Art contemporain : un pan d’histoire et des pages d’histoires pour adultes et pour enfants

Charlemagne Palestine, « Bordel sacré » (détail) © FN.MV

Une double expo au FRAC de Dunkerque, à la fois pour illustrer une page de l’art contemporain (Wild at art) et pour initier les enfants (Extravaganza). Les réserves de l’institution regorgent d’œuvres qui ne sont forcément pas toujours montrées. L’occasion était propice. Et elle incite à la découverte ceux qui ne connaissent pas encore ce lieu si personnalisé qui s’élève à quelques encablures de la mer.

Alors qu’on annonce régulièrement la mort de la peinture, elle s’est toujours plus ou moins bien portée car elle n’a jamais disparu. La preuve dans ce florilège qui rassemble des noms très disparates et montre assez bien les oscillations qui hantent les plasticiens écartelés entre la tradition figurative et la liberté formelle de l’abstraction pure.

Peinture en 80

Partant d’une figuration classique, Arnulf Rainer (1929), associe le visage de Van Gogh au psychanalyste Rafael Adler, en peignant sur des photos. Davantage qu’un simple portrait, c’est la suggestion d’une relation entre la vie du peintre maudit et ses problèmes de santé mentale.

Bernd Koberling (1938) couple l’image avec le travail pictural car, si l’anecdote qui sous-tend la toile s’avère clairement visible avec son cétacé en train de traverser l’espace en diagonale et les deux hommes marchant en mouvement horizontal, l’essentiel de l’œuvre attache plus d’importance à la façon dont le pinceau a déposé l’acrylique sur le support. De son côté, Otto Zitko (1959) englobe dans la matière l’évocation d’un cœur, non de manière réaliste, mais stylisée : le bleu et le rouge tel le sang avant son passage oxygénant dans les poumons. Martin Disler se réfère, à sa manière, à l’art brut.

Exemple même de l’artiste qui désire d’abord montrer ce qu’est la peinture qui ne se contente pas de représenter fidèlement le réel, Eugène Leroy Eugène (1910 – 2000) accumule la matière. Le portrait de « Jacqueline » disparaît sous les couches de peinture ou, c’est selon, commence à apparaître derrière le magma polychrome.

Michael Buthe (1944 -1994) introduit des éléments du réel, en l’occurrence des pétales de roses et des fragments de feuilles d’or dans une toile par ailleurs totalement abstraite et au format bouleversant le traditionnel rectangle de la toile en une géométrie baroque. Herbert Brandl (1959), organise formes et couleurs en fonction des sensations et des sentiments qu’il éprouve sous l’apparence d’une explosion multicolore. Per Kirkeby (1938) étale un paysage intérieur plus largement gestuel où le sombre et le clair entrent en conflit.

Franz West (1947-2012), avec « Bemerkung », a conçu un objet entre formel et informel, qui s’accroche au mur et ressemble donc à la fois à une sculpture et une peinture – ce que Gunter Förg (1952) réalise un peu plus loin avec un bronze aux rythmes verticaux -, le tout confronté à ce qui pourrait, posé au sol, rappeler l’idée d’outil. La peinture, ici, a pour rôle un habillage qui attire le regard. Tout comme le totem dressé par Côme Mosta-Heirt (1946) où elle fait allusion à des rites primitifs.

L’installation créée par Ludger Gerdes (1954 – 2008) étale un parcours dont le titre signifie en français « En avant ». Il est balisé de lettres géantes qui apparaissent comme présentes entre sable et mer à en croire les couleurs qui les remplissent. L’ensemble est une invitation à déambuler à travers l’espace, à se déplacer d’un panneau à un autre. L’artiste incite le visiteur à être actif et à ne se pas contenter de regarder tout en rappelant que la migration volontaire ou forcée appartient plus que jamais à l’histoire récente de l’humanité.

Au pays des jeux et des contes

Destinée à intéresser les enfants, cette seconde expo emprunte à l’humour, à des histoires et à des jeux reliés au monde des petits. On s’y balade avec légèreté, ce qui n’empêche pas l’évocation d’aspects plus complexes de la psychologie enfantine.

Ce qui résume le mieux cette démarche est sans doute l’installation « Bordel sacré » de Charlemagne Palestine (1945), bric-à-brac invraisemblable, foutoir magistral. Sorte de grenier en friche où se retrouvent pêle-mêle jouets à majorité de peluches, objets divers qui donnent fichtrement envie d’aller y farfouiller à loisir. Ajoutons-y le nain de jardin du collectif Présence Panchounette (1969-1990), ébahi et comme perdu avec sa petite brouette.

Viennent ensuite les insolites, ceux nés de jeux, de créativité onirique comme le meuble hybride ou mutant de Jurgen Bey (1965) qui n’est pas parvenu à choisir s’il était table ou chaise. Ou la fusée gratte-ciel de Zobernig (1958), voire le cosmonaute de Guglielmo Cavellini, dit Gac (1914-1990 ), dans la lignée des déguisements chers aux enfants prêts à vivre d’autres personnalités que la leur. Et que l’on retrouve dans le diaporama de Christodoulos Panayotou (1978) avec ses défilés que le ridicule ne tue pas.

On y adjoindra peut-être, bien que ce soit avec une dimension politique sous-jacente, le buste ironique de Lénine travesti et maquillé en femme par Scott King (1969) dont l’apparence rejoint d’une certaine façon les ogres de contes traditionnels. Histoires auxquelles font allusion les dessins amusés et amusants du bestiaire de Christine Deknuydt (1967) et qu’on imagine volontiers réinventées avec volubilité par l’installation de François Curlet et Michel François, «Les loquaces », dialogue drolatique entre une coque de grenade séchée et une boule d’osier échevelée.

Les animaux des fables ne sont pas loin. Soit sous forme de moustiques confectionnés en plumes de pigeon et… de brioches par Lothar Baumgarten (1944), de quoi donner un aspect plus sympathique à ces bestioles agaçantes. Soit à travers la trace d’un escargot qui revient sur elle-même que Bertrand Gadenne (1951) a titré «L’infini».

Cette notion incite à un rapprochement avec une installation très psychanalytique de Jean-Marie Krauth (1944), reliée à un souvenir d’enfance plus ou moins traumatisant. Il s’agit du «Blanc voyage» qui rappelle une bêtise commise avec une craie blanche sur une carrosserie de voiture et la punition qui s’ensuivit.

Que tout cela ne dissimule pas que le ludique est omniprésent. Il gambade dans la fantaisie graphique joyeusement colorée de Jean-Luc Moerman (1967) et dans la fresque en adhésifs de Michael Craig-Martin (1941) qui, se référant à Matisse, chorégraphie en traits épurés des objets sortis de la banalité de leur usage quotidien.

Michel Voiturier

« Wild at art » et « Extravaganza » au FRAC, 503 Avenue des Bancs de Flandres à Dunkerque [F] jusqu’au 28 août 2016. Infos : +33 (0)3 28 65 84 20 ou http://www.fracnpdc.fr/

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.