Un jalon de l’art congolais : Mode Muntu

Bien avant l’engouement vers la peinture africaine de l’après-colonisation, il existait des artistes plutôt considérés comme des artisans, des faiseurs de chromos pour colons ou touristes. Dans l’ombre se préparait la naissance d’un art africain dégagé des traces du passé un peu folklorique ou influencé par la tutelle européenne. Muntu (1940-1985) est un témoignage de cette évolution en cours.

La lecture d’extraits de presse bruxellois des années 1950 est révélatrice de l’esprit paternaliste d’une époque où il n’était pas encore possible d’envisager de donner un jour, même lointain, l’indépendance aux peuples colonisés. Il était donc impossible d’accorder quelque valeur à un artiste qui ne s’intégrait pas aux critères de l’art occidental. À moins qu’il n’appartienne à la grande tradition parce que pour l’art nègre des années 20 qui influença le cubisme, ce ne furent pas des créations contemporaines de cette période qui servirent de modèles mais bien des œuvres issues du patrimoine africain.

Mode Muntu se situe à la charnière des années 54 à 85, entre le cautionnement d’une création proche d’une pratique ancestrale et celle d’une création purement personnelle. Repéré par les Blancs, il est encouragé et admis dans des académies où, forcément, il subira des influences de ceux qui l’encouragent. Un écartèlement s’ensuit entre le respect des spécificités locales d’une esthétique héritée et les injonctions ou les incitations des mentors qui l’encadrent : Laurent Moonens, Claude Charlier, Nestor Cocks, Chenge Baruti.

Ce que Muntu emprunte au passé, ce sont les thèmes liés aux légendes, à la vie quotidienne d’un village, à l’environnement naturel : la couleur régionale en quelque sorte de son inspiration. Le présent se nourrira d’allusions anecdotiques au biblique, résultat de l’omniprésence des représentants de l’église catholique ou dérivés d’elle.

Une forme métissée

Stylistiquement, il y a la répétitivité. Ce qui donne le rythme du tableau par une sorte de scansion régulière des formes. Ce qui s’apparente à un aspect décoratif. Les personnages sont stylisés systématiquement de manière filiforme, sans détail permettant une identification à des individus précis, plutôt des archétypes que des personnalités. L’ensemble forme un tout dans lequel les gens sont totalement intégrés aux éléments de l’environnement, fusion élémentaire entre les hommes et la nature.

Les signes de cette imprégnation sont multipliés à l’envi, grouillant souvent, au point parfois qu’ils dissimulent la présence humaine comme dans certains jeux optiques de dessins à vocation de devinettes. Une imbrication totale se lit dans la composition spatiale des tableaux, rendant indissociables les habitants et leur territoire, les êtres et leurs actions, le milieu et les vivants qu’ils soient nos prochains ou des animaux. Nous sommes dans l’alliance, presque l’alliage.

Les responsables de cette exposition ont jugé bon d’évoquer les rapports possibles entre le travail de Muntu et l’art contemporain. Les exemples montrent une correspondance entre ce qui peut être considéré comme africain et ce qui s’avère être représentation universelle. C’est le cas avec Keith Haring représenté par une peinture proche des tags et une sculpture aux personnages à la silhouette bien connue ; ce l’est encore avec une structure élaborée par Antony Gromley ou des pullulements de Roy Underwood et des compositions de Daniel Walbidi. C’aurait pu l’être aussi avec les découpages-collages de Maja Polackova. Quant à A.R. Penck, ses travaux évoquant le primitivisme de certains contes narratifs étiologiques ne sont pas non plus étrangers à cette démarche, ni à celle de l’art brut.

Michel Voiturier

Exposition visible à la Cité Miroir, 22 place Xavier Neujean à Liège jusqu’au 27 septembre 2017.Infos : 04 230 70 50 ou www.citemiroir.be
Lire : Michael De Plaen, « Dialogue culturel avec Mode Muntu », Liège, Mnema/Cité Miroir, 2017, 32 p.

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