La Villa Datris, fondation vouée aux œuvres en trois dimensions fête ses dix années. Cohérence et diversité. Sélection et profusion. Au Château de Bosc, d’autres artistes s’ajoutent au panorama.
Comme de coutume chez Datris, cela fourmille d’œuvres, cela palpite de coloris joyeux, cela épate par les formes et les recherches esthétiques. À l’intérieur du bâtiment et dans les jardins, cela forme une promenade un peu chargée mais offerte à toutes les sensations.
Optique
Les cent roues dentées vertes et bleues barrées d’une ligne rouge de Roger Vilder (1938) fascinent jusqu’à l’hypnose. Les formes linéaires inscrites par Ludwig Wilding (1927-2010) deviennent apparemment mobiles lorsqu’on se déplace devant elles, image illusoirement mouvante. Avec un procédé proche, le travail de Cruz-Diez (1923-2019) laisse aussi le visiteur produire les effets de ses mouvements face à l’œuvre. Les reliefs polychromes d’Agam (1928) chatoient dans leur rigueur et d’autant plus lorsqu’on déambule devant eux.
Une structure complexe de Nicolas Schöffer (1912-1992) prend vie particulière lorsque la lumière vient s’y refléter. Victor Vasarely (1906-1997) s’amuse avec des carrés colorés. Il parvient à détourner la perspective de son rôle en l’amenant à faire croire à un autre relief. Wolfram Ullrich (1961) agence ses polygones irréguliers pour que le contraste entre rouge et noir donne un relief supplémentaire à son œuvre.
Géométrie
Tilman (1961) agence des architectures de métal strictement composées d’espaces rectangulaires ou carrés. L’agencement des couleurs crée des contrastes sur lequel la lumière s’épanouit, génère des ombres qui semblent les habiter. La rigueur de Soto (1923-2005) joue aussi avec la lumière non sans miser sur une géométrie d’harmonie mathématique. Aux allures d’insectes creux, les assemblages de Sanhes (1965) semblent en attente de qui s’aventurerait en eux.
Les courbes de Bernar Venet (1941) chacun les connaît. Elles possèdent une pureté mathématique qui rend leur présence rigoureuse et indispensable. Celles de Dewasne (1921-1999) s’harmonisent en bleu-blanc-rouge-noir. Dilworth (1931) propose deux réalisations parmi les variations conçues à partir d’une forme de base. Simplicité des formes, Geneviève Claisse (1935) invente le « Mouvement stationnaire ». Herrera (1952-2021) frise l’illusion d’optique avec ses triangles imbriqués. L’imbrication, chez Hayère (1988) se fait dans l’architecture même du lieu d’exposition.
Lumière
Caroline Tapernoux (1968) amène la luminosité sur un film polyester. Elle y est capturée et se laisse apprivoiser par les matières sur lesquelles elle se pose plus ou moins mystérieusement. Ann Veronika Jansens (1956) compte sur elle pour diffracter sur des fragments de verre Securit brisé et enserré entre deux plaques de verre float, effet aléatoire mais garanti. Les néons élégants de Laurent Gaude (1953) tracent un paraphe colorié dans l’espace.
Ivan Navarro (1972) invente un puits lumineux et bleu qui nous entraîne dans le leurre d’une plongée vers l’infini. Le puits sorti des expérimentations de Kotter (1966) à travers les incessantes variations de coloration de ses leds nous fait douter des dimensions de l’espace. Morellet (1926) agence des tubes au fluorescents selon des principes mathématiques. Résultat : ils sont brillants pas uniquement grâce à leur luminosité mais aussi à la rigueur de leur assemblage. Le domaine céleste factice de Francis Guerrier (1964) donne à voir une centaine de points étincelants dont l’intensité varie selon l’intensité sonore des conversations alentour.
Matière
Tissant des fils de cuivre, Antonella Zazzera (1976) dévoile une matière visuellement et matériellement attirante, entre le précieux et l’utilitaire, entre la lourdeur et la légèreté. Meschac Gaba (1961) tresse des cheveux artificiels qui, par la forme, installent un saxophone d’hommage à la musique nigériane. Mâkhi Xenakis (1956) teinte du ciment armé pour faire surgir des créatures de conte, ex-votos aux allures primitives mais délicatement poétiques. La terre cuite sert de fondement aux animaux modelés par Lindfors (1927-2016) dans le brut du geste qui permet d’échapper au maniérisme artificiel d’un réalisme trop minutieux.
