Parcours hainuyers : à la ville et à la campagne

Une des "Belges images" de Plonk et Replonk au Daily Bul

Alors que la triennale de Tournai « Intersections » en est à sa première édition, la biennale Artour, à La Louvière et alentours, affiche sa douzième apparition. Quant au château de Seneffe, il invite une fois encore ses visiteurs à parcourir une partie de son parc de 22 hectares entre des œuvres dispersées.

À leur manière, chacune de ces manifestations invite le public à associer ce qu’il a tendance à aimer, le patrimoine historique, et ce dont il se méfie un peu, l’art contemporain. Sous la coordination d’Eric Claus, la preuve va être offerte qu’il y a là, plaisirs à prendre.

Artour en un quotidien insolite

Le parcours de cette désormais incontournable manifestation est varié. Il commence au Château Gilson avec quelques exemples typiques du ‘recyclage’ d’engins technologiques devenus obsolètes et métamorphosés en objets artistiques. Une chevelure échevelée de bandes magnétiques pour cassettes audio de Colin Ponthot (1979) suspend une accumulation de paroles et de sons désormais inaudibles. Mais pas totalement morts puisque des têtes de lectures frottées par les visiteurs sur les bandes produisent des sonorités étranges, proches des recherches initiales de musiques concrètes par Pierre Schaeffer et Pierre Henry au début de la décennie 1950. Helga Dejaegher transforme en vidéo de paysage abstrait les sonorités d’une bande magnétique usée.

Maia Blandiau pratique le collage d’appareils liés au son (tourne-disques, circuits électroniques, cadran radio, bras de lecture, transistors, câbles électriques, moteurs…) pour les combiner en une structure-sculpture animée, sorte d’étrange amalgame énigmatique, arrière-petite-fille des ‘machines’ de Tinguely.

De son côté, Valkiri (alias Valery Sandor) a monté une installation équipée de fauteuils de plage dans lesquels le visiteur a le loisir de s’installer et rêver face à un environnement composé d’hétéroclites éléments ayant trait principalement à la radiodiffusion et complété par des bouquins. Gadgets, jouets et postes à transistor se relaient pour réinventer une carte postale en 3 D de vacances à la mer.

Au MILL, les œuvres sont témoignages d’une évolution historique des collections communales. Parmi elles, le mystérieux «In memoriam Mack Sennett » de Magritte, un fort portrait d’Achille Chavée par Rémy Van Den Abeele, une huile clamant l’abandon des charbonnages par Jacques Lennep, trois sculptures formelles l’une de Christian Claus, l’autre d’Émile Desmedt, la dernière de Léonard Grosfilley.

S’y ajoutent des vidéos de Laurent Quillet (1989) (https://fluxnews.be/2018/10/27/laurent-quillet-autoportrait-en-antiportrait/ ). Dans « Détachement », il pratique une forme légère d’autodérision à travers la succession rapide et répétitive d’embrassements avant départ. D’autres bribes de vie quotidienne teintée de dérisoire affleurent tout au long de « Conversation d’une vie banale ». Finalement, comme l’écrit Robin Legge, il est évident « que l’art n’est pas séparé de la vie, que tout peut être considéré comme art ».

Au musée de Mariemont, la vidéo prend une autre ampleur. Alex Verhaest (1985) renouvelle les vanités anciennes. Il filme, sous des lumières singulières des fragments de nourriture visités par des insectes, associant au vivant la présence du mortel. Il propose également, près de la réserve précieuse, une insolite vidéo. Réunis à table, les membres d’une famille, dont certains apparaissent comme les doubles des autres, devisent autour et avec le père récemment suicidé. La composition rappelle des tableaux du XVe siècle, les propos énoncés par les protagonistes possèdent la vacuité de ce qui repose sur les non-dits.

Artour aux alentours de l’image

Au Centre de la Gravure et de l’Image imprimée de La Louvière une exposition sur « Bientôt déjà hier » donne une perception plus globale de la thématique de cette année « D’un temps à l’autre », dont ‘Flux News’ a déjà parlé ( https://fluxnews.be/2019/04/08/prendre-le-temps-darpenter-le-temps/ ).

