Les desseins et les rigueurs du blanc : René Guiffrey

Cordoba, 2010, Acrylique et priplak sur carton © photo Marijo Béhéty

Démarche radicale que celle de Guiffrey s’attachant au blanc afin de démontrer à quel point cette couleur censée les contenir toutes est un vecteur de réflexion, de méditation, de perception de l’invisible. Une démarche qui amena la municipalité de Toulon, alors aux mains du Front national, à détruire, façon djihadiste, une de ses œuvres à vocation de fontaine installée au cœur de la cité.

En alchimie, l’œuvre au blanc s’apparente à une sorte de quête de la pureté. René Guiffrey (Carpentras, 1938 ; vit et travaille à Bédoin) apparaît comme un artiste qui, après avoir pratiqué les couleurs, se consacre exclusivement à une seule dès 1970.

Ainsi que l’écrit Jean-François Lyotard, la peinture moderne et postmoderne s’est assigné comme objectif « de présenter qu’il y a de l’imprésentable, de faire voir qu’il y a de l’invisible ». Et, concernant les œuvres de Guiffrey, Jean-Claude Roure ajoute qu’elles ont «l’infini pour modèle et l’imperceptible pour domaine ».

En dehors de toute imagerie, elles font appel à l’imaginaire, à l’émotion d’une impression purement sensorielle car elles se situent ailleurs que dans l’apparence monochromatique d’une ou plusieurs couches de blanc sur un support. Il s’agit d’emblée d’être sensible aux vibrations puisqu’il y a absence de référence au reconnaissable de l’univers qui d’habitude nous entoure et constitue notre environnement permanent.

Depuis qu’il a abandonné la pratique de la peinture selon la tradition, Guiffrey ne cesse de chercher, d’expérimenter. Il passe de l’huile du blanc de titane à l’acrylique ; puis délaisse châssis et toile au profit de matériaux industriels comme la céramique, le carrelage, la porcelaine, le verre, les miroirs, le papier plié ou non, certains films transparents ou translucides…

Il insiste sur la nécessité, pour tout qui observe son travail, de se déplacer latéralement ou perpendiculairement devant l’œuvre. Une suggestion à rapprocher de certaines créations de l’op art chez Vasarely, Soto, Riley, Morellet… Mais à la différence de ceux-ci, associant souvent leurs réalisations à des combinaisons mathématiques ou autres, il ne s’agit en rien chez Guiffrey de provoquer des illusions optiques. L’objectif est que le déplacement physique du regardeur fasse rendre manifestes les potentialités visuelles que contient l’objet présenté à sa vue.

Dans leur apparente simplicité, peintures, assemblages, sculptures signés Guiffrey offrent une beauté dépouillée, une sorte d’absolu non point figé mais immobile, c‘est-à-dire en attente de mouvement. Il y a là des variations sur un thème identique, inlassablement répétées, telles qu’on les retrouve chez les musiciens minimalistes américains comme Phil Glass, Steve Reich et quelques autres mais aussi Français, comme Renaud Gagneux.

Dépouillement formel

Il y a également un rapprochement à faire avec ces musiques ponctuées par des interstices de silence comme dans certaines compositions de Cage ou de Kondo. Car le blanc est une forme de silence visuel, il habite un espace en lui laissant la possibilité de n’être qu’un espace à regarder tel qu’il s’exhibe en sa nudité apparente.

Ce qui aurait donc pu se présenter comme monotonie ennuyeuse se révèle succession de diversité où les détails les plus infimes témoignent de variations, d’investigations, d’adjonctions… qui incitent le regard à ne pas se contenter d’un survol distrait de l’œuvre.

Le choix des formes et la rigueur de leur agencement ont évidemment rapport avec une approche scientifique, rationnelle de la créativité. C’est aussi le cas des supports qui doivent dévoiler l’œuvre, lui inventer la réalité matérielle de son état dans les lieux qui l’accueillent. Entre sa structure et le matériau dont elle est réalisée, la première ne prend pas le pas sur l’autre qui, lui, s’avère l’essence même du travail.

La conception appartient au géométrique sans véritablement s’apparenter au constructivisme. La matière, elle, se réfère à la sensualité, à la réaction spontanée provoquée par sa texture, au plan visuel autant que tactile. Elle sera brute mais surtout industrielle, c’est-à-dire façonnée mécaniquement. L’action de l’artiste portera donc sur son agencement, sur ses interventions, sur le choix des localisations car un objet artistique nécessite des rapports avec la lumière et l’espace.

Complexité intérieure

Le verre semble un composant idéal pour concrétiser la démarche de Guiffrey. Il est transparent ; en superpositions, il sera plutôt translucide selon les accumulations. Et vu non de face mais du côté de la tranche, il capte et renvoie la clarté de manière prismatique, filtrant certains éléments du spectre lumineux. Si l’artiste enduit certaines plaques d’une couche plus ou moins dense de peinture, l’effet sera d’autant plus diversifié.

Nous sommes dans l’intemporel. Nous sommes dans un vide qui est plein sans révéler ce qu’il dit. Sans doute cela traduit-il une nostalgie du mot. Car l’apparition du mot est çà et là présente non en vue de raconter des histoires ou d’affirmer des pensées mais bien en tant qu’interrogation dépourvue de réponse. C’est cela, peut-être, qui s’inscrit dans ce meuble fabriqué afin de contenir les 18 cahiers de la version initiale de l’Ulysse de Joyce, monument littéraire qui tente de faire du langage écrit et parlé une synthèse impossible entre communication et ésotérisme. Là, René Guiffrey a adjoint à chaque chapitre deux traductions françaises entre lesquelles se trouvent ses dessins d’étude, interpénétration du créatif, du réflexif, de la quête inespérée d’une signification toujours mouvante, perfide, aléatoire. Un lien incontestable avec la quête alchimique.

Michel Voiturier

« L’œuvre à blanc », au Centre d’Art Camprédon, 20 rue du Docteur Tallet à L’Isle-sur-la-Sorgue [F], jusqu’au 9 octobre 2016. Infos : 04.90.38.17.41 ou https://www.islesurlasorgue.fr/campredon.html

Catalogue : Jean-François Lyotard, Jean-Claude Roure, François Barré, Georges Raillard, René Guiffrey, « L’œuvre à blanc (un parcours) », Lyon, Fage, 2016, 112 p.

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