L‘affiche politique est un outil de communication particulier. Il existe depuis belle lurette puisqu’ayant débuté durant la première moitié du XVIe siècle. Aujourd’hui, concurrencé par les réseaux sociaux du net et par les tags des graffeurs, il s’est émoussé sans pour autant disparaître.
Son efficacité dépend de sa lisibilité. Celle-ci est d’abord tributaire du contexte dans lequel elle a été conçue. Il est des messages qui s’affaiblissent dans la mesure où les situations ou les personnalités contestées ont quitté la scène politique, ont été éclipsées par de nouvelles péripéties. Mais les thèmes essentiels, eux, demeurent dans la mesure où ils n’ont pas encore trouvé de solution.
L’affiche politique a des avantages au contraire de la publicité commerciale (et peut-être même de la pure propagande) qui suscite en général une perception passive, les éléments iconiques et textuels choisis ayant pour seul objectif une adhésion plus ou moins inconsciente. L’affichage engagé provoque plutôt un réflexe de curiosité et de défi, comme les rébus ; il enjoint de trouver un sens, de décoder ce qui est montré. Il porte en lui le ferment d’une action personnelle non liée au mercantile ou au consensus rassurant d’une approbation presque mécanique à une institution idéologique.
Figures de style
L’oxymore, fort à la mode ces derniers temps dans le domaine de l’écriture, est plutôt rare. Le seul exemple frappant de cette sélection-ci est signé Jarek Bujny. Il campe la silhouette d’une femme en buste, revêtue d’une burqa d’un noir impénétrable. Vers le haut, une petite ouverture blanche en forme de cœur laisse entrevoir derrière un réseau de fils en guise de grille, une portion de visage pâle et un œil dardé vers l’extérieur. Ces oppositions fortes semblent suggérer le désir profond d’échapper à l’enfermement culturel intégral grâce à un amour venu d’un autre univers de croyances. Dans une similaire construction structurelle, Yan Zhanglian dessine une tête ‘burqanisée’ de noir avec une ouverture oblongue immaculée dans laquelle deux yeux sont transformées métaphoriquement en colombes pacifiques.
Peut-être peut-on considérer certaines rencontres iconiques comme oxymoresques. Telle cette invitation à un « Bal de la Fraternité » où Dugudus et Regis Léger ont dessiné un CRS casqué en uniforme noir en plein tango avec une partenaire en robe de gala au décolleté avantageux.
La métaphore et la métonymie sont des procédés plus courants pour créer la transcription visuelle d’une idée. Il en est quelques-unes d’une grande limpidité et souvent même qui associent ces deux figures de style.
La métonymie, manière de se servir d’une partie d’un ensemble pour signifier le tout, a inspiré Li MInglian. L’artiste évoque le drapeau européen en utilisant un fond bleu serti d’un cercle de douze petits éléments jaunes, allusion aux étoiles de l’étendard de la Communauté. Ces dernières sont en effet remplacées par des mains qui s’agitent. Le titre ajouté, Crise européenne des réfugiés, indique alors bien que le bleu est la mer et que les mains sont celles des migrants en train de s’y noyer.
La Maison Blanche de Donald Trump est vue par Erin Wright. Un dessin montre le bâtiment. Mais un étai placé derrière le transforme en décor de théâtre : ce n’est qu’une façade, derrière laquelle sont les coulisses, dans le noir desquelles peuvent se tramer toutes les intrigues possibles, tous les faux semblants imaginables.
Quelquefois, métaphore et métonymie se combinent particulièrement. Teresa Sdralevich construit son graphisme à partir de l’idée de statistique. Ce qui conditionne le dessin de sa création : soit un slash central séparant deux chiffres d’un pourcentage. Ceux-ci ne sont pas des nombres mais des ronds couleur chair, nantis en leur centre d’une aréole évoquant un sein, celui-ci à son tour évoquant la femme. Autrement vu, les femmes devraient être à égalité avec (sous-entendu) les hommes.