Le collectif suisse Plonk & Replonk s’empare de banales cartes postales pour plonger dans un humour à facettes bien dans l’esprit du Daily Bul. Les « Belges images » viennent jouer avec des décalages savoureux. C’est l’absurde de l’inventeur de la première marche d’escalier ou celui de la salle de contrôle des fuseaux horaires de la Belgique voire celui des vaches jouant avec un train à l’arrêt.

Ce sont aussi des injonctions sur adhésifs à coller où l’on veut : « Veuillez utiliser l’ascenseur, l’escalier est en panne » ou « Mode d’emploi pour livres : ouvrir, lire, refermer » voire « Au-delà de cette limite vous êtes enceinte ». Il en est de cruelles avec humour noir garanti au sujet de la médecine ou du terrorisme ainsi qu’une guillotine accélérateur de… particules au temps de la Révolution française, d’autres où le jeu de mots s’accompagne d’une astuce iconique, d’autres encore où la métaphore visuelle tient lieu d’élément photographique tel ce magnat de la presse avec visage en feuilles de chou.

À Carnières, au musée Alexandre-Louis Martin (1887-1954), les portraits à l’ancienne s’accommodent au surréalisme parfois révolté des collages insolites d’Emelyne Duval (1987). À la collégiale Saint-Vincent de Soignies, c’est le « Graal », donc le sang qui nourrit les travaux d’Etienne Colas (1958), Philippe Dubit (1945), accompagnés par Pierre-Jean Foulon pour les textes et la collection d’images pieuses ramenée par Jean-Pierre Denefve de la galerie Koma à Mons. Le côté intemporel des dessins du premier leur donne une atmosphère futuriste au sens de la science-fiction ; les noirs profonds du second accentuent le mystère de ses dessins et gravures enrichis d’un symbolisme subtil.

Au musée de la Mine et du Développement durable, des photos reportages et des vidéos disent âprement la condition des migrants actuels. Elles sont signées Yves Salaün (1991) , Eric Masquelier, Olivier Guyaux, Hamedine Kane (1983) ou Christian Fauconnier. Des dessins humoristiques leur font contrepoint : Philippe Decressac (1968), Patrick Chappatte (1967), Jaume Capdevila dit Kap (1964). On les parcourt dans une installation labyrintesque jalonnée de tas de godasses abandonnées et agrémentées de panneaux explicatifs au sujet des migrations récentes.

Artour en relief 3 D

Dans ce même musée de la Mine, la sculpture est à l’honneur avec le terril noir implanté par Maëlle Dufour (1994) dans une solitude de défaite économique et son mirador immaculé surplombant le même vide économique. Stéphanie Roland (1984) a conçu un champ archéologique en guise de témoignage des dérives du système de production. Sur des fragments de marbre de Carare issus de la démolition d’une habitation victime de dysfonctionnements boursiers, elle imprime des images puisées dans des recherches en vue du futur. Sur ces morceaux minéraux dispersés, jetés, entassés, plus ou moins lisibles, apparaissent déjà détruits des bribes d’avenir.

« Le jardin de mon père »de Jean-Philippe Tromme au Musée de la Mine.
Quant à Jean-Philippe Tromme (1980), il métamorphose des plantes en sculptures de bronze. Au cœur même d’un territoire minier délabré, il vient repiquer de fragiles végétaux pour terrains vagues sauvages ou pour jardins ouvriers dorénavant devenus pérennes. Enfin, afin de jeter un pont entre passé historique et présent curieux, Marco De Sanctis (1983) arpente les époques à l’Office du Tourisme louvièrois, s’inspirant entre autre de morceaux de statues antiques, pastichant des formes d’autrefois.

Plus optimistes mais pas nécessairement moins caustiques les masques hilares et géants du duo Benoît+Bo ont l’air de narguer le monde commercial au Musée du Carnaval. C’est d’autant plus évident que, à l’intérieur, un personnage affublé de ce genre de faciès a l’air de contempler le monde de manière ironique. Le buste de Charles-Quint, coiffé de cette figure neuve, regarde lui aussi l’empire de la mondialisation qui est aussi étendu que son propre empire du XVIe siècle dont il prétendait à l’époque que le soleil ne s’y couchait jamais.

Street Art en plein parc à Seneffe

Dix artistes de ‘street art’ ont quitté rues et ruelles pour les allées et les bosquets du château de Seneffe. Contrastes, disponibilité spatiale, confrontation entre nature et création.