Judy Tadman (1951) sculpte au crochet de la corde pour créer des textures résistantes et compactes qu’elle modèle comme une pierre antédiluvienne dressée sur le sol. Les entrelacs suscitent des circonvolutions et des cavités à la façon dont les intempéries agissent sur la matière minérale. La pratique du crochet permet également à Joana Vasconcelos (1971) de donner à son « Acapulco » une densité de plage et l’explosion des couleurs clame un exotisme dont les lignes noires qui la parcourent ont des mouvements de danse endiablée.
Combinant brut et affiné, Sylvie Rivillon (1959) impose des verticalités dressées en repères. Annette Messager (1943) affectionne l’hybride. Elle brasse les styles, intègre l’écriture, introduit des peluches en un amalgame cocasse de dérision. Un patient assemblage de plumes de faisan permet à Kate MccGwire (1964) de déposer dans une cage de verre l’illusion parfaite d’un boa sans tête.
Le duo Giacomini (1988) et Sellies (1989) se sont servis du verre pour réinventer un trio de sirènes enjôleuses sous formes de conques munies d’un dispositif sonore au sein de chacune d’elle qui diffuse la légende de leur métamorphose. Utilisant toutes les techniques possibles du tissage, Marinette Cueco (1934) donne au jonc capité la forme d’un tondo ; elle obtient un objet proche de la dentelle sous un aspect monumental.
Véritable cocktail matiériste (argile, corde, chapeau de travail, poussière de goudron, soie), la « Woman look at you » d’Awena Cozannet (1974) symbolise une femme du Bangladesh. Un mobile en fibres de carbone de Shingu (1937) ne doit rien à Calder notamment par la densité des éléments.
Sciences
Marinho (1970) neutralise les lois de la pesanteur. Etienne Viard (1954) se collète avec l’équilibre et en sort toujours vainqueur ; ses formes métalliques semblent aussi appartenir à l’ordre végétal. Celles de Loris Cecchini (1969) prolifèrent telles de bactéries ou se ramifient telles des A.D.N. tandis que Vera Röhm (1943) agence ses modules à partir d’algorithmes.
C’est sur des filets de pêche Claude Viallat (1936) a suspendu des présences en papier jaune et noir, solaire et mortel. Jean Suzanne (1938) sert de l’acier corten et acier inoxydable pour évoquer le fractal et le mystère qui en découle. Sol LeWitt (1928-2007) montre qu’il est possible de reproduire certaines formes à l’infini. Elias Crespin (1965) donne mouvements à ses graines suspendues à des filets animés par l’électronique. En suspension dans l’espace se joue une chorégraphie captivante dans une véritable disparition de la pesanteur.
Sarah Sze (1969) découpe du papier au laser afin de monter des assemblages aux apparences de fragilité qui constituent des sortes de constructions utopiques en équilibre sur le vide. Chez Vincent Mauger (1976), la manière de travailler et disposer des plaques en inox les transmute dans le monde de l’organique.
Récupération
Moffat Takadiwa (1983) est un adepte convaincu de la récupération pour mieux dénoncer l’envahissement de nos existences par des produits de consommation. Appariant des tubes de dentifrice, des aérosols et divers accessoires du même acabit, il confectionne des sortes de concrétions plutôt inquiétantes. Les assemblages de Rina Banerjee (1963) à la fois baroques et rituels rappellent que les cultures anciennes – indienne en l’occurrence – permettent un retour au naturel où les femmes ont un rôle à jouer.
Couture manuelle et mécanique récupère la géographie d’une carte routière pour en faire un territoire de réseaux et de résille cadastré par Cathryn Boch (1968). Anne Claverie (1974) invente un arbre dont tronc, racines, branchage sont formés de pneus de voitures. Ce sont des arbres eux-mêmes que David Nash (1945) a récupérés pour faire de leur tronc des torses calcinés, imposer des présences à travers une symbolique de vie-mort. Musekiwa (1990) métamorphose en une élégante caricature des clubs de golf devenus serpents.
