ARLES Complexe polyvalent ouvert sur l’art et la communication

Une partie de « Flowers for Africa » de Kapwani Kiwanga © Marc Domage
Une partie de « Flowers for Africa » de Kapwani Kiwanga © Marc Domage

Complexe culturel gigantesque, LUMA Arles s’étend sur 33 800 m2. Il comprend aussi bien des lieux de restauration alimentaire que des galeries d’expositions, des promenades sur un site aménagé en parc d’agrément, de la conservation d’archives, des endroits de débats que des vestiges industriels.

Ce terrain dédié à l’art d’aujourd’hui mais aussi à la flânerie dans le jardin est ouvert sur la ville d’Arles. La vieille friche délaissée par la SNCF est devenue lieu de détente et de connaissance. De loin, apparaît la Tour biscornue de  Frank Gehry (Toronto, 1929). Phare incontournable, planté sur une construction circulaire qui rappelle les arènes de la cité, elle annonce l’étonnement, la fantaisie, l’inventivité, l’audace.

La Tour de Frank Gehry © Adrian Deweerdt
La Tour de Frank Gehry © Adrian Deweerdt

Au niveau 1

Dès l’accueil, le visiteur est entraîné vers des univers plastiques différents. Le Drum Café a été imaginé par Rirkrit Tiravanija (Buenos Aires, 1961). Il a été réalisé avec des matériaux technologiques actuels comme l’inox mais également issus de la bio-région camarguaise : pulpe de tournesol, laine de mérinos d’Arles, pigments et teintures issus de plantes invasives environnantes… Une tapisserie monumentale tissée à l’ancienne reprend la thématique de la fleur chère à Van Gogh.

L’auditorium est orné par une fresque céramique d’Etel Adnan (Beyrouth, 1925). Elle étale des coloris (orange, jaune, vert, bleu). Se présente alors un panorama séquentiel de silhouettes évocatrices  qui donnent la sensation de l’évolution d’un lieu géographique forestier sous les effets d’un vent dominant.

Au niveau 2

Carsten Höller (Bruxelles, 1961) a réalisé une installation ludique calquée sur les toboggans des parcs d’attractions aquatiques, « sculpture à l’intérieur de laquelle on peut voyager ». Les adultes y retrouvent un plaisir d’enfance qu’ils ont rarement l’occasion de pratiquer. 

Liam Gillick (Aylesbury, 1964) emprunte ses clichés photographiques à la nature pour les intégrer dans cet espace architectural. Une sorte de préfiguration virtuellement prémonitoire de ce qui attend le visiteur lorsqu’il arpentera le parc paysager externe.

Le paysage Endodrome conçu par Dominique Gonzales Foerster (Strasbourg, 1965) est pure évidence virtuelle, aussi manifeste que du vrai, tout en transmettant une impression onirique hypothétique. Munis d’un casque de vision et d’audition, les participants appréhendent en trois dimensions des formes mobiles, mouvantes, en constantes métamorphoses. Ils baignent dans un environnement aux apparences de réalité

Ólafur Elíasson (Islande, 1967) coiffe l’ensemble d’un miroir circulaire en perpétuel mouvement. La réverbération reflète l’espace inversé du puits central, entraînant dans la lenteur de sa rotation le reflet non seulement de l’architecture mais aussi des visiteurs dont l’image semble suspendue au creux d’un temps inlassablement figé et mobile.

Sur la terrasse, c’est un espace pour skate board que propose Koo Jeong A (Séoul, 1967). Sa surface est phosphorescente permettant des effets très particuliers lorsque des patineurs se lancent dans des chorégraphies nocturnes.

Galerie principale rez-de-jardin

Dans cet espace grandiose s’offrent des pièces importantes de la collection LUMA. Elles témoignent du souci de choisir des œuvres qui sont le reflet de notre société, le sujet d’une réflexion à propos de notre univers par des artistes.

