VITA NUOVA

Photogramme Pier Paolo Pasolini, Comizi d'amore 1964

1960-1975

Une exposition d’été à Nice où le MAMAC présente du 14 mai au 02 octobre 2022, un panorama de l’avant-garde italienne entre 1960 et 1975. L’historicité de ses contenus et les questions suscitées, peuvent éveiller une compréhension de la crise que notre actualité traverse. La société de l’image, Mémoires des corps et Reconstruire la nature, structurent le cadre tripartite de cette présentation, lequel induit l’écho répété et constitutif d’une lecture contemporaine de l’histoire.

Vita Nuova annonce hautement la vertu du changement dans l’art italien des sixties et de l’influence prépondérante du cinéma sur les artistes de la génération née entre 1920 et 1940. Il est en effet le mode d’expression le plus apte à faire la révolution des images et des corps, et donc, en finir avec le fascisme qui fut, rappelons-le, à l’origine de la Cinecittà en 1930. Grâce à la véracité du néoréalisme, le cinéma de 1960 aidera, avec justesse, les jeunes formes expérimentales des arts à privilégier la vie sur la représentation séculaire.

Des extraits de films de La Dolce Vita (Federico Fellini, 1960), d’Accattone (Pier Paolo Pasolini, 1961) et Le Désert rouge (Michelangelo Antonioni, 1964) ouvrent l’exposition en montrant une représentation de la femme subtilement diversifiée, et ceci, comparativement aux stéréotypes féminins qui envahissent l’imaginaire social avec Hollywood, la presse et la publicité. Ce point non anodin souligne cette conviction de contrebalancement que l’art souhaitait opérer sur les dictats de l’industrie et des médias envers la société dite de consommation.

Qu’il s’agisse du film Ma femme (1970) de Rosa Foschi ou bien des caviardages et des détournements publicitaires de Lucia Marcucci, ce sont les obsessions représentationnelles de la femme comme le sociolecte d’une société masculine qui sont observées.

C’est en traversant l’Italie du Nord au Sud et en interrogeant les classes sociales et les âges, que le micro-trottoir de Pier Paolo Pasolini, recueille en partage des réponses inédites sur la sexualité vécue et souhaitée. Son documentaire précurseur et nommé, Comizi d’amore, 1964, évoque aussi pudiquement que publiquement, les questions du désir et de ses convenances, de l’égalité sexuelle pour la femme et pour l’homme, du choix du mariage, du divorce et de l’homosexualité.

Dans ces années nouvelles, l’image médiatique et fantasmée entame sa traversée des corps dans la réalité sociale italienne au cœur même du consumérisme. Ce phénomène fut l’entame d’une aliénation que nous connaissons bien et qui fut observée et dénoncée rapidement par nombre d’artistes qui, bien que présents dans l’exposition, n’ont pas tous bénéficiés de la carrière longue et internationale des vedettes de l’Arte Povera.

La Verifica Incerta (1964-65, Rome et Paris), est un film expérimental qui déconstruit les topiques de la grande production cinématographique italienne. Exclusivement composé d’images trouvées (found footage), sur des bobines non exploitées de la Cinecinttà, les artistes, Gianfranco Baruchello et Alberto Grifi, proposent un monument satirique et un ready made, qu’ils dédient à Marcel Duchamp. Ce film en 16 mm, présente une plasticité contrastive, due à la succession des sons, des textures, des couleurs et des lumières. Comme un gant retourné, l’effet filmique est incessamment court-circuité pour montrer une  mécanique du cinéma qui révèle son objet par ses coutures.

En 1968-69, Ugo Nespolo réalise à Turin Buongiorno Michelangelo (film noir et blanc, sonore, 16 mm, 18 minutes). L’auteur filme ses amis depuis la récupération et le chargement d’une sphère surdimensionnée, qu’il entrepose dans l’habitacle d’une voiture coupée, décapotable, à destination de la galerie que tenait alors Madame Christian Stein à Turin. Le parcours est drolatique, on y croise Daniela Palazzoli, Gianni Simonetti, Tommaso Trini, Michelangelo Pistoletto et Gilberto Zorio, qui s’amusent comme des adolescents et qui, le croirait-on, démystifient le parcours de l’artiste et le châtiment de Sisyphe pour le transport d’un rocher factice.

Fabio Mauri_Elisabetta Catalano, collage photographique, Ideologia e natura, 1973

Dès 1963, entre les villes de Rome et Turin, l’art prépare une voie dissonante à celle des nouvelles avant-gardes américaines. C’est parce que le corps exprime bien des choses silencieusement, que l’Arte Povera contrecarrera la débauche productiviste et industrielle de son temps, par des formes artistiques dépouillées des acquis de la culture et pour des œuvres faites autant par le questionnement matériel de réalisation que par l’action induite. Dans une salle commune de l’exposition, dialoguent, Italia del dolore de Luciano Fabro (1975), et Mappa (Mettare al monde il mondo), de Alighiero Boetti (1971-1973).

