Au service d’un imaginaire de la complémentarité : oxymores en verre poétisé

Julie Legrand, "Le baiser du cosmonaute" © Paul Louis

Une résidence au Musverre a permis à Julie Legrand (Suresnes, 1973) d’expérimenter diverses techniques liées au verre. Avide de découvertes, elle a profité de son séjour pour étendre ses compétences et pour tenter des combinaisons surprenantes.

Eléonore Peretti, actuelle responsable du Musverre, le constate : « La résidence est une traversée, du confort de l’acquis à la zone plus obscure où les certitudes, telles le verre, s’effritent. Il y a dans chacune d’elles une part de douleur, celle d’une complexe maïeutique qui, en poussant l’artiste dans ses retranchements, exalte son discours et sublime ses pièces. »  

Transgresser les apparences

La première vision du travail de Legrand qui s’impose est celle d’assemblages aussi insolites que sont les antagonismes de mots dans les oxymores. Ainsi, la lourdeur épaisse des céramiques utilitaires, du genre canalisations pour évacuation souterraine des eaux en synergie avec la légèreté transparente du verre soufflé.

Cette hybridation cocasse donne aux tuyauteries inertes la faculté de produire des bulles telles que celles d’une pipe en terre avec de l’eau savonneuse. Le contraste du massif avec le fluet transmute certaines sculptures en évocation inattendue : ne dirait-on pas que « Bubble gum » est devenu escargot glissant baveusement sur le sol en trainant son habitable coquille ? ne dirait-on pas (mais l’artiste le dit dans son titre) la transposition figée d’un cosmonaute enfermé dans son casque ? 

Nouvel oxymore en trois dimensions : cette rencontre entre minéral et végétal. Des pierres grises, refaçonnées par l’eau qui les immergeait, semblent avoir engendré des arbustes fébriles ; du lisse compact est né l’hirsute débridé, de la stabilité a surgi l’effervescence, du gris opaque s’est engendré le limpide piqueté d’un rouge floral. En cette occurrence, l’usage du borosilicate rejoint en vocable la sonorité de Brocéliande, dont on sait qu’elle était forêt mythique de la conquête du graal.

Poussant plus avant, Julie Legrand en arrive à défier les lois de la pesanteur. Voici qu’elle s’empare de la notion de fragilité pour la confronter – pas toujours de façon totalement convaincante même si elle parvient à y mettre beaucoup de conviction – avec la robustesse. Il est vrai que le défi était de taille. En rapport direct avec le titre de cette exposition, « La traversée des solides », elle associe des blocs compacts de pierre à des panneaux de verre, blocs que la résidente métamorphose en métaphore cette série qu’elle a baptisée « Laisser passer les nuages ».

Le résultat s’avère attrayant par le biais de son aspect spectaculaire. Il apporte un élément à l’imaginaire collectif parce que l’association de la force et de la faiblesse démontre que la première n’est pas nécessairement l’écrasement, la victoire et la seconde pas forcément la victime, la défaite. Au contraire, l’une et l’autre se trouvent en complémentarité plutôt qu’en compétitivité. Image flagrante que les lois rationnelles de la physique sont susceptibles d’être contredites par les hypothèses du poétique.

Galvaniser l’humilité des choses

Le parpaing en sa banalité d’élément architectural se voit emprunter une allure de flûte de Pan en train de générer des bulles. Une brique ajourée devient métonymie d’immeuble à appartements au sommet desquels grouillent de mini-personnages stylisés, transparents ou de noire opacité, à moins qu’il ne s’agisse de fumerolles plus ou moins toxiques.  Défi aux lois de la pesanteur, clin d’œil au surréalisme d’un Magritte ou d’un Dali, une tasse pour petit déjeuner est surmontée d’un volume en verre soufflé qui concrétise avec humour la quantité de café bien noir que quelqu’un d’invisible est en train d’y verser.

Des filaments colorés de verre filé, plantés dans une éponge, grouillent en rouge et jaune, tentacules ondulant dans quelque mer caraïbe. Les bouches d’aération d’une des salles du musée, en maquette à défaut d’avoir eu le temps d’être réalisé in situ, semblent engendrer de baroques tuyères sous le souffle de l’installation de climatisation. Sa paire de bottes en caoutchouc, instaurée œuvre d’art, a dorénavant la faculté de produire des bulles.

Le travail du verre par thermoformage a donné lieu à des compositions abstraites qui investissent l’espace. Partant de l’idée de trame par larges bandes verrières, à la façon de celles en papier que les bambins agencent en maternelle, Julie Legrand obtient le tissage d’un carré de verre vert dont le bombement incite à le dénommer « Coussin ». Au moyen du même matériau, découpé cette fois en triangles, elle façonne un ensemble compact de superpositions dont l’agressivité formelle, jumelée avec la propriété coupante des morceaux, induit l’intitulé de « Jungle ».

Les images sont déroutantes. Elles stimulent l’imagination. Leur matière est belle en soi. Salutaire mini-cure de couleurs, de formes, de textures en ces temps de grisaille mentale et d’horizons géographiques bouchés.

Michel Voiturier

« La traversée des solides » au Musverre, 76rue du Général De Gaulle à Sars-Poteries jusqu’au 17 janvier 2021. Infos : +33 (0)3 59 73 16 16 ou https://musverre.lenord.fr/fr/

Catalogue : Eléonore Peretti, Sévérine Aubert, Julie Legrand, « La traversée des solides », Sars-Poteries, Musverre, 32 p.(10€)

Résidences : octobre-novembre 2021. Infos sur le site du musée.

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