Dans la tourmente de Louise Bourgeois

Maman, 1999.

To Unravel a Torment, Musée Voorlinden, Wassenaar, 25 Janvier 2020.

En arrivant, Maman est apparue, géante et radieuse au milieu de ce parc et de cette grisaille hivernale. On ne peut la manquer, que l’admirer dans ce décor unique qu’offre le musée Voorlinden, entre nature, art et architecture, à Wassenaar en périphérie de la Haye.

‘Personnages’ (1947-1954), les premières sculptures réalisées par Louise Bourgeois, nous ouvrent les portes de l’exposition ‘To Unravel a Torment’ . Ces empilements, à l’instar de piliers, posent les bases du parcours artistique et psychologique entrepris par cette artiste iconique et multidisciplinaire. Entre sculptures, peintures, dessins et installations, le visiteur a l’opportunité de voyager à travers les tourments de Louise, et qui sait d’en dénouer leur profondeur.

Personnages, 1947-1954.

La seconde salle nous emmène dans son enfance. Ayant grandi en périphérie parisienne, au bord de la Bièvre, où l’entreprise familiale de restauration de tapisseries était installée, ce cadre l’a inspiré tout au long de sa vie.

La fillette (1968) est une sculpture d’une fusion entre un organe mâle et un organe femelle. Selon Louise, le phallus est un sujet de sa tendresse, entourée par des hommes, elle a eu trois fils, et avait un frère. C’est une question de vulnérabilité et protection, selon ses propres mots. La forêt (1953) quant à elle, sombre, dense et rassemblée symbolise le noyau familial soudé.

Noir Veine, 1968.

Noir Veine (1968), par ailleurs, est une évocation aux marches pour les Droits Civiques ayant eu lieu dans les années 60, le groupe versus l’isolation de l’invidivu. Les piles ondulantes rappellent également la croissance naturelle et la répétition, ainsi qu’à l’image du corps humain, la poitrine, les mamelons ou les doigts.

Avenza Revisited II (1968-69), une forme anthropomorphique, rigide, phallique et allongée nous intrigue. Elle marque un tournant dans l’expérimentation de nouvelles matières et est assemblée de marbre, de plâtre et de caoutchouc.

Avenza Revisited II, 1968-1969.

Nous continuons notre visite et initiallement peu attirés par cette étagère bleue remplie de jars, de verres et de vases et tout droit sortie de sa maison, elle s’avère pourtant être un symbole fort: la transparence. Les éléments fragiles et robustes sont assemblés et balancés d’une manière à laisser transparaitre une certaine défiance et auto-destruction, une manière de voir en Louise comme dans un meuble ouvert.

Le Défi IV, 1994.

La prochaine oeuvre est sans doute l’une des plus énigmatiques et intriguantes que nous ayons pu voir, ‘The Destruction of the Father’. Les relations parentales de Louise ont joué un rôle clé dans son inspiration artistique. Comme elle le dit ‘elle a hérité de l’intelligence de sa mère et du coeur blessé de son père’. Ici, elle représente sa haine du patriarcat et plus personnellement, du rôle autoritaire de son père.

The Destruction of the Father, 1974.

Des oeuvres en tissu, outil majeur de l’entreprise familial, font suite à cette installation presque théatrale. Ce corps en lévitation a particulièrement retenu mon attention. « L’horizontalité est un désir d’abandonner, de dormir. La verticalité est une tentative d’évasion. Suspendre et flotter sont des états d’ambivalence » (Louise Bourgeois).

Single I, 1996.

Par ailleurs, insomniaque, c’est lors de ces nuits qu’elle prenait son crayon, son fusin ou son pinceau et créait, s’exprimait via des formes géométriques jusqu’à libérer ses pensées, et s’échapper de ses tourments, de ses souvenirs… (Pour votre information, chaque feuille est peinte recto-verso, seule une face nous est dès lors visible). La spirale vaut la peine d’être mise en exergue, métaphore du tissu que l’on tournait, serrait lorsqu’il ressortait de la rivière, et symbole de controle et de liberté.

Je t’aime, 2005.

D’autres installations, plutôt inquiétantes, intitullées cellules (Cell I, Cell III, 1991) représentent le confinement et la solitude des mêmes cellules du corps humain. Lady in Waiting (2003), autre installation majeure dévoile une métamorphose d’un personnage en araignée, entouré d’une toile composée de 5 files et confiné dans une cellule. Considérée comme un auto-portrait, cette oeuvre résume l’histoire et la psychologie de Louise Bourgeois.

Lady in Waiting, 2003.

Symbolique, esthétique, psychologique, cette exposition nous fait voyager dans les tourments d’une personne, qui a eu la grande force de pouvoir extérioriser et représenter ses angoisses les plus enfouies à travers des oeuvres admirables, tout comme personnifier son modèle, sa mère en une arraignée, protectrice et infaillible.

À la sortie, Maman est toujours là, à veiller et à perpétrer l’âme de son enfant-créateur, Louise Bourgeois.

Charlotte Tusset (Texte et Photos).

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