’aspect lisse est contrecarré par le hérissement rythmé d’excroissances intégrées. Elle prime aussi, si l’on peut dire, chez Dezeuze (1942) qui ayant remis en question la peinture traditionnelle, emploie des supports insolites simplement destinés à marquer la présence de l’œuvre, en l’occurrence un panneau ajouré de polyéthylène.

Le minimalisme cher à Sol LeWitt (1928-2007) exclut également de charger la forme d’interprétations diverses. Son cube en expansion suppose d’être regardé comme tel, meuble inutile puisqu’inutilisable. L’inox et les tubes en alu utilisés influent sur un ajustage complexe de formes arrondies superposées par Vincent Mauger (1976) formant une masse à la fois compacte et aérée.

La récupération amène Baude (1956) à échafauder un assemblage hétéroclite qui détourne alertement des objets du quotidien, prolongement de la démarche du « ready made » selon Marcel Duchamp. Évoquer la « Floride » au moyen d’étais de chantier et de frites de piscine est un défi gagné par Laurent Perbos (1971). Autre type de réutilisation de choses mises au rebut : les pneus. Anne Claverie (1974) les adapte en arbre insolite, contestation manifeste d’une certaine pollution.

Zimoun (1977) détourne des éléments liés à la mécanique industrielle. Il les assemble de manière systématique, répétitive. Leur côté brut renforce l’idée qu’ils ont quitté l’espace de l’utilitaire pour se retrouver dans la sphère du culturel, là où l’imaginaire se déclenche hors contraintes.
Bien qu’associé ici à l’acier, le bois est matière favorite d’Alexis Hayère (1988). Il le soumet à des contraintes qui le compactent, le courbent ; il l’inscrit dans un espace inhabituel où les tensions internes de l’œuvre se perçoivent.

Laine et coton inspirent Joana Vasconcelos (1971). Qu’elle recouvre de fanfreluches un robinet ordinaire ou qu’elle confectionne un paysage dans une joyeuse exubérance, elle quitte résolument l’ère du crochet des animations créatives en maisons de retraite pour une inventivité joyeusement assumée.

Inclassable, Alice Pilastre (1984) s’empare du fameux ruban de Möbius – dont les écrivains de l’Oulipo ont fait quelques usages fantasques – afin qu’il serve de carte perforée de limonaire sur un bloc support de boite à musique avec, dans l’intitulé, une allusion à la fantaisie malicieuse d’un Erik Satie. À rapprocher, très probablement, de Sarah Sze (1969) qui se sert d’une lithographie sur papier, minutieusement découpé au laser, en vue de suspendre dans l’espace des fragments assimilés étrangement à une superposition d’étages de gratte-ciel agrémentés de balcons et d’échelles de secours, une cohabitation surprenante du fragile et de l’inébranlable.
Le film polyester installé par Caroline Tapernoux (1968) localise une sorte de frontière entre visible et invisible, permissible et interdit. Bien entendu, aujourd’hui pas d’expo sans vidéo. « The Labyrinth Runner » donne l’occasion à Robbie Cornelissen (1954) d’emmener le regard à travers une ville imaginaire où les espaces donnent le vertige.

Continuités de la figuration

Le figuratif n’a jamais cessé d’exister en prenant souvent d’autres formes que jadis. Nisa Chevènement (1944) a élaboré une tour qui grimpe vers les cieux, qui passe d’un magma minéral à un regroupement humain au sommet, image d’une humanité s’entrainant elle-même vers une fin inévitable.

Kaabi-Linke (1978) a baptisé « Bugs » une quinzaine de scarabées issus des croyances de l’Égypte ancienne. Ainsi synthétise-t-elle le fiasco des révolutions arabes impuissantes à s’imposer malgré les moyens informatiques capables de les propager. Son aînée Rym Karoui (1967) lance à l’assaut du sol des concrétisations de virus en résine. Leur carapace est tatouée de mots révélateurs au sujet des échecs de changement des mentalités : révolution, freedom, facebook, help !

La « Mare Nostrum » est une installation de Jean Denant (1979). Il étale en effet au bas de l’escalier monumental de l’entrée, plusieurs mètres carrés de gazon artificiel dont une découpe centrale laisse apparaître en inox miroir le tracé de la Méditerranée. Une vision symbolique d’un bassin géographique qui a rassemblé au fil des siècles une civilisation particulière et riche en créativité artistique.

Desloubières (1950) parle de nature. Ses plantes imposantes en acier laqué rouge insistent sur l’aspect épuré du végétal tout en les affublant d’une couleur rubiconde interpellante. Les cinq porcelaines signées Sophie Lavaux (1956) et posées sur l’eau, sont des plantes imaginaires apparentées aux nénuphars, en quelque sorte un paysage extrait d’un rêve.

Certains objets, liés à des rites, à des coutumes de longue date, se rattachent à des représentations réalistes dans la mesure où ils adoptent un aspect directement identifiable. Ainsi, Ciris -Vell (1946) plante un totem dont la composition est une alliance bois-acier ; un autre ensemble en plomb et bois y adjoint led et néon pour basculer vers le fantastique avec une porte entrouverte sur le secret.

Mais la palme du réalisme revient sans conteste à La Fratrie (Karim Berbiche, 1978 ; Luc Berbiche, 1981) dont les maquettes délirantes installent des objets au sein d’environnements miniatures insolites, le tout enrobé d’un humour sarcastique jouissif. Dans une veine elle aussi drolatique mais nettement moins engagée, Niki de Saint-Phalle plonge vers un chimérique de fête foraine et de légendes mirifiques avec un animal dont la crinière est d’ampoules électriques multicolores.

Michel Voiturier

« Sculpture en partage » à la Villa Datris, 7 avenue des Otages à L’Isle-sur-la-Sorgue jusqu’au 1 novembre. Infos : 0490 95 23 70 ou www.villadatris.com
Catalogue : Danièle Kapel-Marcovici, Valérie de Maulmin, Laure Dezeuze, « Sculpture en partage. 5 ans de colection 2011-2015 », L’Isles-sur-la-Sorgue, Villa Datris, 2016, 196 p.

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