Les sculptures collages de Hans Peter Feldmann (Düsseldorf, 1941) accumulent sur des socles rotatifs des objets bric à brac. Majoritairement, ils appartiennent à des représentations en plastique de personnages de BD ou d’imageries populaires, de gadgets de type porte-clefs ou souvenirs touristiques, voire d’autres inutilités publicitaires. Le mélange de coloris criards, de formes caricaturales, de provenances hétéroclites est éclairé violemment, et, tandis que chaque ensemble tourne en permanence projetant sur le mur des ombres chinoises mouvantes. Un condensé ironique du consumérisme, de la prolifération des choses futiles, tentaculaires du quotidien.

Alighiero Boetti (Turin, 1940-1994) étale un planisphère où la forme géographique des pays est représenté par des patchworks aux couleurs et motifs de leur drapeau national. Reflet à la fois de leur diversité et de leur nationalisme. Une sculpture en noyer de Paul McCarthy (Salt Lake City, 1945) ironise à propos de Blanche-Neige et des paraboles véhiculées par les dessins animés de Disney.

Franz West (Vienne, 1947-2012) reprend en papier mâché des éléments de la statuaire antique comme sortant ébréchés  de quelque fouille archéologique. Il disperse une série facétieuse de canapés multicolores, accueillants, attirants et élémentaires.

Urs Fischer (Zurich, 1973) travaille dans la démesure et une dérision provocatrice. Hyperréaliste exacerbé, il pastiche de manière monumentale une statue du XVIe siècle, lui attribue un visiteur contemporain grandeur nature. L’ensemble est criant de réalisme. Mais ce travail colossal s’avère conçu en… cire et chaque œuvre est, en fait, gigantesque bougie en train de subir sa fonte inexorable. Interpellation au sujet de la pérennité de l’art, de l’illusion des trompe-l’œil, du temps qui passe.

L’installation de Mike Kelley (Detroit, 1954-2012) brasse bien des éléments. L’association du mythe de «La Grotte », d’une bonbonne technologique d’aujourd’hui, de vêtements abandonnés bien réels…, brasse large sur le passé humain, la nécessité de l’abri, la précarité des plus démunis, la puissance ou la fragilité des pouvoirs du scientifique. Une polysémie condensée par Arthur Jafa (Tupelo, 1960) avec « La Rage », décalquage du personnage central de la série télévisée Hulk, sauf que, en colère, le héros du peintre est un Noir.

Ce genre d’ironie, moins cinglante, de Katarina Fritsch (Esson, 1956), se retrouve dans la statue religieuse de la sainte patronne de l’Eglise et des médias ! Isa Genzken (Bad Oldesloe, 1948) aligne des bustes de Nefertiti affublés  de paires de lunettes différentes qui en métamorphosent le visage. Pas loin c’est Madonna en madone qui cajole un enfant Jésus dont l’auréole est un béret rouge !Quant à Rirkrit Tiravanija (Buenos Aires, 1961), il a ancré dans l’actualité une série de grandes toiles réalisées au moment de la crise financière de 2008. Des pages de journaux collées, une phrase voulue incorrecte (les jours de cette société est compté) concrétisent l’indignation citoyenne qui est sienne. Et Christofer Wool (Chicago, 1955) plaque sur aluminium le mot RIOT (émeute) au pochoir, sorte de tag sorti de son contexte urbain et résumant sobrement une violence latente.

Sur acier, façon miroir, Michalangelo Pistoletto (Dienna, 1933) sérigraphie un personnage ou un caméraman auprès desquels le reflet du visiteur de l’expo s’invite, intégré à l’insu de son plein gré à une création artistique, devenant un être virtuel tout en demeurant un être réel, questionnement s’il en est du passage d’une réalité à une virtualité qui est le propre de toute représentation. Interrogation que prolongent Peter Fischli (Zurich, 1952) et David Weiss (Zurich, 1946-2012) avec leurs deux morceaux de tuyau en argile et en caoutchouc, présents sur un socle, inutiles en tant qu’objets.

