Priorité à l’humain à travers l’image

Yuri Kozyrev, Russia © Yuri Kozyrev / NOOR

L’homme, tel qu’il est avec ses bons et ses mauvais comportements, passé sous des objectifs divers. Le rôle de l’image photographique est ici pleinement démontré. Elle est une source irremplaçable de connaissance de la réalité des êtres humains à travers notre planète.

En dehors de l’aspect esthétique que peut transmettre un cliché, la réalité fixée est un témoignage de la vie, de la société. Les portraitistes et reporters de cette expo montrent qu’il est possible et surtout souhaitable de parvenir à le faire sans sensationnalisme, sans sentimentalisme, sans racolage facile de la part d’humanité présente au cœur de toute situation. Ici on ne juge pas, on présente.

Une agence libre

Fondé en 2007, le collectif NOOR, mot qui signifie « lumière » en arabe, comporte actuellement treize  photographes internationaux à la fois enquêteurs, lanceurs d’alertes, témoins, narrateurs visuels. Indépendants et solidaires, ils travaillent sur des projets à long terme afin de traiter de sujets essentiels en montrant des réalités qui changent ou sont susceptibles de changer le monde.

Selon le fondateur du groupe, Stanley Greene (1949-2017) le mot d’ordre essentiel est « Certaines choses ont simplement besoin d’être vues » parce que le fait d’être montrées les rend publiques, leur donne des chances de susciter des réactions permettant de modifier des situations. Les problèmes écologiques, les migrations forcées, l’intégration, l’islamophobie, la surconsommation, les prisonniers politiques, la montée de l’autoritarisme, les conflits armés, les injustices, les résistances civiques… constituent donc la thématique majoritaire du travail accompli.

Ce qui ressort des exemples exposés, c’est une profonde attention apportée à l’humain. Ainsi, de Greene, ce visage de femme tchétchène, derrière une vitre embuée, regard perdu comme son enfant tué. Ainsi de cette trace noire d’un cadavre disparu pas loin d’une valise abandonnée sur ses roulettes qui interpelle à propos de ceux qui ne sont plus.

Jon Lowenstein (1970) se trouve au cœur d’une manifestation après la mort d’un citoyen noir due à la police. Andrea Bruce (1973) dénonce l’exploitation des jeunes filles rurales dans les usines sur fond de bidonvilles. Une exploitation au sujet de laquelle Pep Bonet (1974) a utilisé son appareil photo au Bangladesh. Mais il a en plus suivi, autre pan de la vie, le groupe rock ‘Motörhead’. Par contre, ceux que Francesco Zizola (1962) a accompagnés, ce sont des migrants dans des parcours maritimes périlleux. Ce genre de périple, Alixandra Fazzina (1974) l’a à son tour emprunté pour protester contre leur traitement indigne des droits de l’homme.

Mais les événements à portée politique ne sont pas les seuls qui intéressent les photographes de Noor. Une approche sociologique est dans leurs objectifs. Tanya Habjouqa (1975) s’est penchée sur le sort des Syriennes exilées en Jordanie. Elle a, de son côté, analysé les difficultés au quotidien des femmes de Gaza. Olga Kravets (1984) a concentré une recherche au sujet de Russes convertis à l’islam afin de comprendre un cheminement spirituel d’autant plus particulier qu’il fait l’objet d’une répression par le régime. Si des inquiétudes écologiques inspirent Yuri Kozirev (1963), il a par ailleurs esquissé un portrait de la jeunesse russe actuelle. Kadir van Lohuizen (1963) a évalué la « Nouvelle frontière » qui risque de s’imposer en Arctique à cause de la fonte des glaces.

Outre d’avoir visité les ruines d’Alep, Sebastian Liste (1985) interpelle à propos de la pandémie de violence en Amérique du Sud. Nina Berman (1960) a prospecté les conséquences de l’obsession sécuritaire étasunienne. Une image emblématique résume bien l’écartèlement qui existe entre démocratie et vigilance contre les dangers qui la menacent : elle montre la statue de la Liberté survolée par des avions militaires. Elle a aussi dressé le portrait de soldats revenus traumatisés de la guerre en Irak.