Technologie
Les éléments technologiques de Peter Vogel (1937-2017) sculpteur et compositeur s’intègrent dans un cercle et ces diodes, transistors et haut-parleur deviennent des éléments esthétiques qui produisent un environnement sonore et lumineux particulier. Son « Cercle bleu » fusionne technologie et création artistique. Le « Cercle en contorsion sur trame rouge » de Julio Le Parc (1928) bénéficie d’un invisible moteur afin de rendre mobile une illusion d’optique.
Philosophie
Pascal Bernier (1960) présente à travers ses « Accidents de chasse » une ironique vision de la mort et de la violence armée. Catherine Bourdarel (1970) lui répond «Je suis une louve » avec une agressivité de conte populaire. Niki de Saint Phalle (1930-2002) y ajoute un monstre de fête foraine qui conjugue un besoin de merveilleux et l’auto-culture de nos frayeurs d’enfance, ce qu’exploite Françoise Pétrovitch (1964) avec ses personnages fantastiques. De son côté, Laure Prouvost (1978) brasse l’autobiographique, le quotidien, le fantasmatique autant que la tapisserie, la céramique, la vidéo. Plensa (1955) expose la diversité des individus en les façonnant au moyen des lettres de différents alphabets. Voici également que Céline Cléron (1976) dresse des toises similaires à celles utilisées pour mesurer la taille des écoliers ou des conscrits au moment de leur service militaire. Mais l’instrument de mesure n’est plus une tige métallique ; c’est un crâne animal censé contrôler l’évolution anatomique des humains.
Le cénotaphe en béton qu’a érigé Denis Pondruel (1949) engendre une atmosphère propice à méditer sur l’éphémère de notre existence. Sous ses allures de maquette, il recèle les interrogations qu’engendre une cérémonie funéraire. Les couloirs amorcés, avec leur escalier, la lumière colorée ou le clair obscur, sont connotés par une phrase inquisitoriale de Paul Valéry qui place les visiteurs en position d’archéologues en train de découvrir un tombeau de pharaons énigmatiques. Pigeau (1955) érige un ‘temple circulaire’ doté d’un miroir concave incitant chacun à la méditation devant son image de visiteur d’expo.
En remplaçant les oiseaux tenus en cage par des ampoules lumineuses, Laurent Perbos (1971) envoie un message imagé à propos de la liberté et de l’importance animale dans notre monde informatisé. Par ailleurs Henri-François Dumont (1935) ironise à propos des gloires médiatiques éphémères grâce à son escalier rouge qui ne mène qu’à la chute.
C’est un questionnement sur le temps, la durée historique que pose Samuel Rousseau (1971) en créant un lien avec l’art préhistorique. Sa consœur Eva Ramfel (1989) se réfère aux fossiles et à l’imaginaire. Pharel (1956) poursuit cette perception de la temporalité en lui adjoignant une possibilité aléatoire de percevoir le réel. Par l’intermédiaire de sa carte géographique des pays méditerranéens suspendue au-dessus de l’eau, Jean Denant (1979) fait refléter (son matériau est l’inox) l’importance et la fragilité politique de cette région historiquement importante.
Le joyeux Prescott (1949) parodie en forme d’enseigne notre société de consommation et de loisirs en une caricature multicolore. Fernagu (1970) utilise des productions mercantiles, du type souvenirs de vacances, destinées aux touristes férus de souvenirs faussement authentiques en les associant avec une photo prise sur place durant la période coloniale, reliant de la sorte le témoignage de deux formes d’exploitation.
Annexe externe
Dans la région, la fondation Datris n’a pas le monopole des expos. Le domaine vinicole du Château de Bosc a intégré des sculptures monumentales dans son environnement naturel. Si la qualité des œuvres n’est pas toujours constante, l’adéquation de leur présence avec les lieux est particulièrement réussie.
