Bernard Gaube : l’exercice d’une peinture

Livre et expo

Bernard Gaube : l’exercice d’une peinture

Sortie de presse du septième cahier de L’exercice d’une peinture, une publication conçue, réalisée et éditée par le peintre Bernard Gaube par ailleurs invité en exposition personnelle à Paris. Tour des pages et des images.

L’ouvrage est donc le 7ème cahier d’une série dont le premier numéro est paru en 2003. Un peu plus de vingt ans d’une peinture, celle du peintre belge Bernard Gaube (1952, Kisantu, RDC – Vit et travaille à Bruxelles), à parcourir en images et en textes divers commis par des historiens de l’art, des critiques, des artistes et autres personnalités du milieu de l’art contemporain, voire par l’artiste lui-même pour le N°4, Once upon a time…. Plutôt qu’une substantielle monographie, un cheminement dans le temps par étapes successives. Une autre manière d’aborder un travail en cours, d’y réfléchir, de solliciter des avis autorisés. Un parcours semé de ponctuations éditées, établit dans la durée, comme la vie.

Donner à voir

L’ouvrage s’ouvre sur 78 pages, papier blanc mat, de reproductions de peintures distillées sans chronologie, réalisées entre 2004 et 2023. A l’une ou l’autre exception près, des peintures de format plutôt modeste (+/- 50 x 60 cm). Toutes peintures figuratives qui ne définissent pas à proprement parler un style, mais relèvent néanmoins, et cela se confirme avec le temps, d’une patte picturale bien gaubienne, libre et inventive, sans apprêt, éloignée de toute tentative de séduction. Il va de soi singulière et donc à nulle autre pareille. En fin de volume, l’historienne et critique d’art, commissaire d’exposition Septembre Tiberghien, a dressé un inventaire, « un glossaire fantastique », écrit-elle, « des toiles peuplées d’un bestiaire imaginaire » qu’elle livre avec quelques commentaires, des précisions de classification et des références. Voici les têtes, les mains, les pieds, le mur de briques, l’arc-en-ciel, les nuages, la boîte de conserve, les animaux et les plantes. On l’aura compris, c’est la diversité qui prime dans cette figuration où s’immisce aussi l’abstraction qui ne se satisfait pas de jouer les fonds picturaux, elle intervient, perturbe, complète, structure et joue en agent chromatique.

Dans cette diversité, en titres d’œuvres naît le terme Hunimalité qui apparait en sous-titre général du cahier. Au débotté, voici des portraits, des autoportraits, des vanités, des natures mortes inattendues et des rebus, un terme qui pourrait convenir à l’ensemble des œuvres mais sans solution à trouver. Et aussi des séries dont Ecce homo.

Le fauteuil de l’atelier

Dès l’entame de son texte consacré à une visite d’atelier et à une conversation avec l’artiste, Camille Paulhan, docteure en histoire de l’art et critique d’art, est frappée par le vert, par la couleur. Elle s’assoit dans le fauteuil du peintre, là où, chaque matin, « il se demande comment continuer à peindre ». Elle décrit ce qu’elle voit puis, dans la recension passe sous silence ses questions et donne la parole au peintre qui se raconte, non en curriculum vitae légal mais en faits de vie. Mais elle pose aussi une question à propos d’objets de l’atelier. Là aussi sans réponse : « le rasoir et le coupe-ongles ne seraient-ils finalement pas une métaphore possible de l’action de l’atelier sur l’œuvre ? ». Une réponse ?

Pour ceux qui ne connaissent ni l’artiste, ni sa peinture, la lecture offrira le résumé d’un itinéraire quelque peu vagabond avant l’installation à Bruxelles en 1994, le tout, et là réside l’intérêt de ce décryptage, parsemé de réflexions innervant la démarche, des années de formation à ce jour. En deux mots, sachez qu’il fut d’abord potier céramiste après des études au 75 à Bruxelles, qu’il voyagea en France et vécut deux ans à Montréal où il « s’intégra rapidement dans une petite communauté d’artistes », qu’à 50 ans il « vit une crise existentielle » et qu’il « arrête la peinture » avant de reprendra les pinceaux et en 2003 de publier son premier Cahier, « convaincu qu’on ne peint pas ou n’écrit pas pour soi » et « qu’il considère la peinture comme un processus de mise au monde, permis par l’atelier (…) qui au fil du temps est devenu un humus».

