Warhol, fragments du rêve américain et du cauchemar étasunien

Vue de l'expo Warhol à la Boverie © Tempora

Warhol est un créateur polymorphe. Il a des pratiques diverses (dessin, peinture, gravure, film, musique, écriture, édition, design…) et ne cesse de varier les thèmes qu’il aborde et les supports qu’il utilise. Il explore son époque pour en donner des images d’apparence plus ou moins neutre même si l’ensemble finit par donner un aperçu plutôt ironique du monde d’alors.

Les années 60, déjà foisonnantes en sciences et techniques ainsi qu’en économie libérale, ont sans aucun doute constitué en histoire et particulièrement en histoire de l’art un moment particulier d’une richesse extraordinaire où la création artistique, témoin d’une période et analyste d’une géographie sociopolitique, a concrétisé la réalité de la vie ordinaire en l’exposant aux yeux de tous grâce à la profusion des moyens de diffusion.

Le phénomène du pop art a représenté essentiellement l’hégémonie étasunienne sur l’ensemble du monde. Depuis la fin de la première guerre mondiale en effet, à cause de l’implication militaire des U.S.A. dans ce conflit et de la nécessité d’expansion de son économie, les États-Unis ont exporté, inoculé leur mode de vie et de pensée partout et en premier lieu dans l’Europe occidentale. Ce qui n’a fait que s’accentuer avec le fameux plan Marshal de la seconde guerre, sous prétexte d’assistance aux réparations des dégâts consécutifs à cette conflagration.

Si la tendance impérialiste commerciale existait déjà de manière plus ou moins larvaire, la transformation industrielle des matières et le boostage des produits de première nécessité acoquiné avec l’engendrement  artificiel de nouveaux besoins  a véritablement déferlé au point de changer non seulement l’aspect des villes mais aussi les comportements des citoyens dans leur quotidien et le contenu de leur culture à travers les codes qui s’imposent, notamment par le biais de cet art de masse qu’est le cinéma, relayé par les images de la télévision. 

Lorsque les œuvres de Warhol se sont mises à débarquer vers l’Europe, nous  découvrions aussi la musique minimaliste américaine. En dehors de ses qualités musicales intrinsèques et des réflexions philosophiques ou sacrées dont elle procède ou qui l’a engendrée, il s’est avéré  qu’elle correspondait exactement à un moment de l’histoire mondiale de production et de consommation.

Il est donc évident que le sacro-saint critère de l’œuvre unique a fait long feu face aux possibilités multiples de reproduction de tout travail artistique. Pas étonnant que Warhol se soit d’abord lancé dans la publicité (pour des alcools, des parfums, de l’eau minérale, des ordinateurs, une campagne électorale ou un parti écolo, des cartes de vœux), lieu par excellence propice à la prolifération. Qu’il a notamment calqué le symbole de ce qui caractérise le plus fortement un des moteurs de la dynamique économique de cette époque : le dollar. Qu’il a réalisé des couvertures de magazine, dont « Le Nouvel Observateur », « Libération », «Figaro  Madame », « Playboy »… N’affirmait-il pas : « Je crois que les médias sont de l’art » ?

Voilà pourquoi, notamment grâce à la sérigraphie, Warhol multiplie les portraits de personnalités telles que lui-même, Marilyn Monroe, Mao Tse Tung, Jacky Kennedy … ou notre surréaliste Paul Delvaux mais,  comme dans les musiques répétitives évolutives de Steve Reich par exemple, chaque portrait est soit nanti de l’un ou l’autre détail qui personnalise chaque duplicata ou soit la couleur dominante diffère de l’un à l’autre de sorte que, bien que l’ensemble soit constitué de répliques d’une même personne, chacune se pare d’une individualité distincte. Il pousse parfois la démarche jusqu’à la désacralisation des ‘vedettes’ en les prenant en tant que motif pour papier peint de tapissier, un peu à la façon dont il réalisa des motifs pour papier d’emballage ou pour robes en coton imprimé.  

Et, bien entendu, pas mal de sujets sont puisés dans les éléments de la banalité journalière. D’où ces clones de boîtes de soupes, de paquets de poudre à lessiver. Tout cela se situe à des siècles lumière de l’époque où il était de bonne convenance de représenter des divinités antiques ou des personnages bibliques. Cela devient une des caractéristiques du pop art, ainsi que cela s’affirme chez cet autre artiste qu’est Roy Lichtenstein.

Warhol va  également évoquer des manifestations liées au racisme, faire allusion à la peine de mort, signaler l’hécatombe des accidents routiers, revenir sur une violence très présente y compris sous la forme de l’attentat dont l’artiste fut victime et sous la plume, par exemple, de Truman Capote dans ses romans documentaires.

Parcourir cette exposition, c’est donc arpenter un moment de notre passé récent. C’est revivre ou se remémorer une succession de modes vestimentaires ou autres, retrouver une galerie de personnalités qui marquèrent des actualités, inventorier de récurrents procédés publicitaires façonneurs de comportements. C’est se rappeler des musiques à travers des illustrations de pochettes de disques vinyle.  C’est avoir sous les yeux des témoignages de la libéralisation des mœurs.

L’expo a l’intérêt de replacer Warhol au cœur de son époque et en particulier des U.S.A. Bien que fort brève, la dernière partie met en relation le « pape du pop » avec deux artistes qui prendront le relais : Keith Haring et Jean-Michel Basquiat. C’est alors que se pointe l’arrivée d’une autre façon d’envisager la peinture, celle du ‘street art’ qui a beaucoup à voir avec le travail urbain des graphiteurs  et des tagueurs. On la complètera en lisant ou en parcourant une annexe au Grand Curtius qui donne à voir une autre perception de l’artiste, celle du roman graphique biographique  de 560 pages imaginé par Typex et publié par Casterman en 2018 : « Andy Warhol, un conte de faits ».

Michel Voiturier

« Warhol The american dream factory » à La Boverie, 3 parc de la Boverie à Liège jusqu’au 18 avril 2021. Infos : +32(0)2 549 60 49 ou  www.expo-factory.be

« Andy Warhol by Typex » au Grand Curtius, 136 Féronstrée à Liège jusqu’au 28 février 2021 2021. Infos : +32 (0)4 221 68 17 ou www.grandcurtius.be

Écouter : www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-oeuvres/lesprit-de-warhol-14-le-candide-andy-warhol

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