Diane Arbus (New York,1923-1971) tire le portrait de gens ordinaires comme s’ils étaient des personnalités célèbres, mais elle s’intéresse aussi à des marginaux traçant de la sorte l’image d’une société qui, précisément n’a pas qu’un seul aspect car une démarche artistique ne peut se contenter d’envisager que les beaux côtés d’une civilisation.

Vue de l’exposition : à l’avant, un canapé et des sculptures de Franz West ; à l’arrière, tableaux de Rirkrit Tiravanija (Collection Maja Hoffmann/Foundation LUMA ©Marc Domage
Vue de l’exposition : à l’avant, un canapé et des sculptures de Franz West ; à l’arrière, tableaux de Rirkrit Tiravanija (Collection Maja Hoffmann/Foundation LUMA ©Marc Domage

Galerie Sud rez-de-boulevard

Dans un espace spécifique, Philippe Parreno (Oran, 1964) propose une immersion très particulière à travers une projection dont la diffusion est spatialement mouvante : la bande sonore est tributaire d’une installation soumise à des algorithmes, les spectateurs sont assis sur un plancher tournant. Le film se déroule et les transporte dans un univers d’images qui se termine par un retour au réel lorsqu’une baie vitrée se dévoile et dévoile le panorama environnant. Le tout commandé à distance par un serveur électronique.

Galerie Est rez-de-boulevard

Ici se déploie une part plus ancienne de la collection. On y rencontre Richard Long (Bristol, 1945) et un de ses chemins de pierres, transposition quasi brute de blocs rocheux à l’intérieur d’une salle muséale, passage du naturel d’un environnement à l’artificiel d’un endroit institutionnel. Cy Twombly (Lexington, 1928-2011) inscrit sur toile des signes graphiques essentiellement gestuels. C’est allusif à des tags ou des graffiti. C’est une partition rythmique qui consigne une sorte de cartographie cosmique saisie dans le mouvement qui la génère. S’y ajoute un travail sur les lettres, jeu avec le nom d’Orphée qu’il traite par essais et effacements à la gomme, espèce de mise en vue d’un processus de mémoire plus ou moins fiable.

Bruce Nauman (Fort Wayne, 1941) œuvre lui aussi dans une apparente simplicité. Il déplace des éléments du journalier afin de les exposer. C’est le cas de ses escaliers passés de marchepieds à sculpture. Rosemarie Trockel (Sochwerte,1952) suspend au bout d’un câble un poisson de bronze affublé d’une couronne de cheveux blonds artificiels. Une perception plutôt narquoise de la pollution que nous ne cessons d’engendrer. 

Les photos de Duane Michals (McKeesport, 1932), qui consacra notamment des clichés à Magritte en 1965, appartiennent à une série. On y voit un couple dans un décor ordinaire. D’image en image, personne et environnement se transforment pour passer, non sans humour, du présent à un hypothétique jardin d’Eden qui semble remettre en cause l’artificiel de notre actuelle façon de vivre.

Glassroom rez-de-jardin

Christian Marclay (San Rafael, 1955) a réussi un tour de force extraordinaire avec son film The Clock. Il est en effet fascinant de visionner son montage-collage de milliers de films internationaux qui fait défiler toutes les minutes d’une journée sur écran. Chacune d’elles étant visualisée à travers une succession ininterrompue d’images ou de séquences brèves. Ce patchwork dans lequel chaque spectateur retrouvera par ci par là des souvenirs de cinéma tisse une histoire improbable mais prenante. Et l’attente amusée de voir comment le réalisateur va trouver une astuce pour insérer des productions hétéroclites  dans le temps, pour avancer dans sa narration échevelée, rend la projection palpitante.

Galerie des Archives vivantes rez-de-jardin

Une succession de locaux fournissent une matière particulièrement foisonnante, fréquemment renouvelée. On y trouve des films, des publications comme le magazine Parkett, des œuvres, des documents variés. Il en va ainsi pour la chronologie des projets de la fondation Luma depuis son origine.