Iconographie picturale

Alors qu’elle assume le commissariat de l’exposition « Bernard Gaube, Hunimalité » L’ahah à Paris, Camille Debrabant, docteure en histoire de l’art, critique et enseignante, propose un texte sur « sur une lecture iconographique et politique » de l’œuvre de l’artiste, en soulignant ce qu’elle estime être à première vue « un paradoxe » mais qui est davantage abord analytique complémentaire à « l’unanimité critique autour de la matérialité » . A savoir que jusqu’aujourd’hui l’œuvre n’aurait été considérée que sous l’aspect de sa matérialité et non par rapport à l’iconographie et ce qu’elle véhicule. Dès 1984 (Bernard Gaube, C.L., in La Main, cahiers d’art contemporain, Bruxelles), face aux grands formats quasi initiaux de la démarche picturale alors plutôt abstraite, il est d’emblée question « d’empreintes d’une présence humaine qui veut être signifiante mais non imposante ». L’iconographie, soit-elle en retrait et en pure suggestion, y est révélée dans son importance. C’est en fait en se basant sur la seule période franchement figurative que se fonde l’analyse proposée, et particulièrement « au milieu des années 1990 », face aux « têtes, portraits, autoportraits et corps des modèles » que l’auteure pose l’hypothèse   de la « peur de la figure en peinture ». Au vu des couleurs utilisées par le peintre en ses sujets humains, elle situe l’artiste « dans une communauté multiculturelle et multiethnique », en appelant notamment la référence aux « figures de peintre en Indien et Amérindien ».

Hunimalité et hybridité

Dans cette filiation de « ce processus de métissage » interviennent aussi « les variations qui ne préservent pas toujours l’intégrité du corps » et débouchent sur un « bestiaire » peuplé « d’animaux sauvages et domestiques ». D’où l’hunimalité. Une pratique métaphorique, note l’auteure, qui « embrasse aussi le monde végétal. Des motifs qui font glisser l’analyse vers des références picturales de Mantegna à Morris Louis liées au religieux, avant de rejoindre le registre « de l’histoire politique ».

Poursuivant sur le principe d’hybridité, l’auteure introduit des corrélations avec une part sonore (oralité) et littéraire de Ginsberg à Valéry, en passant par les jeux de mots et les expressions anglaises dont certaines proviennent de slogans protestataires et autres origines à caractère politico-social. Mais, est-il précisé, « pour autant Bernard Gaube se défend de tout activisme politique ».

Portant enfin sur la nécessité de se confronter impérativement aux peintures elles-mêmes plutôt qu’aux reproductions, cette étude portant sur le sens des images pointées, se pose en complément d’informations visuelles très éloquentes sur la partie figurative d’une œuvre dont est soulignée et avalisée « la picturalité dérangeante ».

Le 7ème cahier

Le tout de ce 7ème cahier, et qui plus est l’exposition parisienne qui accompagne sa parution, est d’un nouvel effet révélateur du fond et de la forme d’une œuvre qui, en son ensemble, se distingue par sa singularité foncière de tant de ‘productions’ de la même époque marquées par le seul sceau d’un air du temps soumis aux impératifs de mode ou de mercantilisation. Cette indépendance, cette autonomie et ses particularismes aussi troublants puissent-ils s’avérer face aux normes les plus répandues, sont les mantras à n’en pas douter d’une aventure picturale non seulement profondément originale mais marquante, irréductible aux mots et par là proprement et purement peinture dans ses dimensions critiques, esthétiques et poétiques.

Claude Lorent

PUBLICATION. Bernard Gaube Hunimalité L’exercice d’une peinture cahier N°7. 120p., ill. coul. Ed. Bernard Gaube. www.studiobernardgaube.com

EXPOSITION. « Bernard Gaube, Hunimalité ». Commissariat Camille Debrabant. Jusqu’au 23 mars 2024. L’ahah #Griset, 4 cité Griset, 75011 Paris. Du mercredi au samedi, 14h à 19h. www.lahah.fr info@lahah.fr +33 1 71 27 72 47.

Illustration : Bernard Gaube, Palette animalière, huile sur toile, 2022-2023, 37 x 46 cm. © Bernard Gaube

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