Tidis (1949) joue la provoc. En pleine verdure, il appose ses panneaux colorés portant des traces de pneus, des marquages au sol, des marbrures sur bitume. Comme s’il les retirait de l’urbain pour les exposer, obsolètes, dans un conservatoire d’ethnologie. Mehsos (1988) emprunte un raton laveur à l’environnement et lui inflige une virtuose déconstruction géométrique en quatre étapes où la bête perd peu à peu sa forme animale jusqu’à terminer en un triangle zébré de traits lumineux.

Natacha De Mol (1989) étend son linge tatoué de traces florales et végétales entre des arbres. Le blanc du tissu et le rouge des empreintes se détachent de la verdeur environnante comme pour emporter en chambre des draps imprégnés du monde extérieur.

Noir Artist (1988) use de panneaux comme de murs citadins. En noir sur fond blanc, sorte d’hyperréalisme onirique, il y dessine des éléments symboliques qui rendent hommage aux institutions d’état qui sauvèrent ce château de la ruine qui le menaçait. Roch Barbieux (1986) met en scène un coin de pelouse. Il installe des pans de décors au sol et à la verticale. Les uns s‘étalent comme un plateau de théâtre en plein air que fouleront plus tard des comédiens imaginaires. Les autres, volontairement polychromes, se dressent, un peu délavés par les intempéries, signaux dérisoires ou coulisses, pas loin du vrai théâtre en murs véritables. Mais qui jouera ? et quelle pièce ?

Le mouvement d’acier installé par Erell dans la parc de Seneffe (c) DR
Errel (1987) développe en acier une série de panneaux, paravent non en continu mais en parallèle pour chacun de ses éléments. Comme des stalles pour chevaux de course. Ici, c’est un développement spatial en éventail, alternant les parties pleines et des vides élégants. Une partition visuelle harmonique à contempler dans la sérénité du lieu.

Côté fantaisie, Le Cyclop (1968) aligne des potelets. Non point ceux qui ont proliféré depuis quelques décennies sur les grands-places de la majorité de nos cités, mais trempés dans des coloris chatoyants, un rien racoleurs ; tous, en leur partie haute, arborent une boule traditionnelle qui devient la tête de mini-cyclopes rigolos, presque jouets pour bambins en quête de jeu. Autre fantaisiste, Mister Pee (1975) a installé près d’un plan d’eau une saynète cocasse, anecdotique au possible, devant laquelle il est souhaitable de s’arrêter avec sa progéniture et de commencer à inventer un conte dans lequel plantes et humains sont en osmose optimiste et paisible.

Sophie Hirsh (1987) et Johannes Mundinger (1982) ont inséré des panneaux de bois à l’orée d’un petit …bois, une mise en abyme délicate. Sur des surfaces géométriques de différents gabarit, des formes, des graphismes, des allusions à des objets ou des végétaux familiers. Malgré la vigueur des couleurs, cela ne choque pas même si le vert est exclu. On peut prendre le temps d’observer cela comme un rébus et tenter d’en formuler l’énigme.

Enfin, après avoir croisé « Quelqu’un », fils reconnu de Folon (1934-2005), qui n’a rien à voir avec les autres sculptures car il est ici à demeure, voici ce qu’offre Dale Joseph Rowe (1966). Une dizaine de panneaux transparents en ‘perspex’ mis en enfilade. Sur chacun est peint un pan de Paris de manière très figurative, mini-balade urbaine artificielle dans un endroit où la nature, bien que maîtrisée par des jardiniers, a conservé un minimum de autonomie.

Michel Voiturier

Artour à La Louvière (Château Gilson, Centre de la Gravure, Maison du Tourisme, MILL, Daily Bul), Binche (Musée du Masque), Carnières (Musée Alexandre-Pierre Martin), Morlanwelz (Château de Mariemont), Houdeng-Aimeries (Musée de la Mine), Soignies (Collégiale St-Vincent) jusqu’au 8 septembre 2019. Infos : +32 (0)64 21 51 21 ou https://www.cestcentral.be/post/artour-%C3%A9dition-2019

Code(s) et Couleur(s) jusqu’au 11 novembre 2019 au Château de Seneffe, Rue Lucien Plasman 7-9. Infos : +32 (0)64 55 69 13 ou https://chateaudeseneffe.be/fr/

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