Jean-Paul Rouard lance un appel en faveur d’un changement de mentalités en 2018, année de grèves et d’apparition des gilets jaunes en France. Il écrit « Les utopies doivent renaître avec force » sur fond noir entouré de deux chiffres rouges, 6 à gauche et 8 à droite, ramenant au souvenir des espoirs libertaires durant les remous de mai 68.
Narration directe ou indirecte
Parfois, l’illustration se réalise au premier degré. Peter Javorik dénonce l’élimination des opposants à un régime idéologique en stylisant la silhouette d’un individu tête penchée vers l’avant, visage masqué par un tissu, le crâne traversé par une balle sortie du canon d’une arme.
Une double affiche due à Du Huanhuan et Li Mingliang raconte de façon muette une évolution historique. Elle met en présence deux époques du socialisme d’état : après la révolution de 1917, on a érigé des statues à Lénine ; quelques décennies plus tard, on les a déboulonnées. Les mêmes graphistes ont dessiné un bras levé en train de brandir un carton rouge. Ce carton n’est pas celui des arbitres du foot. C’est un dollar et donc les conséquences de son importance dans les finances mondiales qui est prié de s’en aller hors du jeu pour ne pas le fausser.
Une partition, orchestrée par Mario Fuentes, remplace les notes de musique par des bêtes. Au fur et à mesure que l’on passe d’une portée à la suivante, le nombre d’animaux diminue si bien qu’à la fin seul demeure l’homme qui a réduit toute biodiversité. L’échelle élaborée par Vanessa Verillon est datée à chacun de ses échelons accompagnant l’ascension de pieds chaussés de souliers à talons haut. La petite notice qui se réfère aux mutations sociétales favorables aux femmes indique bien que ces changements ne sont pas terminés.
Annonce d’un film polonais consacré à des magouilles du clergé, une tire-lire violette, coloris cher aux prélats de catégorie supérieure, se voit doté d’une encoche à monnaie en forme de crucifix sous le nom de Andrzej Pagowski. Plus complexe est la page d’écriture d’un alphabet par un écolier sur cahier ligné, qu’imite Marlena Buczek Smith. Certaines lettres formant le mot ‘démocracy’ s’inscrivent en plus gras et suggèrent qu’un enseignement trop élémentaire ne favorise pas l’acquisition par les citoyens d’un savoir menant à l’esprit critique.
Parodie d’une carte postale envoyée par des touristes vacanciers, le travail de Holger Matthies étale sur les galets d’une plage des godasses abandonnées par le flot des émigrés. Le drapeau étasunien, est plagié par Ji Rong, lequel a remplacé les étoiles du rectangle bleu par le symbole du dollar et les bandes rouges horizontales, il les a métamorphosées en missiles, dénonciation du poids économique et militaire de cette nation.
En iconographie, le procédé qui produit facilement des néologismes est celui des mots valises, association fusionnelle d’un certain nombre de syllabes d’un mot avec celles d’un autre. Magritte a parfois usé de ce mélange, par exemple dans ce tableau où une chaussure en cuir se termine par des orteils de chair. Luis Antonion Rivera Rodriguez a dénoncé les violences instillées par certaines religions. Il a dessiné un révolver dont le canon ressemble à deux mains jointes en prière.
Universalité de la démarche
Des affiches, il y en a des dizaines venues de quatre coins du monde. Elles explorent quantité de thèmes sensibles : droits de l’homme, féminicide, pauvreté, minorités, migration, racisme, montée du fascisme, écologie, disparité nord-sud…
S’y ajoute cette année une focalisation sur un pays particulier, le Portugal. Notamment à propos de plusieurs ateliers d’artistes : Arara, Officona Loba, Gorila et Clube dos Tipos. Cette production s’avère un peu moins idéologique et davantage artistique. Et confirme à quel point la méconnaissance des contextes socio-économiques, culturels et politiques autochtones freine les interprétations possibles.
Michel Voiturier
Exposition au Mons Memorial Museum, boulevard Dolez 51 à Mons jusqu’au 19 décembre 2021. Infos : 065 33 55 80 ou www.monsmemorialmuseum.mons.be
Catalogue : Constantin Rousman, Luis Henriques et collab., « 14e triennale internationale de l’Affiche politique », Mons, 2020, 114 p.
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