Un hommage est rendu au poète essayiste Edouard Glissant (Marie-Sainte, 1928-2011) qui fut un remarquable penseur engagé et dont la vision d’un monde en archipel a inspiré une partie de la conception de cet ensemble culturel. Sont conservés des photographies et des vidéos de Nan Goldin, Diane Arbus, Annie Leibovitz, Derek Jarman, John Akomfrah. La musique n’est pas négligée avec Simon Fisher Turner. Elle est présente encore dans un film performance d’Anri Sala où un musicien joue Stravinski en fonction de la progression d’un escargot.

Le jardin

Le jardin conçu par Bas Smets (Bruxelles, 1975) permet de musarder à loisir, de se restaurer éventuellement. Il comprend des œuvres particulières. D’abord la gigantesque sculpture rose de Franz West (Vienne, 1947) qui s’élève jusqu’à 13 mètres au pied de la Tour et accueille les promeneurs avec son allure de bonbon installé dans l’herbe.

En marchant, le visiteur aura le choix de circuler ou non via l’installation de Carsten Höller (Bruxelles, 1961). S’il s’y rend, il traversera une sorte de corridor flottant et passera par 7 portes coulissantes en verre qui lui renverront son image, mise en abyme au cours de l’acte même de marcher, d’aller vers sans avoir la possibilité de percevoir qui arrivera dans l’autre sens. Par contre, au cas où il se dirigerait vers le Café, il foulera la mosaïque composée à partir d’œuvres de Kerstin Brätsch (Hambourg, 1979). Parmi des mouvements très ondulatoires, il y distinguera des personnages fantasques.

La grande halle

L’installation impressionnante de Pierre Huyghe (Paris, 1962) est sans cesse en action. Elle associe un incubateur de cellules cancéreuses à une série de composants. Le sol contient des éléments technologiques et des organismes biologiques. Des images produites à partir de l’énergie neuronale d’un individu apparaissent et se métamorphosent sur des écrans. Certaines de ces images ont été concrétisées en sculptures évolutives sous l’effet de micro-organismes. Association d’une démarche scientifique avec une créativité artistique, cet ensemble s’avère captivant, rebutant, alarmant. L’art se combine ici au phénomène de la mutation et amène à une réflexion plurielle tant à propos d’écologie que d’éthique à cause de manipulations possibles.

La mécanique générale

Cet espace rassemble un quatuor d’artistes en réflexion à propos de l’écologie et de la société à travers vidéos et installations : Sophia al Maria (Qatar, 1983), P. Staff (Royaume Uni, 1987), Jakob Kudsk Steensen (Koge, 1987) et Kapwani Kiwanga (Hamilton, 1978).

Cette dernière  a entrepris des recherches documentaires dans les archives photographiques de pays africains. Elle a collectionné celles qui concernaient des cérémonies importantes pour l’histoire de ces nations, comme l’indépendance, la signature d’un traité économique ou politique. Ces reconstitutions minutieuses sont exposées et mises en scène de manière quasi théâtrale. Elles témoignent, au niveau historique, d’un moment de liesse, de réussite mais aussi, compte tenu de l’évolution de ces états, suggèrent une image forte de la fragilité des décisions lorsqu’il s’agit de les mettre en pratique.

La visite n’est close pour autant. D’autres expos sont encore à visiter, notamment celle, liée aux traditionnelles Rencontres photographiques d’Arles, qui fera l’objet d’un article ultérieur. Ce qui est d’ores et déjà évident c’est que le projet de la Fondation LUMA marquera la région par son apport dynamique, ses recherches liées à notre avenir et deviendra un complexe incontournable du témoignage des rapports entre culture et prospective, art et politique.

Michel Voiturier

Expositions actuelles visibles jusqu’au 26 septembre 2021 sur le site géographique de LUMA à Arles, 35 avenue Victor Hugo pour accéder à la Tour ou 33 avenue Victor Hugo ou bien 45 chemin des Minimes pour le jardin. Infos : 04 65 88 10 00 ou https://www.luma.org/arles/

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