Pour Fabro, c’est une carte de la péninsule de plus de 2 mètres qu’il lacère et suspend, alors que Boetti fait réaliser soigneusement par l’excellence de l’artisanat afghan, la première broderie d’une longue série de planisphères qu’il produira jusqu’à sa mort. Chaque carte est le chaînon d’une évolution géopolitique d’un temps, qui démontre la brièveté des dominations, qui entraînent cependant, la courte histoire humaine au rythme de ses suffocations.

L’Italie de la douleur de Luciano Fabro exprime les Années de plomb, qui commencent à la piazza Fontana de Milan, le 12 décembre 1969. Cet attentat à la bombe, en plus des quatre autres commis ce jour-là, ensanglanteront le pays pour toute la décennie suivante. Si nous pensons également au coup d’état Borghèse du mois de décembre 1970, nous comprenons un peu mieux la nature de l’activisme et de la lutte armée qui se dérouleront, confusément, par les mouvances néofascistes et une partie de la gauche « extraparlementaire », convaincues des vertus de la violence politique, le tout sur fond de guerre froide.

Le fascisme est une réalité larvée dans l’Italie des années 70, que l’écrivain Fabio Mauri déclarera publiquement à maintes reprises par l’entremise de la performance Che cosa è il fascismo (1971). Elle est l’interprétation d’un rassemblement de la jeunesse mussolinienne que l’auteur a vécu adolescent dans les jardins Boboli de Florence. Reconstitué à partir d’archives, des étudiants en art dramatique et en arts plastiques exorcisent la systémie idéologique que l’auteur dénonce par le souvenir de cette célébration funeste.

Deux ans plus tard, il entreprend une seconde performance nommée Ideologia e natura (1973), qui restera célèbre grâce à la séquence photographique d’Elisabeth Catalano, où nous voyons une jeune Piccole italiane (une organisation fasciste pour jeunes filles), qui se dénude et se rhabille et dont l’effeuillement de chaque pièce du vêtement fournit la conviction d’un viol idéologique.

Le 31 mai 1975 à la Galleria d’arte moderna de Bologne, Fabio Mauri projette le film L’évangile selon Saint-Mathieu (1964), sur le corps même de Pier Paolo Pasolini, son ami d’enfance. Cette projection unique entend confondre le rythme vital de l’auteur au mouvement de ses images, dont l’écran est une chemise blanche portée à même la peau. Une installation infra mince très différemment perçue évidemment après son assassinat, le 2 novembre 1975 à Ostie.

L’exposition Vita Nuova concilie l’Art et le Design pour signifier une prise de conscience écologique. Le design fonctionnaliste rencontrera ses premiers contradicteurs en Italie, entre 1966 et 1974, notamment, avec l’Archizoom Associati, qui est une agence fondée à Florence, et avec le Collectif Strum (architettura strumentale), de Turin. Ce dernier accèdera à la notoriété avec la conception du siège Pratone (gazon), conçu en 1971. Il est un carré d’herbes factices à disposer chez soi. Réalisée en mousse polyuréthane expansé, l’œuvre est molle pour une grande liberté de positions du corps. Cette dernière s’affiche clairement comme un projet Kitsch et anti-design industriel, que le collectif considère comme le suppôt de la tyrannie productiviste et consumériste. Dans un autre rapport d’échelle, Laura Grisi et Marinella Pirelli filment le comptage de grains de sable, The Measuring of Time (1969), et le mouvement du vent, Wind Speed 40 Knots (1968). Mario Merz réalise ses premiers habitats et Ettore Spalletti, avec quelques amis, charrient des formes géométriques polychromes sur la plage de Pescara (1970).

La production mondiale des objets plastiques diversifie et amplifie son offre à la fin des années 60, alors que le milieu scientifique constate une diminution périodique de l’ozone dans l’Antarctique. 1971, célèbre la Fondation de Greenpeace et un groupe de 2200 savants alertent des dangers écologiques à venir. La coïncidence de cette croissance industrielle et du premier choc pétrolier d’octobre 1973 est sans appel. La demande d’énergie dépassera désormais l’approvisionnement disponible du pétrole américain et ainsi commencera la dépendance des pays occidentaux auprès des pays de l’OPEP. La suite de l’histoire est connue.

Cette période italienne inventera sa propre contre-culture pour s’extraire d’un passé douloureux. L’exposition Vita Nuova montre bien comment l’invention de formes esthétiques exercera une influence dans la vie artistique internationale, comme des forces d’opposition pour satisfaire une soif de progrès et de justice sociale. Le cinéma a sans doute été une ressource majeure en ce sens. Un nombre d’œuvres en présence, fait preuve d’une étonnante lucidité pour désigner les étapes d’un entre-deux mondes qui ne dévoilait pas encore et pleinement sa nouvelle identité.

Jeanpascal Février

Nice, le 19 août 2022

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