Une exposition de José Parrondo aux Chiroux

« EC IRE ET DES INER »

Une exposition de José Parrondo

au Centre Culturel des Chiroux jusqu’au 16 janvier 2016

 

L’œuvre illustrée de José Parrondo se caractérise par son économie de moyens, autant scénaristique que visuelle. Si au premier regard elles traduisent une forme enfantine d’écriture, elles n’en cachent pas moins des énigmes existentielles et visuelles qui mettent au même rang les objets, les individus et les actions minimales qui les unissent, et qui dès lors trouvent une réelle résonnance chez les lecteurs adultes. José Parrondo a publié une infinité d’ouvrages, pour des éditions jeunesse comme « Du Rouergue » mais justement également pour l’éditeur Français indépendant de bande dessinée « L’Association » qui se prédestine à un public adulte. Nous sommes allés à sa rencontre pour déceler sa manière de concevoir une exposition, et voir si elle pouvait se décliner de la même manière que la réalisation d’un de ses livres…

Annabelle Dupret : Cette exposition au Centre Culturel des Chiroux est une véritable création autour de l’écriture dessinée. Pourrais-tu en dire plus ?

José Parrondo : Quand Anne-Françoise Lesuisse et Gilles Dewalque (les responsables des expositions aux Chiroux) m’ont contacté, je connaissais déjà une partie du travail qu’ils avaient réalisé précédemment, notamment avec l’exposition « De Pittau… à Gervais, Espoxition », et celle de l’illustratrice Anne Herbauts. Donc, je savais déjà qu’il y avait quelque chose de particulier dans la mise en œuvre de ces expositions au centre culturel des Chiroux, et que ce ne serait pas un simple accrochage d’originaux de livres…

De plus, je savais déjà qu’il y avait dans le lieu une pièce qui était un espace différent du reste. Je souhaitais vraiment faire quelque chose de particulier avec cette salle noire qui est vraiment à part, et qui prédispose bien à quelque chose de précis. Gilles Dewalque m’avait déjà dit que je pouvais imaginer beaucoup de choses, et que l’on verrait si ce serait faisable ou pas. Le musée troué est né comme cela et est devenu une partie de l’exposition. Et nous sommes donc allés jusqu’à trouer un des murs de l’exposition, mais nous n’y avions pas pensé au préalable…

Que penses-tu du choix de faire venir des illustrateurs dans un lieu destiné à des expositions ?

Le meilleur dénominateur commun, c’est que ce sont des expositions d’artistes qui font des livres jeunesse. Mais le « livre jeunesse » peut être vu d’une façon très large. Et c’est justement cela qui ouvre toutes les possibilités pour le lieu et pour les artistes. Dans ce cadre, il peut y avoir une interaction entre l’artiste et l’organisation. Donc, ce ne sont pas juste des expositions de planches de livres…

Quelles possibilités se sont offertes ensuite pour ton exposition « EC IRE ET DES INER » ? Quelles formes ont pris les échanges avec les organisateurs ?

L’exposition tourne. Elle va tourner pendant trois ans. Après l’exposition aux Chiroux, elle voyagera en Wallonie pendant 3 ans, dans des bibliothèques. Cela a mis une nouvelle question sur la table, la question de la gestion des originaux. Je leur ai dit dès le départ que je ne pouvais pas prêter des originaux pendant trois ans. La principale raison est que je dois pouvoir les conserver au cas où je voudrais faire republier un livre. Mais il y a eu d’autres pistes plus intéressantes. Puisqu’on allait se servir de reproductions, on pouvait jouer sur les échelles. On a agrandi les reproductions, parfois de façon très importante. Si ça avait été une exposition uniquement d’originaux, on n’aurait pas pu jouer avec les échelles de grandeur et on aurait perdu tout ce jeu. Ce qui comptait, c’est la perception que le visiteur pouvait avoir des images, c’étaient les nouvelles expériences de lecture suscitées par leur changement de taille.

Pourrais-tu parler du titre « EC IRE ET DE SINER » ? Peut-être qu’écrire, c’est dessiner, et que dessiner, c’est écrire ? Le titre, avec ses blancs, est à l’image de l’exposition, une énigme visuelle !

