EUPEN Polychromie volubile, polyuréthane alchimique : de l’exubérance à la concision

Daniel Knorr (Bucarest, 1968) s’est fait remarquer, entre autres à la biennale de Venise, à la Documenta de Cassel. Après avoir séjourné à New-York, il travaille aujourd’hui soit à Berlin, soit à Hong-Kong. Les pièces exposées à Eupen sont des expérimentations à partir du polyuréthane et de pigments.

Pour la plupart, les œuvres sélectionnées sont intensément nourries par les couleurs. Knorr les utilise à profusion dans une sorte de volubilité picturale qui transforme la polychromie en une démarche ludique. C’est qu’il y a dans sa production un évident plaisir à partager tandis que sa démarche tend à se charger d’un arrière plan politique ou idéologique.

Bariolé engagé

Il en va ainsi de la série des « Berlin Wall Nuggets » composée de tableaux-sculptures en forme de fragments arrachés au fameux ‘mur de la honte’ au moment de son effondrement en 1989. Ce sont de petits rectangles ébréchés de 20×30 cm. Leur épaisseur de 7 cm est obtenue par une superposition de plaques de plastique transparent  auxquelles sont intégrés des pigments mélangés, dilués de quoi faire un effet visuel proche des vitraux. D’où des valeurs d’oxymores : gris du béton originel /bigarrure, épaisseur du mur/translucidité des matériaux. L’image du passage de la dictature communiste morose aux supposées exaltations de la démocratie.

Quelques créations offrent un intérêt moindre dans la mesure où elles se présentent comme de hâtives allusions à des créatures célèbres et semblent dotées d’une valeur plus décorative que d’une recherche esthétique. Joker, Donald Duck, Anonymus, Dark Vador… mettent d’abord en valeur la façon dont les pigments se répandent, créent des formes, modifient leur apparence colorée.

Par ailleurs, Knorr aime assez se référer à des éléments puisés dans l’histoire de l’art. Certaines pièces aux allures cabossées de carrosserie ou de paysages vallonnés, voire de tissus chiffonnés laissent deviner des fragments (re)connus. On repèrera selon la mémoire visuelle qu’on possède : Courbet, Kandinsky, le pop art, Beuys… Si sa sculpture « Coyote » renvoie à une performance de ce dernier, il est aussi possible de la considérer non plus comme censée être un être pensant mais comme une sorte de méga-mollusque prêt à avaler quiconque s’approcherait, d’autant qu’elle s’approprie les coloris arc-en-ciel du logo d’Apple associé au ‘carré noir ‘ de Malevitch.

L’installation imposante « Calligraphic Wig » suspendue en plein cœur de l’ensemble est l’apogée du multicolore. Conçue au moyen de rebuts d’usine de polymères, agencée en un fol tourbillon,  c’est un carrousel aux coloris fluo, un fouillis insouciant, débridé, jubilatoire comme un envol de sorcières bénéfiques, qui nous rappelle que, avant la pandémie du coronavirus, nous étions déconnectés de la réalité.

Sobriété et réflexion

Issues de la même famille que« Coyotte », des silhouettes prennent les allures fantomatiques de revenants, matérialisations d’une présence de l’absence puisque censées recouvrir un corps invisible. Plus question désormais de bariolage. Au contraire le noir et blanc, soudain, se résout à la simplicité, au dépouillement.

Cette métamorphose mène vers une ascèse radicale puisque la plus récente production de Knorr se cantonne à cette opposition fondamentale. Abandon momentané de la profusion, du spectaculaire pour se concentrer sur l’essentiel : un objet minimaliste omniprésent dans le quotidien, la représentation figée d’un morceau de tissu solidifié. La nudité de l’élémentaire. L’épuration du baroque.

 Le peu laisse au regard et à la sensibilité de s’appesantir sur un assortiment dépourvu de tape-à-l’œil. Les formes appartiennent à une géométrie de l’élémentaire. Les deux non-couleurs qui les habillent sont celles qui, chez nous, correspondent à l’innocence, la pureté, la naissance, la joie (pour le blanc) ; à la peur, la mort, la tristesse, au deuil, au désespoir, au mal, au néfaste  (pour le noir).

L’abondance se décline au passé. En 2021, le monde ne va pas bien. Il s’en aperçoit et devrait se remettre en question en se recentrant vers l’essentiel au-delà des habitudes de pensée et de vie héritées de l’insouciance installée durant la seconde moitié du XXe siècle.

Michel Voiturier

Au musée d’Art contemporain IKOB, jusqu’au 25 avril 2021, Rotenberg 12bis à Eupen. Infos : +32 (0)87 56 01 01 ou www.ikob.be

Catalogue : Nicole Fritz, Frank-Thorsten Moll, Li Zhenhua, Adam Szymczyk,  « Daniel Knorr », Tübingen, Stiftung Kunsthalle, 2020, 360 p. (en allemand ou en anglais)

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