Bénédicte Kurzen (1980) et Sanne De Wilde (1987), en Haïti, se sont intéressées aux pratiques liées à la gémellité et aux croyances qu’elle a générées en une vision à la fois documentaire et esthétique. La seconde a également enquêté sur une île dont la population est atteinte de daltonisme, ajoutant un travail plastique à l’aspect document grâce à une recherche sur les couleurs.

Un éventail belge

La sélection à la 17e édition du concours « Photographie ouverte » permet d’avoir une vision assez large de la pratique photographique actuelle. Ici encore, l’humain, sous des aspects multiples, reste préoccupation majoritaire des participants.

enfants des rues, street children, mali, bamako, © Arnold Grosjean

Au Mali, Arnold Grosjean (Bruxelles, 1988) prix nationalet prix  RTBF, a effectué un travail d’initiation à la photo auprès de gamins des rues à Bamako pour aider à leur réinsertion. Il a opté de les montrer dans une ambiance sombre où peu de couleurs demeurent. Ils ne posent pas vraiment mais se révèlent dans une attitude de tension, dans la solitude où les a plongés  la violence, la maltraitance, la nécessité de survivre.

Héloïse Berns (Uccle, 1966) se définit comme portraitiste en noir et blanc.  Elle a choisi une série conçue dans l’ambiance d’un crépuscule. Elle n’hésite pas à utiliser le flou afin de rendre l’atmosphère vespérale. L’ensemble se pare d’une trame narrative à imaginer (prix Fotografie Circuit Vlaanderen).

Le Collectif Huma, formé de trois photographes et de quatre journalistes, a reçu leprix Roger Anthoine pour son approche systématique du monde du football féminin. Il propose entre autres un plan rapproché du bas du torse jusqu’aux haut des jambes d’une joueuse en maillot vert de son club, mains posées sur les genoux de chair, ongles soigneusement vernis de rouge vif. D’autres images prises un peu partout sur la planète attestent que l’émancipation féminine progresse.

Face à la dérive autoritariste conservatrice de la Pologne d’une de ses amies, Brigitte Grignet (Liège, 1968) a décidé d’aller dans les campagnes afin de voir de près la vie quotidienne des habitants. Elle pénètre dans leur intimité, évoque paysages et paysans. Démontre à quel point ils sont nos semblables, donc nos proches.

Adina Rionescu-Muscel (Bucarest [Ro], 1970) possède une double nationalité. Elle s’interroge sur son identité, sur sa généalogie. En résulte un travail d’assemblages de personnes prises dans des clichés familiaux ainsi que dans des images trouvées en brocante ou ailleurs. Elle les dispose verticalement sur un fond de carte postale ou de tirages crénelés à l’ancienne. Et comme pour réunir, rassembler ces êtres hétéroclites, les agrémente de fil cousu à la machine, à la fois lien entre eux et ligne de filiation potentielle.

Maël G. Lagadec (Paris [F], 1984) emporte le prix SOFAM grâce à une série autobiographique réalisée à partir de clichés scannés par son père biologique quand il était enfant, avant la séparation de ses parents. Ils sont malheureusement superposés. Dans l’impossibilité de retrouver chaque négatif, il manipule ces erreurs iconiques, conçoit d’autres superpositions qui parviennent à exprimer son regret du passé, ses exils, ses difficultés à appartenir à une famille finalement fantôme.

Anne Marquet (Malmedy, 1976), prix du journal Le Soir, a eu l’opportunité de prendre des photos dans une institution pour enfants autistes. Avec délicatesse, discrétion, empathie, elle a fixé des attitudes, des gestes, des regards… qui laissent percevoir des non-dits d’un vécu marginalisé, d’une solitude existentielle individuelle. Frédéric Pauwels (Anderlecht, 1974) a poussé plus loin la frontière des tabous liés aux handicaps. Il a saisi avec un tact particulier des instants d’intimité entre une « assistante sexuelle » et des handicapés. Il met en exergue un travail mal considéré en Wallonie et cependant primordial pour une qualité de vie de ceux que l’existence a relégués dehors des normes rassurantes. Sébastien Van Malleghem (Namur, 1986) a été intrigué par les morgues et attiré par la mort. C’est dans celles de Mexico qu’il a trouvé des dépouilles, des officines plutôt sordides que les contrastes du noir et blanc rendent encore plus dérisoires, comme les vies perdues de ceux qui aboutissent là.