Oui, j’ai déjà beaucoup de mal à trouver des titres pour mes livres, et donc pour les expositions aussi ! J’ai essayé de trouver un titre qui soit très simple. « Écrire et Dessiner », c’est la formule la plus simple pour dire ce que je fais. Si on enlève des lettres à ce titre, on rentre déjà dans une forme de jeu : « Éc ire et De siner ». Et ce jeu a aussi été proposé aux personnes qui allaient annoncer l’exposition car elles devaient prendre l’initiative d’écrire et de lire le titre d’une certaine manière. « Déjà, au téléphone, on se demandait comment on allait l’annoncer de façon orale, comment on allait lire les lettres manquantes » me disaient Gilles et Anne-Françoise. Je dois dire que j’aimais beaucoup avant moi, aux Chiroux, le titre : « De Pittau… à Gervais Espoxition ». Il y avait aussi « Petit Poilu » qui avait été exposé avant, et ce sont principalement ces artistes-là qui m’ont incité à tenter l’exposition. J’ai vu ce qu’ils ont fait, et ça a créé une forme d’émulation, ça m’a motivé ensuite dans l’exposition que je proposais.

Pourrais-tu en dire plus sur ton élaboration d’un livre ?

Quand je propose un livre à un éditeur, le livre est déjà très avancé. Je ne vais jamais faire un synopsis écrit au préalable pour celui-ci. Il faudrait que je sache d’où le livre part et où il arrive. Or cela, je ne peux le savoir que quand le livre est fini.

Par exemple, pour le livre « Allez raconte », j’ai travaillé avec Lewis Trondheim au scénario. Toutes les semaines, je recevais de sa part quatre ou cinq pages de propositions par fax. Je découvrais le livre au fur et à mesure, tout comme je le dessinais au fur et à mesure. Comme forme de contrainte on avait établi le « gaufrier », c’est-à-dire un nombre de cases immuable par page : 35 cases. Mais le scénario n’était pas établi. Lewis a juste avancé la base de départ : « Un père raconte une histoire à ses enfants. Les enfants font bifurquer l’histoire, et puis le père refait bifurquer l’histoire, etc. ». Ce serait comme ça pendant 30 pages. Et il avait également précisé que ça terminerait bien. C’est ce qu’il m’a dit et ce qu’il a dit à l’éditeur. Cela a mis celui-ci en confiance!

Il y a des éléments du livre « Allez raconte » dans l’exposition : celui-ci devient la bande avec la séquence presque sans fin composée de cases minuscules. Ce sont les cases du livre, toutes d’un format identique, qui ont été mises bout à bout, dans leur taille réelle. 4cm par case x 35 cases par page x … = … On avait fait tout un calcul pour se rendre compte de sa longueur immense ! C’était ça aussi la scénographie: une succession de défis, de moments où on se disait « Et si on faisait ça ! »

C’est une forme d’improvisation ?

Il faut voir cela comme une improvisation sur laquelle on travaille et on retravaille encore. Donc, pas dans le sens où on improvise et où on garde le premier jet. Je peux par exemple refaire un grand nombre de pages si elles ne conviennent pas. C’est plutôt une improvisation dans le sens où on part d’un endroit, mais sans savoir où on va arriver, ni comment. C’est comme un iceberg. L’œuvre finale, c’est ce qui est visible, mais on ne se rend pas compte de ce qui a été fait à côté. On a parlé d’improvisation, mais la contrainte est extrêmement importante aussi. Les images qui sont sur un des murs de l’exposition viennent de « Histoires à emporter ». C’est un livre que j’ai décidé de faire à partir d’une contrainte extrêmement « désagréable » pour moi dans le sens où je ne suis pas attiré par les histoires qui commencent par « Il était une fois… ». Et je me suis demandé alors ce qui se passerait si je faisais plein d’histoires qui commenceraient comme cela. Et c’est devenu un défi qui me demandait de faire preuve d’inventivité. Je devais oublier cette base qui était véritablement contraignante. Ici, la contrainte, c’était : « le début que j’aime le moins au monde ». Pour l’exposition également, il y avait différentes contraintes : celle du lieu, celle des livres sélectionnés, celle de ne pas faire une exposition rétrospective, et celle de ne pas montrer d’originaux…

 

Annabelle Dupret

 

 

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