CONVERSATION AVEC BENJAMIN INSTALLÉ

CONVERSATION AVEC BENJAMIN INSTALLÉ

En contrepoint de l’exposition résolument politique et mémorielle développée par Cécile Massart pour l’espace du Museum, le plasticien bruxellois Benjamin Installé a répondu à sa carte blanche à la galerie du Botanique par la réalisation d’une incroyable fresque in situ qui rend hommage aux travailleurs de l’ombre. Rencontre avec un artiste qui, au travers de sa pratique picturale, tente de mettre en lumière certaines réalités sociales occultées par notre société.

         Il y a deux ou trois ans Grégory Thirion m’a invité à réaliser un projet, mais impliqué dans d’autres à l’époque, je n’ai commencé à y réfléchir qu’il y a un an et demi environ. À ce moment-là, le Botanique était déjà engagé dans d’importants travaux de rénovation, ce qui m’a donné l’envie de créer une pièce qui soit spécifiquement élaborée pour et par rapport au bâtiment. Le Botanique, en tant que complexe, m’intéresse car il représente, selon moi, un espace de l’entre-deux, une lieu de passage et de rassemblement aux contours un peu flous – salle de concert ou espace d’exposition pour les uns, zone de promenade, de flânerie ou encore point de rendez-vous pour d’autres –, et dont le caractère ambigu se voit aujourd’hui accentué par sa mise en chantier.

                   Comment t’es-tu approprié l’espace de la galerie, niché tout au fond du Botanique et accessible uniquement après avoir longé une partie des zones en travaux ?

         En effet, le parcours qui nous y amène actuellement n’est en rien une coïncidence, ma fresque fonctionnant presque comme un diorama du chantier qui se déroule en contrebas. Architecturalement parlant, je trouve que cet espace renferme de nombreuses qualités mais il est aussi compliqué à investir parce que, dès l’entrée, notre regard peut quasiment le balayer dans son ensemble. Or, ce moment de découverte étant déterminant pour moi dans la prise en compte de l’expérience de visite, j’ai choisi de déployer ma pièce sur un seul de ses murs – celui situé précisément dans l’angle mort –, telle une construction qui s’y intègrerait naturellement. Cet emplacement répondait à mes attentes car il proposait une grande surface de travail et offrait le recul nécessaire à l’appréhension d’une œuvre monumentale. En complément, le guide du visiteur a été pensé comme un rappel et un prolongement de l’exposition. Par la reproduction complète du collage initial, il conserve la mémoire du document de travail tout en suggérant au public de s’exercer à repérer les différences et similitudes entre les deux versions, et, au travers de l’invitation que j’ai adressé à la metteuse en scène Julia Alberola, il en propose une interprétation narrative autour de deux livreurs pris dans une explosion indiscernable.

         À ce propos, à quels dispositifs picturaux as-tu recouru pour aborder cette question de l’invisibilité ?

         Désireux de matérialiser un espace de transition, autant dans sa nature et sa temporalité que dans sa forme, j’ai conçu un paysage déserté à partir de la fusion de deux sources d’inspiration, deux environnements anodins marqués par un état d’impermanence, que sont la coursive extérieure de la rotonde et, pour l’intérieur, le montage / démontage d’une zone d’exposition. L’opération visible étant la disparition du sujet, cela se traduit dans la fresque par un ensemble de signes qui sont plus de l’ordre de la trace, de l’indice, des éléments qui témoignent de la présence mais sans la montrer explicitement: canettes de bières, fumées de cigarettes, outils délaissés… La scène regorge d’objets épars qui révèlent un départ précipité, une ambiance un peu gueule de bois, comme ça, mais qui ne donne pas vraiment d’indication quant à l’identité des individus en question ou les circonstances d’abandon des lieux.

         Certains objets semblent quelque peu flotter dans l’espace, ils ne sont ni vraiment appuyés, ni vraiment posés, tandis que d’autres semblent fonctionner comme des incidences fortuites, la bougie et la paraffine par exemple, ou l’empreinte de main avec celle du téléphone cellulaire…

         Plutôt que l’efficacité d’une seule partie ou d’un détail, c’est le fonctionnement de la structure dans son ensemble qui est primordial, qui crée cet instant où on a l’impression qu’il se passe quelque chose d’important. J’aime quand le réalisme ne fonctionne pas tout à fait, que la situation observée permet d’accrocher ou de bousculer la circulation du regard. C’est en fait au spectateur de choisir ce sur quoi il souhaite ou non s’attarder. En effet, ce travail d’analogie ou de télescopage qui favorise l’intégration, en arrière plan, de certains objets reproduis à l’avant plan m’intéresse fortement parce que cela amène de l’ambiguïté : qu’est-ce que je remarque, qu’est-ce qui m’est donné à voir ? Est-ce quelque chose à laquelle je suis sensé être attentif ou, au contraire, relativement secondaire ? Mon travail a pris plusieurs formes depuis une dizaine d’années mais ma préoccupation principale reste la même, c’est-à-dire trouver des moyens picturaux qui traduisent l’invisible, l’absence, l’impermanence. Et en écho à cette question de la visibilité du sujet dans le champ de l’art, sa visibilité dans le domaine social. Si la peinture invite à m’interroger sur ce que mon œil regarde au sein d’un tableau, qu’en est-il du réel qui m’environne ? Qu’est-ce qui est digne de mon attention ?

Clémentine Davin

Découvrez l’intégralité de la conversation dans le Flux News n°85

Centre culturel de la Fédération Wallonie-Bruxelles – Le Botanique

Benjamin INSTALLÉ IMPERIUM      26.03.21 > 25.04.21

Édition: collage numérique de Benjamin Installé et texte de Julia Alberola

© 2021 Surfaces Utiles & Benjamin Installé

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