On y retrouve des noms côtoyés à l’Isle-sur-la-Sorgue. Francis Guerrier (1964) avec cette fois une forme courbe chorégraphiée qui parafe l’espace de sa « Trajectoire bleue », laquelle peut tourner sur son axe au gré des vents. Revoici Ewana Cozannet (1974) avec « Abordage », assemblage de sangles, filet et tricot qui, associés, amène à penser aux migrants désespérés abandonnés à la mer dans de précaires conditions. « Le rêve de Jacob » a inspiré nombre de créateurs. La version en granit noir de Sylvie Rivillon (1959) élève en deux blocs verticaux en vis-à-vis ; leurs découpes pourraient s’emboîter mais laissent entre eux la place pour la circulation des anges de cet épisode biblique. Et puis encore Moscovici (1954) y poursuit son travail avec l’acier inox. Ses avatars de roches sont regroupés en cercle formant une « Arène » primitive écourtée aux facettes miroirs solaires.
Maurice Hache (1953) place ses tuyaux galvanisés, comme Viard, en position de déséquilibre. Se bousculant un peu les uns les autres, ils sont près à tomber mais tiennent, obliques, affrontés aux bourrasques. Marie-Noelle de La Poype, loin de sa natale Belgique, ébouriffe l’espace sans l’écorcher avec ses floraisons de fils d’acier recourbés. Certains des « Flux » de Guiheneuf (1968), ceux en acier laqué, y ajoutent une végétation aux ondulations stylisées.
L’acier corten sied bien au « Big Slice » qui élève des fragments minéraux en stèles ébréchées par le temps que signe Yzo (). Les « Reflets d’astres » de Festal (1949) associent lune est soleil, corten et inox pour que les promeneurs captent leur image reflétée.Vanessa Notley (1972) a opté pour une figuration évocatrice qui lui permet de pratiquer un humour délicat.
Les entrelacs d’Anne Varda (1964) sont constitués de fils tendus qui s’accrochent à la végétation et jouent en interaction avec elle, le rouge de leur tension contrastant avec la verdure environnante, avatar singulier de land art. Les entrelacs de tiges agencés par Mehdi Yarmohammdi (1979) échafaudent une structure guerrière sur laquelle des humains s’accrochent, guetteurs ou victimes d’un destin. Les tiges dressées en obliques d’équilibre fragile par Eric Bourneil (1961-2018) sont une tentative très particulière de tenségrité, phénomène bien connu en architecture.
Morgan Balocco (1988) fait surgir du sol des formes prismatiques en inox, simultanément élan et massivité. Les entrelacs rouges de Pere Belles (1965) inscrivent dans l’espace la phrase singulière d’une écriture énigmatique. C’est une vraie graphie que dessine Françoise Ducret (1947) sur feutre plastifié, travail scriptural basé sur la régularité d’un rythme. L’ambitieuse installation d’Eva Ducret (1956) impressionne sans convaincre vraiment, sans doute par accumulation de trop de techniques différentes.
Le Bruxellois Bob Van der Owera (1949) ouvre des fenêtres vers l’horizon. Le vide devient le plein à observer comme si nous étions en train de faire de l’espace notre chez nous quotidien. Les tôles de Dominique Coutelle (1946) accueillent avec leurs courbes à la Venet ou façon girafes esquissant quelque révérence pour le promeneur qui les surprend. Tandis que Jean-Paul Paillet (1948) lance sa « Felouque » à l’assaut des vents.
Michel Voiturier
« Sculpture en fête » à la Villa Datris, 7 avenue des Quatre Otages à L’Isle-sur-la-Sorgue [F] jusqu’au 1 novembre 2021. Infos : +33 490 95 23 70 ou www.fondationvilladatris.fr
Catalogue : « Sculpture en fête. Été 2021 », L’Isle-sur-la-Sorgue, Fondation Villa Datris, 280 p. (29€)
« Rapports de formes » au domaine du Château de Bosc, 651 Chemin de Bosc à Domazan [F] jusqu’au 3 novembre. Infos : +33 466 57 65 11 ou www.chateau-de-bosc.com/
Catalogue : « Rapports de formes », Domazan, Château de Bosc, 2021, 30 p.
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