A croire que s’appeler Messager est un patronyme qui s’accorde parfaitement avec une artiste qui se trouve à la croisée des chemins de l’art entre le brut et le sophistiqué, entre la sculpture et le dessin qui est prête à emprunter plusieurs routes différentes pour aller porter des annonces en rapport avec le monde d’aujourd’hui, même si elle affirme qu’elle se trouve n’être porteuse d’aucun message.
Cette Nordiste qui se définit « la colporteuse de chimères, […], la messagère de fausses prémonitions » ajoute aussi « Je suis mon propre prophète ». Elle accueille le visiteur avec des mots. Ceux-ci ne sont pas innocents. Composés en relief avec du tissu, des filets, des fragments de peluche, c’est-à-dire des matières qui ont un rapport direct avec le toucher, ils indiquent le contenu de ce qui va suivre. « Tragédie » s’entremêle avec « comédie », comme dans la vie réelle. Ils s’accordent avec « tentation » et « ghost » (fantôme) rappelant que ce qui nous attire peut s’avérer illusoire. Ils signalent aussi le pouvoir de l’image ou de ceux dont on fait des images destinées à la fascination : « icône ». Ils remémorent que « apparition » est partielle avant, parfois, de se montrer complète à condition d’y ajouter les lettres manquantes après le A initial.
Un regard au féminin
L’univers de Messager est là : dans cette réalité qui nous entoure, avec ses oppositions, sa complémentarité, ses rêves et ses réalités brutes. Le réel, c’est cet hommage aux couturières réalisé à la façon d’un pendentif précieux et monumental grâce à l’assemblage élégant de cet humble instrument de travail qu’est le mètre ruban. Immédiatement ensuite, l’artiste donne « Rendez-vous dans les traversins ». Passage abrupt de la notion de pénibilité du travail à celle de la sexualité puisque les éléments de literie sont associés à des séries de dessins qui affichent clairement leurs allusions érotiques. Cette union entre l’univers textile présupposé traditionnellement apanage féminin et celui du sexe considéré comme appât au désir par une société machiste constitue un des axes essentiels du travail de l’artiste.
C’est ce vers quoi mène le « continent noir ». Cette pièce est recouverte d’utérus qui fourmillent à qui mieux mieux, colorés, stylisés, provocants, en aplats ou en reliefs, triomphants, goguenards, ironiques, évidents. Ils jubilent omniprésents et s’accordent avec un abécédaire à destination des machos impénitents qui inventorie les injures qu’il sied de leur envoyer. Une revanche éclatante contre un sexisme historique qui est loin d’avoir disparu.
Autre lieu, poursuite du propos. Voici la salle « dessus-dessous » , installation animée par une soufflerie, faite d’un immense voile de soie rouge qui se gonfle, sorte d’organe colossal palpitant. Ses mouvements laissent percevoir sa composition interne, mystérieuse, capharnaumesque.
Ajuster les apparences
Friser le fantastique est une façon de donner au quotidien une tournure à la mesure dont il est imprégné par les objets. Agrandis : épingles de nourrice, paires de ciseaux, cintres à vêtements, sacs à main, clés, marteau, peigne, écouteurs, smartphones et autres ustensiles nous transforment un moment en lilliputiens au pays des boutiques. Ainsi que l’écrit Marie-Amélie Senot, « Un objet devient entre ses mains une amulette narrative ».
Voir autrement décape. Une carte de France monumentale offre le polychrome de ses régions composées de peluches entières ou morcelées, en présence d’un dérisoire gardien, teckel naturalisé affublé d’un masque anti-covid… Pour compléter l’ensemble, Annette Messager a élaboré une série de cartes géographiques dessinées : amoureuse, nudiste, ogresse, machiste, picassienne, spectrale, agressive… Œuvres, on le devine, qui ne manquent pas d’autodérision. De même que la série d’exvotos qu’elle a déclinés après divers traitements médicaux, dessins hantés par des squelettes grotesques.
L’exposition regorge de recoins où des créations inattendues attendent un regard qui verra soudain autre chose. C’est vrai de ces escargots qui balisent les lieux. C’est vrai des innombrables dessins disséminés, parfois même discrètement relégués derrière un filet filtrant car le défi lancé par Annette Messager ne craint la hardiesse d’affronter la pornographie. C’est vrai d’un inédit en hommage à Jeanne d’Arc qui comporte des séquences juxtaposées, sorte de polyptique religieux qui donne de la sacrifiée une autre perception que celle d’être l’emblème d’un patriotisme restrictif.
Quant à « La revanche des animaux » qui clôt ce parcours prolifique, elle se réfère aux destructions qui attendent notre planète alors peut-être que ce n’est ni l’homme ni ses vestiges historiques qui subsisteront une fois que les conséquences des déséquilibres écologiques auront établi leur bilan définitif.
Michel Voiturier
« Comme si » d’Annette Messager jusqu’au 21 août 2022 au Lam à Villeneuve d’Ascq. Infos : +33 320 19 68 68 ou www.musee-lam.fr
Lire : Annette Messager, « Comme si », Paris/Villeneuve d’Ascq, Dilecta/Lam, 2022,
Marie-Amelie Senot, « Annette Messager Comme si», Paris/Villeneuve d’Ascq, Dilecta/Lam, 2022
Relire : https://fluxnews.be/annette-messager-en-correlation-avec-le-corps-physique-et-social/
Annette Messager, « Comme si », Paris/Villeneuve d’Ascq, Dilecta/Lam, 2022,336 p.
Marie-Amelie Senot, « Annette Messager Comme si», Paris/Villeneuve d’Ascq, Dilecta/Lam, 2022, 28 p.
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