Annette Messager : en corrélation avec le corps physique et social

Annette Messager, Fashion Odyssex, 2014, © Marc Domage © adagp 2015

En partenariat, deux musées de Calais (Beaux-Arts – Cité de la Dentelle et de la Mode) accueillent une Nordiste, Annette Messager (1943, Berck) dont les créations multiformes ont souvent eu rapport avec fil, textile… et où l’être humain garde une place fondamentale.

S’il y a un lien entre la vingtaine d’œuvres ici rassemblées, c’est bien le fil et un certain rapport au quotidien, le tout habité par nombre d’allusions à un univers féminin. Chaque création se présente à la fois comme éclatée, fragmentée et comme rassemblée autour d’un noyau. Chacune, souvent organisée en accumulations, mêle également des éléments familiers à des expansions plus ou moins fantasmatiques.

Hommage à la mode et à ses artisanes

La partie « hommage aux couturières » se sert d’ustensiles propres au métier. C’est, en premier, cette installation qui suspend des répliques quasi monumentales de ciseaux, aiguilles, épingles, perroquets, pointes perforatrices, aimant… Chaque élément suspendu, aux dimensions élargies qui nous imaginent lilliputiens, prend des allures de mobile à la Calder ou d’ex-votos reconnaissants, voire d’allusions à la couture, cette ‘sorcellerie’ du vêtement qui métamorphose l’apparence des humains.

C’est également ces mètres-rubans drapés d’élégante façon sur le vide de l’absence d’un corps à vêtir. C’est encore cette mise en reliquaire qui dessine, sur coussin blanc, un réseau de vaisseaux sanguins rouges ou bleus sortis d’un agglomérat d’épingles métalliques, métaphore de la vie anatomique au même titre que de la création en général.

Des objets liés au vestimentaire prennent soudain des allures autres. Ainsi de cet assemblage spatial de soutiens gorges aux allures d’araignée d’autant plus venimeuse que leurs coloris réjouissants auraient tendance à inciter la main à quelque caresse. Ainsi encore, ces collants devenus – par étirement, torsion et pliage – des sortes de silhouettes rappelant, non sans humour, des statuettes d’art premier.

Le rembourrage permet des variations en trois dimensions. Elles s’apparentent souvent à des rappels d’enfance sous forme de pantins, de poupées de chiffons. Les voici juchés sur des rouleaux de papier toilette colorés, comme s’ils allaient s’en servir en tant que toboggan jubilatoire. Ils accompagnent aussi des globes terrestres gonflables, vision polychrome d’une planète fragilisée en proie aux malversations humaines, image mouvante liée à une respiration précaire.

Les voici encore, ces pantins rigolos, installés et intégrés à un mur consacré à la signalisation routière. Une signalisation particulière qui ne s’intéresse qu’aux panneaux d’interdictions et préfigure l’installation du collectif gantois Inject Love plantée en face du Palais du gouvernement provincial lors de Mons 2015 capitale culturelle.

Il y avait de la dérision chez les Flamands ; il y a davantage de subversion chez Messager. Car elle quitte les injonctions pour glisser vers les interdits culturels comme la prohibition de la conduite automobile féminine dans certains pays musulmans ou vers la prévention sanitaire grâce au rappel de l’abstention de tout alcool chez les femmes enceintes.

Regard critique sur les objets et l’être

L’installation la plus frappante est composée d’une cascade de traversins envahisseurs. En une sorte de ressac, elle charrie des éléments textiles, des personnages, des créatures hybrides. Elle concentre une énergie déferlante derrière le paradoxe d’un objet, le pelochon, destiné davantage au repos qu’à l’activité. On y adjoindra cette sculpture insolite d’une femme cambrée au sol, soit accouchant, soit investie par le cou et la bouche d’un traversin qui l‘a, au préalable, traversée. Métaphore d’une personne cantonnée à des pratiques ménagères ? image d’un être réduit à n’être que sexuelle sans organe de pensée et de réflexion ?

La série des « Crash Tests » prolonge cette œuvre. S’y mêlent des photographies encadrées montrant le déroulement de ces essais de fiabilité des systèmes de freinage automobile, des membres en aspect de prothèses carbonisées. Tout cela est accroché pêle-mêle, ne tenant, à l’instar de la vie, qu’à un fil.
D’autres photos focalisées sur des fragments anatomiques sont éparses, reliées entre elles par des fils noirs, rehaussées d’un motif brodé de couleur vive, panachage du banal et de l’extraordinaire. Elles forment une vision éclatée, fractionnée d’une même réalité transposée sur cimaises. Cet aspect contestataire se retrouve avec les fusils badgés. Ceux-ci, recouverts de tissu comme d’une peau, sont devenus inutilisables ; les macarons qui y sont épinglés représentent encore des portions d’anatomie et semblent être aussi bien des identificateurs d’identité que des cibles pour tireurs d’élite.

Apparenté au fil, le cheveu ne pouvait être absent. Il est associé, à son tour, à des organes ou des membres. Il y a là des réminiscences de pratiques primitives, de références à des cultes ésotériques. Tant il est vrai qu’il y a chez Annette Messager comme des relents de maléfice, de mythologies enfouies dans la mémoire collective. Cela éclate dans ses « Chimères », peintures découpées et assemblées, superposées, réorganisées jusqu’à former une fresque baroque, un peu burlesque, hantée par le fantastique. Intéressante combinaison de morceaux divers, disposés de manière à cacher et à montrer en même temps, à ne révéler que partiellement et à donner des clés imparfaites qui n’ouvrent pas nécessairement tous les fantasmes.

Et puisque broder appartient à l’univers textile, il était logique que le mot apparaisse dans l’œuvre protéiforme de l’artiste. Ce sera, par exemple, cet assemblage cruciforme « Fashion Odyssex » qui dénonce avec humour et inventivité certaines dérives de la mode.Lettres et matières utilisées tiennent du jeu y compris du jeu de mots. Et démontre que l’artiste aime brouiller les codes, ne pas se cantonner à une seule pratique artistique.

Michel Voiturier

Au Musée des Beaux-Arts, 25 rue Richelieu et à la Cité de la Dentelle et de la Mode, 135 quai du Commerce à Calais jusqu’au 15 mai 2016. Infos : 00 33 (0) 321 46 48 40 ou 00 33 (0) 321 00 42 30 et www.musee.calais.fr et www.cite-dentelle.fr
Catalogue : A-C Laronde, B.Forest, D. Viéville, Y. Sabourin, «Annette Messager dessus dessous», Paris, Dilecta, 2015,122 p.

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