Prix artistique de Tournai : génération 90.

Sarah Van Melick, "Levez-vous pour la prière, levez-vous pour le travail" © Benoît Dochy

Depuis plus de quarante ans, le prix artistique de la ville de Tournai s’efforce de mettre en valeur des talents insuffisamment connus.  La cueillette de cette année était de bonne floraison mise en harmonie par la scénographie intelligente de Robin Legge.

 Il y a une part d’ethnologie dans le travail de Sarah Van Melick (1995). Intéressée par le multiculturalisme et donc le brassage de cultures tel qu’il se concrétise dans nos régions, elle a puisé dans la société maghrébine. Les tapis de prière qu’elle reproduit sur des plaques de plâtre appartiennent au domaine de la gravure, chaque exemplaire ayant des variations de motifs selon les impressions. Par contre, la matière sur laquelle ils sont imprimés est celle du travail de plâtrier que les émigrés effectuaient chez nous. Dès lors, il ne s’agit plus d’un objet de prosélytisme mais le rappel d’un élément sociologique, associé au fait que la piété de chacun est personnelle.

Diego D’Onofrio (1998) a puisé dans son expérience de job étudiant et dans celle du métier exercé par son père pour traduire la gestuelle d’un travail à la chaîne, réfléchissant sur la répétitivité monotone, sur la trace que l’ouvrier laisse de son labeur, sur la mécanique qu’un processus de fabrication impose à celui qui intervient finalement peu dans ce qu’il produit. Résultat : une impressionnante installation  photographique reprenant une douzaine de fois la graphie inscrite sur support par la gestuelle d’un dépôt de colle, paraphe élégant, translucide tout en conservant l’anonymat d’un acte quasi machinal en dépit des différences visuelles.

Une vidéo complète cet ensemble qui montre l’impression à partir de rouleaux mécaniques avec intervention manuelle, coulisse du travail précédent, et reproduit l’effet mécanique  des machines automatisées. Enfin, à portée symbolique, une sorte de dérisoire mini-monument à une industrie qui ne place pas l’humain en priorité, un engrenage extrait de son contexte manufacturier et magnifié par sa dorure. (Prix Maison de la Culture 2021)

Ce sont des objets plutôt ordinaires qui stimulent Jeanne Cardinal (1990). Dans « Mariage d’inclination », elle dispose plusieurs confections céramiques sur un support de verre, laissant le visiteur les regarder afin de les associer par leur reflet, leur présence, jusqu’à les connoter comme si l’espace était scénique et qu’il se passe des relations entre eux, que la situation les identifie à la façon de personnages fictifs sur un théâtre virtuel.  

Sa souriante série de dessins « Pot(s)-en-ciel » aligne une vaisselle qui profite de son aspect initial pour s’attribuer des éléments assimilés à leur forme mais en un contexte imagier en décalage avec leur réalité pratique d’usage domestique. On les croirait devenus caméléons sous la pression des phénomènes atmosphériques qui les entourent en les changeant de nature. Ce que font certains mots lorsqu’on les retrouve au cœur de certains poèmes.

Robin Wen (1994) a pris le parti de donner sa vision personnelle des « free party » ou « rave party » auxquelles il accorde le statut de cérémonie chamanique plantée dans quelque territoire rural en tant qu’espace-temps d’une liberté pimentée d’interdit transgressé. Pour illustrer ces manifestations décalées par rapport à la légalité, il a choisi un réalisme sans outrance, rassurant, en opposition formelle avec la perception sociétale de ce phénomène à la fois contestable et contestataire.

En attestent : ses portraits d’individus rendus anonymes parce que peints de dos ; son étude en vue de transcrire l’ambiance d’une de ces « party » entre bovins et frontières végétales ; sa transposition minutieusement dessinée au stylo bille d’une tente abritant d’éventuels fêtards invisibles.

Laurent Dumortier, « Les cris des vitres » © Benoît Dochy

Laurent Dumortier (1989) nous invite au voyeurisme, nous entraîne vers des lieux propices à l’étrange et au fantastique. Il nous place face à des fenêtres aux linteau et montants blancs, aux vitres hantées par l’obscurité de la nuit sur laquelle elles donnent. Fermées ou entrouvertes, leurs carreaux laissent apparaître des scènes pressenties ou reflétées au-delà. Ils filtrent le monde extérieur, restituant un mystère dissimulé par l’apparence quotidienne de ce qui apparaît un peu comme en filigrane. Un univers proche de ceux de Jean Ray, Thomas Owen ou Jean-Baptiste Baronian.

Parfois, une esquisse de mise en abyme s’invite dans l’espace. Ce sont d’autres fenêtres, nettement blanches, qui viennent s’insérer à la fois come des intruses sorties d’un lieu issu lui-même d’un ésotérique quelque part. Elles semblent alors, telles des cases de b.d., ajouter un récit nouveau à celui que racontent les présences déjà suggérées.

 Amélie Scotta (1983) affectionne ici les formats longilignes : rouleau de papier japonais déployé vertical ou feuille rectangulaire horizontale qui suscitent une vision panoramique. Le trio de dessins qu’elle expose a rapport direct avec l’architecture. Ils ont en commun de parler habitat, donc indirectement des humains susceptibles d’y être accueillis ou enfermés. Les motifs ont tendance à être répétitifs, autrement dit obsessionnels, adjectif qui sied bien aux grandes villes.

En premier une colonne torsadée en briques qui répète à l’infini un identique motif. À l’image des structures building des métropoles. Cet entassement de profusion a de quoi provoquer le vertige et, de fait, il fut créé en Espagne, à un moment de crise de la construction ayant entraîné une surproduction de briques.

Amélie Scotta, « Searching for Home » (détail) © FN.MV.

Le deuxième travail de Scotta est un collage minutieux de fenêtres d’immeubles genre H.L.M. L’entassement suggère des cohabitations fragiles, un manque d’espace vital inhérent, une promiscuité liée à une collectivisation forcée, si pas forcenée. Vertige ici encore qu’engendre la récurrence des rectangles. Enfin, plus serein, une façade percée d’une douzaine d’ogives au crayon graphite joue de l’alternance entre la clarté du blanc et l’obscurité de l’espace interne. Un bâtiment plus ancien a l’air alors d’appartenir à un monde moins sous pression que le nôtre. (Prix international 2021)

Robin Dervaux (1995) conçoit des tableaux sculptures à partir d’une association entre bois brûlé et métal ou matière plastique. Il y a une rencontre incisée d’une matière dans l’autre, formant un tout aussi indivisible qu’une peau et le tatouage qui la personnalise. Des effets de perspectives, des mouvements cosmiques, des illusions en trompe-l’œil complexifient la démarche. Tout donne l’impression de la conséquence d’un conflit sismique entre les matériaux, qui se termine provisoirement en amalgame, métaphore de nos problèmes climatiques. (Prix Wallonie picarde 2021)

La cadette du groupe, Mathilde Quewet (1998), se retrouve en vitrine, hors des caves médiévales qui accueillent les autres artistes. Elle installe des créatures hybrides faites de polyester, rembourrage, tissus et éléments de strass. Suspendues, elles ont l’allure de poulpes monstrueux, porteurs d’horreur à la fois par modifications génétiques et par le clinquant  douteux des créatures du show-business en permanente parade.

Michel Voiturier

Exposition présentée dans le cadre des Arts dans la Ville, à l’Office du Tourisme, place Paul-Emile Janson à Tournai jusqu’au 31 octobre 2021. Infos : +32(0)63+69 59 08 20 ou www.artville.tournai.be/edition-2021/

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