La caricature sert à Fad Rideti (Lyon [F], 1966) pour dénoncer la pollution par l’invasion des matières plastiques non recyclées. Il trace le portrait très fabriqué de représentants d’une tribu imaginaire rehaussés de prétendus bijoux, ornements, parures, coiffures, vêtements confectionnés au moyen d’objets en plastique. Cette parade bouffonne de mannequins arborant avec une fierté extatique ce qui risque de les exterminer à long terme s’apparente a contrario à de l’humour noir. Sébastien Fayard (Avignon [F], 1974) se met scènedans des saynètes du quotidien, dans lesquelles il mime une actions et prend au pied de la lettre des expressions toutes faites. Ce qui donne des résultats plutôt drôles.    

S’il est urgent de dénoncer la sauvagerie, Sebastian Steveniers (Anvers, 1982) a appris à ses dépends qu’elle risque de se retourner contre celui qui le fait. Il est parvenu à pénétrer dans un cercle de hooligans supporters d’un club de foot flamand. Ses prises de vue exposent des codes visuels (tatouages, tee-shirts, inscriptions…), signalent la cohérence collective d’un clan, illustrent des entraînements à la bagarre. C’est à ce point explicite que l’enquêteur a été arrêté pour complicité et la majorité de ses photos saisies.

Sebastiaan Franco (Genk, 1992), prix Nikon Belux, s’est installé un temps avec des gens du voyage. Il a tenté de saisir des moments d’existence au bord d’un départ inévitable, de précarité permanente. Pour avoir suivi à plusieurs reprises des exilés en attente de papiers administratifs, Florine Thiebaud (Besançon [F], 1992) parvient à suggérer l’attente, la lassitude, l’incertitude. Il y a là une sorte de passivité fataliste qui naît de la déception, l’incompréhension que la couleur rend moins palpable. A l’inverse, les manifestants que filme en rues Jean-Marie Woit (Saive, 1949) sont agités, vociférant, engagés dans des colères qui déferlent à l’instar de leurs cortèges.

Jef Van Den Bossche (Wilrijk, 1993) est persuadé avec raison que les lieux indépendants  de rencontre entre citoyens sont un ciment entre les gens ordinaires. Il est par conséquent parti à la recherche des bistrots à l’ancienne où se retrouvent ceux qui viennent trouver une atmosphère de sympathie spontanée entre deux bières, deux déballages de souvenirs partagés, deux défis absurdes pour rigoler sans retenue. Ces sympathiques instantanés de convivialité, ils sont là, saisis par l’objectif. Son collègue Jan Vanhulle (Courtrai, 1953) complète la démarche en visitant des cafés où se côtoient des tenancier(es) âgé(e)s, des client(e)s de même génération et de plus jeunes consommateurs. De quoi donner envie d’aller trinquer avec eux !

Pierre Vanneste (Etterbeek, 1988) prix Vedi est conscientisé par la surconsommation et notamment la surpêche en mer. Les marins et leur travail ont retenu son attention. Lui, dans la nudité formelle du noir et blanc, exhibe des corps tendus et malmenés, des embarcations bousculées. Un endroit de nature où se perçoit la présence humaine est ce que montre Louise Bossut (Feurs [F], 1979). L’homme n’est donc pas nécessairement présent à l’image. Celle-ci se veut révélation d’un questionnement sur le danger que constitue le rôle des gens quand ils envahissent un lieu sans en respecter la disposition.

En noir et blanc, Pierre Carette (Charleroi, 1952) « avance sur le chemin conflictuel du réalisme abstrait ».Il s’attarde donc sur des formes géométriques. Paul d’Haese (Ninove, 1958), prix du  ministre de la culture, procède à une sorte d’inventaire de lieux choisis par l’homme pour y élever des traces architecturales teintées d’étrangeté par l’absence de ceux qui sont censés y passer. Avec « Hinterland », Alexis Gicart (Bruxelles, 1976) s’est focalisé sur des endroits plus ou moins abandonnés, livrés à une désolation peu engageante, délaissés par les humains

Michel Voiturier

« Noor/Pulse » et « Photographie ouverte » au Musée de la Photographie, place des Essarts à Mont-sur-Marchienne jusqu’au 19 septembre 2021. Infos : +32 (0)71 43 58 10 ou www.museephoto.be/fr

Catalogue : « 18e prix national Photographie ouverte », Mont-sur-Marchienne, Musée de la Photographie, 2021, 116 p. (10 €)

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