De jeunes artistes invités à la Fondation Vasarely démontrent quels liens particuliers ils ont avec les sciences. Il est en effet de plus en plus fréquent que les plasticiens se basent sur des notions scientifiques en vue de les intégrer dans une démarche artistique contemporaine.
Cette exposition est placée, lieu d’accueil oblige, dans une optique de prolongement des recherches plastiques effectuées au cours des années 1950-60 par les tenants de l’art cinétique et de l’op art dont Vasarely fut une des figures de proue. Les œuvres ici sélectionnées sont aussi un prétexte à réflexion sur des démarches où les impératifs inhérents à des expériences d’ordre scientifique tentent de se combiner avec les exigences purement esthétiques d’une présence qui se regarde d’abord avec des yeux d’amateurs d’art. Et, par conséquent aussi, des rapports entre œuvre et architecture ‘naturelle’ ou construite du lieu qui le reçoit.
Les « Incidences » d’Etienne Rey déploient des parois colorées agencées de manière à créer des espaces de perception variant en fonction des déplacements de visiteurs qui les examinent. Une part active du regardeur module donc les perceptions visuelles qui résultent de sa mobilité. Chez Flavien Théry (1973), avec « Les contraires n°2 », il est question d’observer sur un écran à cristaux liquides les apparitions d’un ensemble multicolore de plages monochromes géométriques, de les regarder simultanément en ‘négatif’ sur un miroir. De la sorte, l’œil est en mesure d’être confronté à une vision à la fois réelle et virtuelle, simultanément surface et espace.
Chacun connaît les irisations particulières de flaques d’hydrocarbures étalées au sol et surtout flottant sur des liquides. Ce sont ces impressions polychromes que Timothée Talard (1983) s’efforce de restituer sur toile, nous rappelant au passage que la fascination des moirages d’une matière également polluante au plus haut degré ne sont pas qu’ « Arc-en-ciel dans la nuit».
L’ « Aurore », par contre, préoccupe Fabien Léaustic (1985). C’est-à-dire les moments où quelque chose commence. Une caméra filme une surface aquatique dont l’image arc-en-ciel est projetée ; une goutte d’eau, à d’aléatoires instants, tombe en provocant des perturbations dans la masse aqueuse. Agrandies sur écran, elles engendrent des mouvements, des brouillages de coloris, des séismes miniatures. Et le cycle, sans cesse, recommence à l’instar de ce qui est vivant sur notre planète.
Un dispositif élève à intervalles un film plastique trempé dans un bac empli d’eau savonneuse. L’écoulement qui en résulte est saisi en permanence par une caméra. Les effets produits par une illumination sur la matière devenue cascade suscite une mouvance aux couleurs multiples et changeantes. Ainsi aussi ce « Solace » de Nicky Assmann (1985) déroule un mouvement perpétuel capable de captiver le regard comme un kaléidoscope dont on ne se lasse jamais des formes ainsi propagées.
Le « Color n/1 » du Suisse Pe Lang (1974) prolonge l’idée d’arc-en-ciel au moyen de feuilles colorées semi-transparentes animées par un moteur. Contemplation encore mais dans la durée cette fois, voilà à quoi nous convie le collectif Troïka (Eva Rucki, Conny Freyer, Sébastien Noel). Un point noir se transforme en volutes colorés, qui, comme des ronds dans l’eau après un caillou jeté, occupent la totalité d’un écran, métaphore en quelque sorte d’une vie en train de se développer, d’un univers en constante expansion.
Hiroaki Umeda (1977) réclame une participation pour son installation « Haptic ». Il convient de s’installer, yeux clos, devant un dispositif qui projette sur les paupières des effets lumineux et de tenter de ‘sentir’ physiquement cette lumière, ses teintes, le rythme de sa projection. En quelque sorte, cette participation tient d’une mise en condition pour se concentrer en soi-même, s’abandonner à un stimulus externe.
L’installation de Verena Friedrich (1981) est particulièrement complexe. Elle produit, en une chambre atmosphérique vitrée, une bulle de savon, de ces bulles iridescentes que les enfants adorent engendrer avec leur souffle. L’appareillage ici conçu permet à l’éphémère et fragile ballonnet du durer un moment assez long en flottant dans une sorte d’apesanteur, livré aux spectateurs du phénomène comme s’il pouvait s’éterniser à l’abri de monde extérieur. Cela finit, bien entendu, par disparaître, mourir, cesser d’exister. Alors l’appareil en reforme un nouveau en une espèce d’analogie active du temps qui passe, de la vie qui meurt et réapparaît, un avatar des vanités de l’art d’autrefois.
De Nicky Assmann encore, en collaborations avec Joris Strijbos (1982), propose une vidéo qui montre les microphénomènes provoqués par des cristaux passant de l’état liquide à l’état solide. Ce bouleversement donne lieu à des métamorphoses que la matière ne laisse pas percevoir habituellement. Et l’échelle de la réalisation du film permet de voir en quoi cela ressemble à un véritable séisme.
Outre une réflexion philosophique sur la durée et sur l’au-delà des apparences, cette communion entre art et science est la preuve que la créativité est similaire entre la quête d’une expression plastique et les tâtonnements des chercheurs pour découvrir les mécanismes de la matière et des êtres vivants. Que la spontanéité émotive appartient à la même famille que la rigueur rationnelle. Que d’un côté autant que de l’autre, la faculté d’expression va dans la même direction, celle qui grandit les humains en leur volonté de communiquer, d’échanger, de partager. Et que la rencontre a lieu lorsque le ludique et le poétique correspondent aux calculs et aux expérimentations.
Michel Voiturier
« Irisations » est visible en la Fondation Vasarely, 1 avenue Marcel Pagnol à Aix-en-Provence jusqu’au 2 octobre 2016. Infos : 04 42 20 01 09 ou http://www.fondationvasarely.fr/
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