TOURNAI Des êtres et des choses : Ceysens – Nagant

Niveau à fil de plomb ©Alain Ceysens

La bonne photo va toujours au-delà des apparences. Qu’elle s’attache à des objets comme chez Ceysens ou à des actrices de cinéma comme chez Nagant, elle révèle davantage qu’elle ne montre.

Bien qu’essentiellement différents, chacun de ces deux photographes possède des points communs avec l’autre. Notamment dans le refus du paysage et l’importance du gros plan. Aussi dans le choix de privilégier le noir et blanc ainsi que dans l’usage parcimonieux de la couleur. On serait bien tenté, ici, de prolonger l’alexandrin célèbre de Lamartine : « Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? » en y ajoutant ce vers nouveau « Êtres humains figés, vous l’avez bien gardée. »

Ceysens et l’essence des choses

Alain Ceysens (1944,Lusambo) explore le temps incarné dans l’espace. Il apporte une netteté qui semblerait clinicienne mais qui s’avère surtout éclairante. C’est que, sur les fonds sombres de la plupart de ses photos, il donne à la lumière le rôle de révélateur, le pouvoir de clarifier la nuit.
S’il semble ne pas trop s’intéresser au paysage, il focalise son attention – c’est-à-dire à la fois sa concentration et sa bienveillance – sur un sujet précis. Cela se traduit d’abord par l’usage fréquent du gros plan. Il donne l’impression de ne considérer que l’essentiel. En d’autres mots : la présence.

C’est cette dernière qui s’impose. Les végétaux, la statuaire, les architectures, les outils, les artistes, les corps nous sont restitués au point de suggérer qu’ils avaient été éloignés de nous avant de nous être soudain restitués, au point de paraître en train d’être découverts pour la première fois.

Cette remise à neuf de notre regard est salutaire. Elle le contraint à moins de désinvolture face à la réalité la plus ordinaire. De plus, alors que nous vivons sans cesse dans un univers régi par la technologie, Ceysens nous donne l’occasion d’une proximité avec soit des éléments naturels, soit des objets dont la matière constitue une bonne part de leur existence.

Les plantes qu’il a inscrites sur pellicule sont souvent fixées en train de se faner ; les fruits sont en train de flétrir, leur matière donne à voir ce vieillissement menant au pourrissement mortifère. Les humains présents (en dehors des enfants des Marolles saisis dans le milieu des années 60) deviennent des fragments abstraits. La peau insérée dans des ouvertures géométriques perd son identité anatomique pour devenir sculptures sensuelles. Les statues, en leurs détails valorisés par des plans rapprochés, révèlent des mystères insolites.

Quant aux outils qui font l’objet d’une impressionnante série, ils prennent une valeur étonnante. Ils n’ont rien à voir avec la technologie actuelle. Manifestement ils appartiennent à l’artisanat, au travail effectué par la main ouvrière et non par un ordre transmis via l’électronique. Ils s’apparentent dès lors à des reliques, de celles qu’on vénère dans la mesure où elles ont pour utilité de servir des valeurs. Il arrive alors que la couleur s’associe aux matériaux photographiés. Rien de vulgaire, d’ostentatoire. C’est une sorte de contamination qui irradie la luminosité de la chose, fait corps avec elle.

Nagant et la présence des êtres

Invitée à l’occasion du festival cinématographique tournaisien Ramdam, Valérie Nagant a produit une série à propos des femmes belges liées au 7e art, interprètes ou réalisatrice, en l’occurrence Marion Hansel. Ici encore, point de décor, ou si peu avec Émilie Dequenne ou Lubna Azabal. Partout ce ne sont que gros plans ou de plans américains comme les images de Lucie Debay, Verle Baetens, Stéphanie Crayencour…

Une caractéristique de la mise en espace est que chaque cliché de Nagant comporte au moins une oblique susceptible de casser ce que la pose du sujet photographié pourrait avoir de traditionnellement rigide. C’est un bras s’écartant du tronc, la main d’un bébé attirée par le visage de sa maman, trois doigts surgis du bas du cadrage, un cou tendu ou penché, une cigarette serrée entre l’index et le majeur, une épaule haussée… C’est encore le geste de Marie Gillain éblouie par la lumière ou la figure de Cécile de France en partie reflétée par un miroir.

Il apparaît que, dans cette suite de portraits, ces professionnelles, qui sont payées d’habitude pour jouer des rôles, se sont laissées aller au point de révéler une part d’elle-même. Une révélation pudique, une sorte de confiance accordée à celle qui appuie sur le déclic. Peut-être même à nous qui regardons. Et là où la couleur est présente, elle n’éclate pas ; elle est davantage suggérée qu’affirmée si bien que se dégage de chaque photo une atmosphère singulière.

Michel Voiturier

À la Maison de la Culture, Esplanade Georges Gard à Tournai jusqu’au 14 février 2016, « Ceysens 50 ans, étapes d’un parcours – Outils d’artisans et d’artistes ». Infos : 069 25 30 80 ou http://www.maisonculturetournai.com/fr

À la galerie Florence Rasson, 13 rue de Rasse à Tournai jusqu’au 7 février 2016. Infos : + 32 (0)69 64 14 95 ou + 32 (0)474 93 50 22 ou http://www.rassonartgallery.be/

Catalogue : Alain Ceysens, René Dalemenans, Colette Nys-Mazure, Jacky Legge, « Une exploration photographique »,Tournai/ Mons, Maison de la Culture/Galerie Koma, 2016, 64 p.

1 Comment

  1. Bonjour,

    J’espère que celui qui a commis cette monstrueuse photo, ne se prend pas pour un photographe.
    Même les packshots pour les catalogues de poudre à lessiver sont meilleurs.

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