M – Museum Leuven présente les films et toiles polychromes de l’artiste américaine Sarah Morris (°1967). Soit les deux facettes d’une même oeuvre, qui interagissent pour questionner l’espace urbain, les structures de pouvoir, le contrôle des foules, l’univers du luxe.
Peindre et faire des films dans son atelier new-yorkais résument l’activité quotidienne de Sarah Morris. Sans relâche. “Je peins de manière continue, et chaque production s’auto-gère et s’auto-fragmente en de nouvelles peintures, compositions, couleurs”, relate-t-elle dans une interview-vidéo. Et quand je ne filme pas, je réfléchis au contenu ou à la réalisation et je fais des recherches”.
Ces deux disciplines procèdent d’une même approche. Revèler la ville au travers des structures de pouvoir, des institutions bureaucratiques, des médias et de l’architecture. Mais les tempos diffèrent. L’une se fait dans la lenteur, l’autre dans des éclats d’activité. “Ma peinture est un processus très lent. Le trait est extrêmement précis, et évolue dans une structure très ouverte en termes de significations et de couleurs. J’utilise cette structure pour y inclure tout ce que je veux faire. Lire, rechercher, voyager, discuter avec des gens, les associer à l’oeuvre”.
En documentent les quatre films, la dizaine de peintures monumentales et des oeuvres sur papier présentées au M – Museum Leuven. Et la peinture éphémère Maqta (Abu Dhabi), la plus haute réalisée à ce jour par l’artiste (7 mètres de haut et 23 mètres de large) qui revêt deux murs de la salle du dernier étage. Allusion à la frénésie du building le plus haut au sein des pays les plus riches de la planète ?
Pop Art et minutie
Très influencée par le Pop Art, le minimalisme et le conceptualisme, Sarah Morris a assisté l’artiste Jeff Koons, avant de développer son propre atelier Parallax (en référence au film The Parallax View avec Warren Beatty), au milieu des années 90. Elle est aujourd’hui représentée par les galeries White Cube (Londres), Air de Paris (Paris), Capitain Petzel (Berlin) et Petzel (New York).
La minutie dont elle fait preuve dans son travail justifie par ailleurs le titre de l’exposition “Astros Hawk”, qui renvoie à un type de fusée produite au Brésil, de haute précision, dont la forme évoque quelque chose “entre un élément de science-fiction et un faucon”.
Ses peintures abstraites et graphiques créent “une architecture virtuelle” autour des notions d’espace social, d’identité, et de capitalisme. Lignes, formes, couleurs, texture (plusieurs couches de laque brillante)… émanent de la dynamique et des codes urbains. Et en évoquent des détails. Affiches, hôtels, banques, paquets de cigarettes, ou vêtements. La texture lissée ramène la peinture à une surface quelconque, telle une affiche publicitaire. Et à la surface des choses, à laquelle mieux vaut ne pas se fier et qui agit comme un écran, une conspiration.
Pékin, Rio, Paris
Les séries de toiles de Morris s’inscrivent en marge de ses films réalisés lors de voyages, qui invitent à réfléchir sur la ville à partir de l’architecture, la politique, les groupes sociaux, l’industrie, la culture et les loisirs. A Pékin (pour les Jeux olympiques de 2008), au Brésil (à Rio de Janeiro et Sao Paulo, où le faste de la fête, des plages ou de l’architecture d’Oscar Niemeyer se heurtent à la réalité des favelas) ou à Paris, comme dans sa dernière video HD Strange Magic, à l’origine commandée pour l’ouverture de la Fondation Louis Vuitton et co-produite par celle-ci. Il y est question de liquide. Au travers de la Seine, de champagne, de parfum, ou de l’eau qui cerne le bâtiment de Frank O. Gehry. Mais aussi et surtout, de la nature fluide et impalpable de l’argent, du capital.
Mêlant les genres, du documentaire au récit narratif, l’artiste réalise également des films portraits, axés sur des personnages impliqués dans des événements historiques. Dans “1972”, elle dresse le portrait du Dr Georg Sieber, psychologue et concepteur de scénarios d’urgence lors de grandes manifestations, tels les J.O. de Munich où eut lieu un attentat terroriste avec prise d’otages. Elle dénonce ici, le possible échec de systèmes de contrôle et de sécurité.
Son attrait pour le cinéma se retrouve encore dans ses affiches de films (comme “Pulp Fiction”) détournées, retravaillées ou d’autres, conçues pour ses propres films.
Projections et toiles alternent et se répondent au fil des amples salles blanches du musée, titillant la rétine et délimitant des espaces contemplatifs, dont les œuvres très colorées incitent paradoxalement à la réflexion.
Catherine Callico
Sarah Morris – Astros Hawk, jusqu’au 20/03/2016, M – Museum Leuven, www.mleuven.be
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