« Peinture d’origine naturelle » de Marc Angeli à la galerie Michel Rein de Bruxelles
Couleur et sensualité
Patrick Vanbellinghen, directeur du siège bruxellois de la galerie Michel Rein, a invité Claude Lorent à présenter l’oeuvre de l’artiste liégeois Marc Angeli (°1954). Si le travail de cet artiste nous est depuis longtemps familier, l’approche qui en est faite ici appelle à un nouveau regard axé sur les matériaux naturels qui la composent et sur la grande sensualité qui en émane.
Autour de 1500, le peintre toscan Cennino Cennini écrit le Libro dell’arte. Il débute le chapitre consacré à la couleur en précisant qu’il y a sept couleurs naturelles. Plus loin, on peut y lire quelques « recettes » : « On fait un vert avec l’azur d’Allemagne et le giallorino ; il est bon sur mur et sur panneau, encollé avec le jaune d’œuf. Si tu veux qu’il soit plus beau, mets-y un peu de gomme-gutte. On fait encore un beau vert avec l’azur d’Allemagne et en écrasant des prunes sauvages dont on recueille le jus : l’on met de ce jus quatre ou six gouttes sur le bleu, c’est un beau vert. » ou encore « Il y a un autre mordant qui se fait ainsi. Prends des gousses d’ail épluchées de la quantité de deux, trois ou une écuelle ; écrase-les en pâte dans un mortier, tamise-les à travers un linge deux ou trois fois ; prends ce jus et broie-le avec un peu de blanc et de bol, léger autant que faire se peut ». Si Marc Angeli ne nous donne aucune indication sur les procédés qu’il utilise, on trouve dans la description de ses œuvres les ingrédients qui les composent : colle de peau, vin rouge ou blanc, kaolin, lait, copal, épices, etc. Nul doute que l’ouvrage du vieux Toscan trouve ici une nouvelle actualité et se voit même dépassé. Mais la comparaison s’arrête là : Angeli, en artiste de son temps, ne cesse d’expérimenter avec les matériaux que la nature lui offre et cette expérimentation est au cœur de son oeuvre. Chaque tableau est un morceau de couleur – une couleur engendrée par un processus empirique inventif et délicat – qui éloigne le tableau de ce qu’on met habituellement dans la catégorie « monochrome ».
A l’exception d’une grande toile jaune datée de 1979, les formats sont très petits. Le choix des supports est le premier geste de sa peinture. Ceux-ci varient du bois brut au marbre et ils apparaissent souvent comme des fragments, récupérés et choisis pour leur texture ou leur forme. Ainsi, dans l’exposition, on peut voir Alabastro : un support d’albâtre à peine recouvert de peinture qui laisse visible les veines de la pierre. Ensuite viennent les couches de pigment qu’on appréhende sur la tranche des petits panneaux comme Carré indigo où des coulures rouge foncé et un bleu roi soutiennent la couche finale d’un indigo presque noir.
Chacun de ces petits tableaux a fait l’objet d’une approche subtile, couche après couche pour faire apparaître le satiné de la cire d’abeille, le velouté mat d’une épaisse couche de pigments ou laisser voir les veines fissurées du panneau. Il y a une spiritualité toute contemporaine dans cette œuvre : elle s’attache à ce que nous offre la nature pour la concentrer et la transcender dans chaque petit panneau. Elle déborde aussi d’énergie et de sensualité tant le spectateur voudrait transgresser la règle qui, en peinture, n’autorise que le toucher avec l’œil.
L’accrochage renforce encore cet enchevêtrement de spiritualité et de sensualité. Les petits tableaux sont à la fois espacés les uns des autres et disposés en groupes sur les murs, unis tantôt par les matières, tantôt par les couleurs ou dans un ensemble ludique multicolore.
Colette DUBOIS
« Peinture d’origine naturelle » de Marc Angeli jusqu’au 2 mars à la galerie Michel Rein, rue de Washington, 51A à 1050 Bruxelles. www.michelrein.com.
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